Carte postale de Krakow (Cracovie en Pologne) datée du 8 février 1898 et envoyée par le canonnier Charles (VOEGEL ?) à son frère à Valff

La première guerre a entraîné un monde paisible dans un cahot indescriptible. Parmi les alsaciens annexés au Reich allemand en 1870, certains ont entretenu des sentiments mitigés. Après 44 années de domination allemande à la veille de la grande faucheuse, ils ne se sentaient ni vraiment allemands, ni même français mais simplement alsacien ! En 1912, 40 ans après la perte de l'Alsace Lorraine, l'armée française comptait en son service actif pas moins de 398 officiers originaires de notre région dont 12 généraux de division, 18 généraux de brigade, 20 colonels, 26 lieutenants-colonels, 78 chefs de bataillons, 187 capitaines, 53 lieutenants, 3 sous-lieutenants et un chef de musique. En tout 1200 officiers depuis 1870. 

Auguste MEYER, soldat dans l'armée française, en 1921

Service militaire d'Auguste MEYER dans l'armée française. On remarque des poses plus décontractées que sur celles des clichés allemands en 1921

Carte postale datée de novembre 1916 de Stettin en Pologne envoyée par Charles VOEGEL à sa famille à Valff. On peut lire Feldschmide II/68 Tobolki (ville en Biélorussie)

En 1872, sur les 33475 jeunes gens inscrits sur les listes de conscription allemande, seulement 7454 se présentèrent et 695 durent être libérés pour avoir servis dans l'armée française. Parmi le reste, seuls 3119 furent reconnus propre au service et les autres se trouvèrent des tares diverses. Après cette date, le nombre de déserteurs condamnés par les tribunaux diminua, mais on en recensa encore 10101 en 1879, 4125 en 1884, 3450 en 1894 et 2899 en 1899. Dans l'article « J'veux pas y aller, j'me tire ! », nous y avions relaté quelques réfractaires locaux.

Feldpost datée de mai 1916 de Frankreich (il était interdit d'indiquer le lieu, secret défense) à Aloïse VOEGEL dans la Meyergass

Lorsque la guerre éclata, ça ne rigolait plus. Le refus d'obtempérer pouvait couter cher : parler français c'était une amende de 25 Marks, réunion de plus de trois personnes : 20 Marks, omission de demander un permis de libre circulation : 50 Marks, suivaient perquisitions, réquisitions et confiscations. Le tribunal de Colmar condamna un représentant de commerce à 100 Marks pour s'être permis la plaisanterie suivante : il avait raconté pour rire, d'avoir commandé dans une gare en Prusse un sandwich et qu'au lieu du sandwich on lui avait apporté un ticket de rationnement de viande entre deux tickets de rationnement de pain. Typiquement humour alsacien ! A Ingersheim commencèrent à circuler des billets de banque frappés en surcharge à la machine à écrire par les mots suivants: « Lieb' Frankreich, magst ruhig sein, Deutschland zieht di letsten Kruppel ein ! » (Chère France, tu peux être tranquille, l'Allemagne incorpore les derniers infirmes !).

Carte postale de mai 1917 de Potsdam (Brandebourg près de Berlin) par E. ROSFELDER avec Joseph RIEGLER en habit de chasseur envoyée au canonnier VOEGEL Feldregiment n°68, 2eme section, 6eme batterie 81 division de réserve dans l'Est (le Régiment était initialement stationné en 1914 à Riesa en Saxe)

D'après le calcul de la Gazette de Lausanne, un total de plus de 3000 années de prisons furent infligées à la population alsacienne et lorraine pour cause de manifestation pro-française, même si c'était de l'humour ! A Strasbourg on trouva un matin, la statue de l'Empereur Guillaume I au Kayserplatz (place de la République) coiffé d'un chapeau melon. Résultat ? Prime de 1000 euros pour la dénonciation de l'auteur. Lèse-Majesté oblige . 1914, le caricaturiste Jacques WALTZ, connu sous le pseudo Hansi, qui s'est enrôlé dans l'armée française est déclaré traître à la Patrie et accusé pour haute trahison. Quiconque lui prêtera assistance sera fusillé. Sa tête est mise à prix : 5000 Marks ! Une fortune. LAZARE et OBERLE, juifs de Barr, seront condamnés à perpétuité pour avoir, soi-disant, signalés aux français des mouvements de troupes, fortifications et établissements industriels. Leurs informations auraient, d'après l'accusation, permis une attaque d'aéroplane en août 1916 sur une grande entreprise d'Outre-Rhin.(1)

Feldpost de septembre 1917 adressée par Robert PFLEGER à son cousin le chasseur Charles VOEGEL à Kreckow Stettin (Poméranie, aujourd'hui en Pologne)

Les instances religieuses

Les représentants religieux catholiques et protestants, exprimeront leurs préférences. Certains furent condamnés par les autorités allemandes. D'autre affichaient leur germanophilie. Comme l'évêque ADOLF de Strasbourg, par exemple, qui dès août 1914 envoya à toutes les paroisses l'ordre aux prêtres d'ajouter au Te Deum : « Pour le pape et les évêques, pour l'Empereur, donne lui la force  d'accomplir sa grande mission, bénit toute l'armée allemande et conduit la à la victoire afin d'aboutir à une paix honorable ».

Ordonnance de l'Evêque ADOLF de janvier 1914 concernant les dispositions et prières à proclamer dans la paroisse pour célébrer l'anniversaire du Kayser

Et à Valff ?

L'auteur Florent MATTER (1882-1941) a recensé dans son livre « Les Alsaciens Lorrains contre l'Allemagne »  les hommes condamnés par les autorités prussiennes. On y recense des hommes de Valff :

  • Considérés comme déserteurs :
    • Blaise JORDAN né en 1876
    • Victor KIENNERT né en 1887 marié à Paris
    • Florent LEOPOLD né en 1880 marié près de Paris
    • Charles SCHAETZEL né en 1880
  • Jugement de juin 1916 déchus de la nationalité allemande :
    • Blaise JORDAN né en 1876
    • Edouard KIENNERT né en 1884 marié près de Paris
    • Joseph LUTZ né en 1895 marié près de Lyon
    • Florent LEOPOLD né en 1880 marié près de Paris
    • Georges MICHEL né en 1885
    • Marie Théophile MOSSER né en 1889 marié à Paris
  • Jugement de septembre 1916 :
    • Charles SCHAETZEL né en 1880
  • Jugement de novembre 1916 :
    • Emile Joseph LUTZ né en 1885 marié à Paris

Les Allemands évaluèrent à plus de 30 000, le nombre de déserteurs alsaciens et lorrains qui se sont rendus aux troupes françaises, et c'est seulement une statistique de fin d'année 1915 ! Ce chiffre peut-être largement estimé à la hausse.

Si nous étions nés à cette époque, quel choix aurions nous fait ? Les mêmes jeunes se retrouveront un peu plus tard, mêlés dans un deuxième grand conflit. Quelle génération maudite !

Conscrits de la classe 1884 devant le restaurant à la Couronne n°201 en face garage VOEGEL

Edouard KIENNERT considéré comme déserteur

Conscrits de la classe 1885 dans la cour du restaurant du Canon en face de la mairie

Georges MICHEL considéré comme déserteur

Conscrits de la classe 1900. On peut lire sur le tonneau à l'arrière Weltkrieg 1918 (Guerre mondiale 1918) 

(1) Les Alsaciens-Lorrains contre l'Allemagne : l'Alsace-Lorraine pendant la guerre / par Florent-Matter

Crédit photos :

  • Fond Antoine MULLER
  • Fond Rémy VOEGEL

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.