Nous sommes le 12 janvier 1767. Une jeune fille, tout habillée en blanc se tient devant le porche de la cathédrale St Martin de Colmar. Dans quelques instants elle pénètrera dans le coeur de l'édifice en grès jaune pour se faire baptiser . Mais quel rapport avec Valff me direz-vous ?

Un baptême ! rien d'exceptionnel sauf si la petite Maria n'avais que 13 ans et est ... juive !. Tous les catholiques présents fêtent l'évènement comme il se doit. Une petite juive sauvée de l'obscurentisme de ceux qui ont mis à mort le Christ... une victoire symbolique ! Mais suivons la scène :

Autour de l'adolescente se tiennent 6 jeunes vierges (Jungfrauen) parées de leur robe immaculée aux manches pendantes et coiffées d'un « toquet » (petit bonnet de dentelle symbole de l'enfance et de la pureté). Chacune d'elles porte un cierge à la flamme vacillante et étincelante. A l'extérieur de la cathédrale se presse une foule curieuse , nombreuse et hétéroclite. Personne ne veut rater l'evènement.

- Qu'est-ce qui se passe ici ? demandent certains badauds de passage. Le cortège progresse lentement vers le choeur de la cathédrale. Les yeux rivés vers la jeune fille dont le cœur déborde d'émotions, devant l'autel , se tiennent son parrain : le préteur Royal subdélégué général de l'Intendance Baron François Antoine Jean Chrysostome Joseph de MULLER (1728-1781) de Colmar ainsi que sa marraine : Madame la Baronne de KLINGLIN Marie Anne Joseph Ignace comtesse de MONJOIE-HIRSINGUE (1) . L'évènement est devenu l'affaire de la haute bourgeoisie. Le doyen et curé de la cathédrale : OTT , salue cordialement l'assistance.

Porche de la cathédrale St Martin de Colmar

La jeune fille de 13 ans, de son nom juif JESSLER, se fait officiellement baptiser pour symboliser sa conversion à la foi catholique. Elle reçoit le nom chrétien de Maria Anna Joséphine JESSLER. Maria Anna comme le prénom de sa marraine (Göttel en allemand) et Joséphine comme le prénom masculin de son parrain (Pfetter en allemand). S'en suit une messe, puis Madame KRAUSS et Monsieur DUBOIS (de la haute bourgeoisie de Colmar) font passer un saladier d'argent qui recevra les dons et cadeaux des assistants pour la nouvelle baptisée. Une somme importante est récoltée. Beaucoup de participants sont issus du beau monde de l''aristocratie alsacienne (2). La jeune Maria Anna signera l'acte de baptême d'une croix, elle est illétrée ou ne connait que l'hébreux... Comme il est de coutume, la marraine  enseignera plus-tard à la jeune fille l'art de confectionner le « Nachtrock » (robe de nuit). C'est le passage symbolique de l'état de jeune fille à celui de femme.

L’événement est commenté dans toute la ville. Chacun de vouloir connaitre un détail inédit. Aujourd'hui les origines de cette conversion nous sont inconnus. Ce que nous savons est que notre vedette du jour est en fait....originaire de Valff ! 

Mais comment en est-on arrivé là ? Originaire de Valff ? mais alors pourquoi ce baptême à Colmar ? 

 L'Enquête 

Le curé de VALFF de cette époque a pour nom: Ignace SCHECK. Son neveu André SCHECK  qui sera quatre ans plus-tard présent à Valff pour la conversion de la presque totalité d'une autre famille juive : la famille TAUFFLIEB est curé de Wiedensolen près de Colmar (pour plus d'informations voir les articles sur la famille Tauflieb). Mais que faisait la jeune JESSLER à Colmar ? Elle n'a que 13 ans et personne de sa famille proche n'habite dans le Haut-Rhin. 

Tous ses proches sont restés à Valff d'après un auteur alsatique du début du XXe siècle : Pierre PAULIN. Selon les indications dans son livre « Le dénombrement des juifs tolérés en Alsace en 1784 » ,  son père s'appelait JEYSSEL ou ZEISSEL, sa mère GUTTEL, ses frères MÄNNEL et ELIE et habiteraient toujours le village de Valff après la baptême. Il écrit : " Die Mutter [... ] war als Kind von jüdischer Eltern in Walf bei Oberehnheim geboren (la mère [ la fille Jessler en tant que mère quelques années plus-tard] était née de parents juifs à Valff près d'Obernai) .  Le nom ZEISSEL qu'évoque PAULIN est une erreur de lecture. il est bel et bien indiqué dans l'acte de baptême original qu'elle s'appelle JESSLER. Ses sources sont incomplètes puisqu'on dénombre à Valff : Alexandre le père, veuf, MÄNNEL et Elie ses fils et Zipper BEYLE et Zara ses filles, mais pas de nom de la mère. JEISEL Alexandre, veuf de son état est la phonétique la plus proche du nom JESSLER (3). De plus, le document de baptême  indique bel et bien le nom du père : Alexandre JESSLER. Sur ce point PAULIN avait raison.

Carte de Cassini du XVIIIe siècle : Widensolen est transcrit Vidensol à droite de la ville de Colmar

Une hypothèse qui relie Valff à Colmar .

Une explication plus que vraisemblable est qu'en 1767 André SCHECK était vicaire  à Widensolen près de Colmar . Il fut plus-tard nommé vicaire à Valff chez son oncle Ignace SCHECK curé à Valff de 1772 à 1774. Après un bref séjour à Barr, il revient à Valff de 1776 à 1792. Il se pourrait bien que ce soit  son oncle Ignace, alors curé de Valff lorsque la jeune Jessler habitait encore la commune qui lui aurait envoyé la jeune fille pour la protéger de la vindict des juifs locaux. Ces derniers, et c'est bien compréhensible, ont du mal apprécier la volonté de cette dernière de changer de religion. Rappelez-vous elle n'avait que 13 ans ! On peut donc notoirement penser qu'André SCHECK tout comme son oncle Ignace ont été présents ce fameux jour mémorable dans la cathédrale St Martin de Colmar. C'était un évènement à ne pas rater.  Une fois nommé curé de Valff, André SCHECK poursuivra le travail de prosélitisme engagé par son oncle et sera récompensé avec le baptême de la famille TAUFFLIEB. Pour information : l'église St Nicolas de Widensolen a été reconstruite à partir de 1766 lorsque André Scheck y séjournait. Sous l'impulsion de ce dynamique curé SCHECK ? La stèle mortuaire d'André SCHECK est toujours visible dans le cimetière de Valff. ( plus de détails sur le ministère d'André Scheck sont consultables dans la rubrique Révolution) 

La jeune convertie se mariera quelques années plus-tard. Qui est son époux ? Quel sera le destin de sa descendance ? Ne manquez pas les révélations incroyables qui vous serons dévoilés dans le prochain article consacré à Maria Anna Joséphine JESSLER.

 

Remerciements particuliers à Séverine SCHMUTZ , bibliothécaire et conservatrice à la bibliothèque alsatique du Crédit Mutuel qui m'a permis de retrouver des sources documentaires.

(1) Marie Anne de MONJOIE-HIRSINGUE fut chamoinesse à Remiremont (1741). Elle épousa plus-tard le baron Christophe von KLINGLIN, premier président du Conseil Souverain d'Alsace, Seigneur de Hastatt, Bielsheim, etc. Un pamphlet de l'époque disait : "Du temps de Corberon on vivait au ciel, du temps de Klinglin on vivait au purgatoire, du temps de Boug en enfer".

(2) Le baptême de janvier 1767 a du avoir une répercussion qui dépassa largement la ville de Colmar. Le baptême et les conditions ont été débattu la même année avec le Roi de France. Une lettre du duc de Choiseul au Conseil Souverain d'Alsace encadra la doctrine royale à ce sujet et les conditions du baptême des enfants juifs.

(3) A l'époque les juifs écrivaient leur nom en Hébreu. Il est donc fort à penser que la petite Marie Anne JEISSEL ai transmise oralement son nom ce qui pourrai expliquer la légère différence d'orthographe. Lors du dénombrement de 1784, elle ne figure plus dans les listes juives puisqu'elle est désormais comptabilisée parmi les catholiques. Elle était illettrée, témoin sa signature d'une croix en forme de crucifix.

Sources : Collection Bibliothèque alsatique du Crédit Mutuel. Pierre Paulin : le dénombrement des Juifs tolérés en Alsace en 1784 

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.