Pardon ? Comment tu m'as appelé ? « Dolle ? ». Combien d'expressions en dialecte alsacien ont été (ou sont toujours utilisées) sans que les auteurs n'en connaissent le sens.
Pour les non-initiés, un Dolle en alsacien est une personne simplette, folle, idiote. Son origine vient du français dol. Eh oui ! Elle a du apparaître au XIXeme siècle quand les documents administratifs ont commencé à être rédigés en français. Il s'agit d'un terme juridique. On a la même origine française pour l'expression « dü Sembel » : espèce de simplet ou simple. Alors pour les puristes voici sa définition de dol :
On dénomme dol, l'ensemble des agissements trompeurs ayant entraîné le consentement qu'une des parties à un contrat n'aurait pas donné, si elle n'avais pas été l'objet de ces manœuvres. Vous avez compris ? Alors bravo ! Je vous fait grâce de la suite de la définition. Pour simplifier, il s'agit d'un contrat vicié par une des deux parties contractantes. Par extension l'expression a été élargie à une personne qui a été lésée par suite de sa crédulité.
Dans notre commune un certain Blaise DIEHLMANN, le jeune a été victime d'un dol (1). L'expression Dolle aurait-elle vu le jour à Valff ? Voici les faits.
3 octobre 1813
Antoine ANSTETT, brasseur à Sélestat, avait contacté une dette envers François Xavier RAMPP négociant de vin à Strasbourg et brasseur à Gray en Haute-Saône. En contre-partie Anstett propose à RAMPP de faire affaire avec un pigeon : Blaise DIEHLMANN de Valff. RAMPP connait bien DIEHLMANN c'est son cousin par alliance (2). Il convoque DIEHLMANN dans sa maison au troisème étage à Strasbourg et lui propose une affaire en or. Ou la la, ça ne sent pas bon !
RAMPP propose à DIEHLMANN de transporter de la marchandise de contrebande de Valff à Sainte Marie aux Mines avec une prime pour lui de 14% sur la valeur de la marchandise. En garantie, et pour que DIEHLMANN soi-disant ne se barre avec le matos, il demande à Blaise DIEHLMANN de laisser en dépôt 4000 francs. DIEHLMANN refuse.
26 octobre 1813
RAMPP se rend à Valff pour assister soi-disant au mariage de son commis et retrouve DIEHLMANN (3). Le lendemain, il lui rend visite et lui réitère sa proposition. Cette fois-ci, RAMPP part avec 500 francs en numéraires pour garantie sur la marchandise qui va, promet-il, être livrée bientôt. Aïe aïe aïe, ça ne sent pas bon du tout. Le tout est concocté sans aucun témoin naturellement ! RAMPP fait signer à DIEHLMANN conscient ou pas, un papier de reconnaissance de dette composé d'une feuille de papier avec des caractères pré-écrits. Le papier est découpé en deux parties. Chacun garde une moitié. Le papier est censé, soi-disant, prouver aux transporteurs qu'ils ont bien affaire à DIEHLMANN lors de la livraison. Pour conforter DIEHLMANN, RAMPP lui remet une belle carte de l'Alsace cachetée à la cire d'Espagne, histoire d'aider DIEHLMANN à trouver la route menant à Sainte Marie aux Mines. Ce que l'histoire ne dit pas est si DIEHLMANN savait qu'il signait une reconnaissance de dette de 3100 francs. Heureusement que la honte ne tue pas ! Ouille et aïe ! maintenant ça pue vraiment, mais vraiment vraiment !
Les associés de RAMPP, PASQUAY et OTT étaient censés livrer la marchandise à Valff. Cette dernière n'arrivera jamais. Coup de théâtre ! RAMPP porte maintenant plainte pour non remboursement d'une dette. Tant qu'a plumer, plumons bien ! Il présente au tribunal le fameux papier avec la signature de DIEHLMANN.
14 mai 1817
Le tribunal de Sélestat condamne DIEHLMANN à rembourser. Il reconnait avoir signé le papier. Dixit du jugement : « qu'il a bien compté et nombré les écus de 3100 francs de valeur » et que RAMPP n'aurait jamais perçu 500 francs de DIEHLMANN. Appel du jugement de DIEHLMANN.
24 mai 1817
Le tribunal d'appel de Colmar juge que le consentement a été extorqué par violence et par dol. La dette n'est pas valable. Le dol est une cause de nullité. Le tribunal se justifie en déclarant que : « lorsque les présomptions sont fortes, elles suffisent et qu'il n'est point besoin d'autres preuves ». Les témoins affirment que RAMPP serait arrivé à Valff ce fameux 27 octobre à bord d'un char à banc qui n'avait aucun coffre fermant à clef et que personne ne l'a vu sortir de l'argent de sa voiture. 3100 francs en écus ça pèsent son poids.
Pour résumer, Anstett et RAMPP ont cherché un pigeon potentiel. Que RAMPP fait du marché noir et de la contrebande et est un filou douteux (4). Que DIEHLMANN s'est fait berner par une offre trop belle pour être honnête. Qu'il n'a aucun témoin. Qu'il reconnait avoir signé la reconnaissance de dette. Qu'il n'a jamais reçu l'argent et qu'il s'est fait pigeonner en beauté. Les 500 balles remis à RAMPP sont perdues.
Il y a quand même un homme pieux dans cette histoire : RAMPP le contrebandier. Il demande au tribunal 6000 francs de dommages et intérêts ... pour les remettre lui-même aux pauvres de l'hospice de Colmar. Le Saint homme ! Il a vraiment pris tout le monde pour des ... Dolle !
(1) On comprend que Blaise n'est pas fute fute . Pourtant son père était prévôt ou Schultheis en allemand à Valff. Blaise ne se mariera jamais. il mourra âgé de 80 ans.
(2) Le 29 août 1834 décède à Valff à 18 ans, Augustine RAMPP née à Gray. Elle est la fille de François Xavier RAMPP et de Marie Joséphine KIENTZ de Nothalten. Les témoins sont François Etienne Jordan et Blaise DIEHLMANN 25 ans, le neveu du Blaise de l'histoire, qui se disent être les cousins de la défunte. Comme quoi on n'est pas rancunier dans la famille DIEHLMANN. En 1780 le veuf RAMPP Jean Henri, brasseur à Strasbourg, frère de François Xavier RAMPP avait épousé NEFF Marie Madeleine, la fille de l'aubergiste NEFF Joseph de Valff. RAMPP livrait la bière à l'aubergiste NEFF.
(3) Il n'y a eu aucun mariage à Valff en date du 26 octobre. Ce fut sûrement une ruse de RAMPP pour justifier sa présence à Valff.
(4) A Gray, RAMPP empruntera encore de l'argent. Il filera et disparaîtra sans rembourser.