Dans l'article d'introduction de la série nous avions brièvement abordé le contexte qui amena de nombreux Valffois à s'expatrier. Le XIXème fut le siècle des voyages intercontinentaux. Des compagnies maritimes ayant des ports d'attaches sur l'Atlantique proposèrent des places pour des sommes abordables. Le Nouveau Monde ouvrait l'accès à ses immenses territoires. En 1886 le sculpteur colmarien Auguste BARTHOLDI dévoila sa statue de la Liberté sur Liberty Island. C'est cette statue que virent en premier les passagers aux portes de New-York.
A partir de 1892, plus de 15 millions de personnes débarquèrent de navires sur-bondés sur la petite île d'Ellis Island dans la baie de New-York. Des Irlandais, Anglais, Allemands, Italiens, Français, Danois, Norvégiens et de biens d'autres pays tentèrent l'aventure. Après leur débarquement, on les soumettaient à des examens mentaux et physiques. Le but : détecter les individus indésirables selon les critères établis par les autorités américaines. Objectif des américains : trier jusqu'à 3000 personnes à l'heure. Les personnes considérées comme indésirables étaient : les prostituées et les condamnés, les malades mentaux, les chinois, les polygames et les personnes souffrant de maladies contagieuses et théoriquement les enfants de moins de 16 ans non accompagnés (ce qui explique les fausses déclarations de naissances). 2,4% des immigrants seront refoulés. On compte 3000 suicides entre 1892 et 1924 sur Ellis Island.
Une rue bondée de New-York
Pour beaucoup ce fut un choc culturel et social. Les Etats-Unis devenait ce que l'on appelle un immense Melting-pot. Imaginez les sentiments de ces ruraux qui n'avaient jamais mis les pieds plus loin que leur campagne. Ce sont ces sentiments que nous essayerons de déceler dans la correspondance entre trois des fils SCHULTZ émigrés en Amérique et leur famille restée au pays. Mais faisons d'abord les présentations. La présence de la famille SCHULTZ à Valff est attestée par les registres paroissiaux dès le milieu du XVIIème siècle. Les descendants SCHULTZ dont nous allons parler se composent du père Jean Pierre, agriculteur, habitant au n°279 de la rue Principale (d'après le recensement de 1885), Jean Pierre, le fils est recensé au n°252 vers 1875. Le père est né le 31 mars 1817 et décéda le 22 novembre 1889. La mère, Marguerite ROSFELDER, est née le 3 février 1821 et décéda le 23 avril 1889. Ils conçurent 13 enfants : 8 garçons et 5 filles :
- Jean-Georges, né le 18.04.1849, émigré en Amérique
- Catherine née 21.05.1850, décédée à 4 mois
- Jean Pierre, né le 06.09.1851, émigré en Amérique
- Marguerite, née le 16.11.1852, mariée avec Antoine HIRTZ
- Florent, né le 13.10.1854, décédé à l'âge de 6 jours
- François Joseph, né le 29.03.1856, émigré en Amérique
- Antoine François, né le 21.05.1857, marié avec Catherine ROSFELDER
- Thérèse, née le 29.09.1858, décédée à l'âge de 28 jours
- Anne Marie, née le 28.12.1859, mariée à Matthieu OERTHEL
- Catherine née le 05.05.1861
- Auguste, né le 29.07.1862, marié avec Madeleine HAAS
- Aloïse, né le 18.12.1863, marié avec Marie Madeleine MARTZ
- Edouard, né le 12.04.1866, émigré en Amérique
Le premier des fils à émigrer est Jean-Pierre. Dans un registre des recensement militaires, Jean Pierre apparaît avec la mention « parti en Amérique en septembre 1872 ». Manifestement, les trois frères ont opté pour un exil volontaire, surtout Jean Pierre, qui a ainsi évité d'exécuter son service militaire dans l'armée allemande. Rappelons que l'Alsace venait d'être annexée depuis 1870. En novembre 1892, après le décès des parents, leur jeune frère Edouard les rejoindra.
En 1889, la même année, décèdent les deux parents. La transmission familiale relate que Marguerite ROSFELDER, la mère, serait morte de chagrin. L'idée de ne plus jamais revoir ses fils lui fut trop insupportable. Jean Pierre, son mari, la suivit de près. Le douleur d'une maman. La solitude d'un mari. La première correspondance en provenance d'Amérique est écrite par Georges et date du 25 février 1892. Le contenu est sommaire. Il écrit à sa soeur Marguerite, à ses frères restés à Valff mais s'adresse surtout à son beau-frère Antoire HIRTZ. Ecrit au crayon à papier, il informe qu'il est père de famille. Il ne mentionne pas ses frères Pierre et Joseph partis avec lui. La lettre débute par ces mots :
Chers beau-frère et frères, Nous prenons la plume pour vous1 écrire quelques lignes. Nous espérons vous savoir en bonne santé comme nous le sommes aussi. Cher beau-frère, nous avons lu dans ta dernière lettre qu'il vous reste encore un peu de foin. Tu peux garder la portion de la vente du chariot. Je t'écris aussi pour te signifier que notre soeur Maria Anna peut avoir mes 2 billots en bois quand notre frère Joseph les aura cintrés. Cher gendre et sœur, nous aimerions aussi savoir pourquoi Aloïse et Auguste ne nous écrivent pas. On ne sais même pas s'ils sont encore en vie. Nous espérons que nous ne leur avons rien fait de mal ce qui justifierai leur silence. Chère sœur, envoyez nous une photo des parents, nous vous enverrons aussi une photo de nos deux enfants, la grande s'appelle Marie Anne et la petite Marie Louise. Du troisième garçon nous n'avons pas encore de photo. Dès que le temps s'améliorera nous ferons une photo de groupe et vous l'enverrons. Nous n'avons pas d'autres nouvelles à vous annoncer, à part que l'hiver a été discret en espérant qu'il ne va pas se rattraper. Je termine ma lettre et vous envoie tous mes bons vœux de la famille et de ton frère Georges. Cher sœur, je t'envoie encore les salutations du vieux charron aussi appelé Grotte Hans (le Jean de la grotte) et de Saumilchleck du nom de SAAS2 (lécheur de lait de truie). Nous avons toujours cru que notre frère Edouard viendrai nous rejoindre, mais nous n'avons plus de nouvelles. Mon adresse est : Geo SCHULTZ, 35 Marshall Avenue Camp, Washington Cincinnati Ohio |
Dans le prochain volet de cette série de correspondance passionnante nous vous ferons découvrir le voyage de Jean Pierre, le premier des fils SCHULTZ à émigrer.
Cincinnati dans les années 1900
Notes :