Ouf ! Si Valff existe encore de nos jours, c'est bien grâce à l'immense miséricorde du Tout-Puissant ! Vous en doutez ? Voici les faits.
8 mai 1646
Tout le village est en émois. Les seigneurs Arnold et Wolf d'ANDLAU se sont déplacés personnellement pour statuer d'un sujet brûlant. Le curé Jean REUCH est prosterné devant l'autel de l'église affairé à solliciter la miséricorde divine. Les femmes égrainent les chapelets. On ne parle plus que de ça ! C'est le sujet enflammé du moment. Mais quoi donc ? Ben ! des agissements scandaleux d'Arbogast MARTZ, le Schultheiss, le maire du village, pardi !
Les faits
Un tribunal s'est constitué dans la Stub du village. Pour l'occasion et vu le nombre important de participants, tout le monde s'est rassemblé dans la grande auberge du château. De toute façon l'ancienne auberge qui servait de lieu de réunion municipale est ratatinée. Les troupes de Mansfeld sont passées par là ! Nous sommes à la fin de la guerre de Trente ans et le traumatisme est encore profond, mais revenons à notre histoire. Le représentant des habitants que l'on appelle le Heimburger, Lorentz ABERT prend la parole. La salle entière arrête son souffle...
ABERT rapporte : « A l'occasion du "Ahlmessti", la fête des Rameaux, le Schultheiss MARTZ a tellement abusé du pinard et du schnaps que dans un excès de vociférations il a juré et blasphémé Dieu le créateur à tel point que l'on peut s'estimer heureux que ce dernier n'ai frappé le village et le ban d'un châtiment de destruction éternel bien mérité ! Le village a honte d'avoir un énergumène pareil qui a même menacé d'abattre sa propre épouse d'un coup de fusil ! ».
Une rumeur parcourt la salle. C'est au tour de MARTZ, l'accusé , de témoigner. Il se fait un silence pesant et glaçant. Après quelques secondes qui parut une éternité pour tous , MARTZ s'exprime. Il reconnait avoir un peu trop lorgné sur la bouteille ce jour là, mais ABERT, qui est d'ailleurs son beau-frère, s'est mêlé d'une dispute qu'il a eu avec sa femme, et cette dispute ne regardait ABERT en aucune façon !
La salle du tribunal se remplit à nouveau de murmures et de commentaires. Les Seigneurs d'Andlau imposent le silence. On fait avancer maintenant les témoins de l'affaire.
Michel JOST dépose que le Schultheiss est un homme agressif et querelleur surtout quand il a bu. Pendant la fête des Rameaux, MARTZ était dans un état d’ébriété ininterrompu pendant trois jours et qu'il a juré et blasphémé jusque tard dans la nuit. Un jour alors qu'il était tranquillement assis en compagnie de Clauss ROSFELDER dans l'auberge du château, MARTZ est apparu et a frappé violemment sur la table en traitant son beau-frère de fripon !
Clauss KORMANN témoigne qu'après avoir vu MARTZ battre et malmener sa femme, cette dernière a pris la fuite pour se réfugier chez des amis, Martz pensait la retrouver à l'auberge du château. Fou de rage, il aurait déclaré : « Que le diable cherche son corps et son âme et si je la retrouve, je la tuerai à coups de couteau, cette p.t..n ! ».
Hans PETERMANN reconnait aussi avoir un peu trop sucé le goulot pendant la fête de Rameaux avec MARTZ. Ils étaient assis à la même table à la fête champêtre du Ahlmessti près de la Schwalbrücke (le pont au dessus de la Kirneck à la sortie du village vers Meistratzheim). Il a assisté à l'altercation que MARTZ a eu avec ABERT le Heimburger, qui en s'approchant s'est adressé à MARTZ et lui a signifié en le montrant du doigt qu'il est la honte et le déshonneur du village....
Les autres témoins vont dans le même sens. Tous attestent que le Heimburger ABERT est un homme honnête et loyal. Arbogast MARTZ baisse la tête. Pris de honte, il demande pardon pour ses égarements et promet de ne plus recommencer. Mais la sentence ne l'épargnera pas. Il est condamné par le tribunal à trois jours de prison et une amende de 10 Schilling. Il devra en plus officiellement, demander pardon à son beau-frère qui lui voulait du bien et le dédommager d'une livre et 10 Schilling, éviter autant que possible l'usage de boissons alcooliques et changer de comportement. Pour avoir gravement blasphémé Dieu il est destitué de ses fonctions de Schultheiss
Notons que la femme de MARTZ n'a pas été convoqué pour témoigner. On ne connait même pas son nom, les violences conjugales n'étant pas un crime, et puis les hommes se disent en eux-mêmes : elle l'a peut-être mérité ... Il est juste interdit de blasphémer, ça c'est grave ! On se demande ce qui serait arrivé si c'est elle qui avait outragé Dieu. Les procès de sorcellerie faisaient rage à cette époque ! En 1629, 17 ans auparavant, on avait bien brûlé Elisabeth, la femme d'un certain Hans ABERT ... hum, c'est chaud !
Mais l'histoire ne s'arrête pas là ! Deux mois plus tard, Arbogast MARTZ fera la demande de sa réintroduction au poste de Schultheiss. Considérant que ce dernier a rendu d'éminents services à la population pendant la malheureuse guerre de Trente ans, que le prévenu a témoigné un repentir sincère, à modérer sa consommation de boisson et maîtrise ses accès de colère, le tribunal réintègre Arbogast MARTZ au poste de Schultheiss.
Et c'est ainsi que le village de VALFF ne fut pas détruit par la colère du Tout-Puissant. Ce jour là, le repentir de MARTZ sauva le village. Ouf !
Eglise St Blaise, sculpture romane datée vers le XIIe siècle appelée : « Le tireur d'épine »