La conscription

Avec le retour du service militaire obligatoire pour tous, le tirage au sort est remplacé par une visite médicale. Les conscrits se présentaient en « tenue d'Adam » devant le conseil de révision (médecins, Sous-Préfet et maires du canton) à Obernai (D'Musterung). A l'issue du conseil, on leur signifiait leur aptitude ou non d'effectuer le service militaire. Cet événement fut toujours immortalisé par la traditionnelle photo de groupe qui prenait place dans les archives familiales.

L'uniforme de conscrit était généralement constitué d'une veste claire, d'un pantalon blanc ainsi que d'un chapeau noir orné de ruban multicolores et d'un bouquet de fleurs. Les conscrits déambulaient joyeusement dans les rues du village, accompagné d'un accordéoniste et d'un batteur de tambour. Pendant quelques jours on chantait, on dansait avec des arrêts obligatoires dans les auberges. Chaque classe avait fait réaliser son drapeau de conscrits tricolore avec un motif choisi par le groupe. Y figurait toujours l'inscription « Vive la classe » ... de Valff. Chaque groupe de conscrit possédait également le bâton de tambour-major que portait celui qui était habitué à le faire pivoter. A la fin de l'année drapeau et bâton était adjugés à un membre de la classe sous condition de bien les conserver. A l'occasion des fêtes nationales et religieuses, les drapeaux ornaient les maisons. Ces journées mémorables de conscription, gravées dans nos mémoires, se terminèrent souvent par des extinctions de voix et par des migraines ... En 1966, on note le suppression des conseils de révision dans les chefs-lieux de canton.

L'Arbre de Mai

Les conscrits, dans la nuit précédant le 1er mai, plantaient devant la maison des filles de la même classe, un sapin d'une hauteur d'environ 8 m. Tous les restaurants du village ainsi que le maire et les adjoints avaient droit à l'arbre de Mai. Celui-ci était muni d'une plaque tricolore avec l'inscription, par exemple, « Vive la classe » ...

Au courant du mois de mai, les soirées devenaient festives au moment de l'enlèvement de ces arbres chez les filles, qui invitaient la joyeuse troupe pour un repas amical. Les élus et les restaurateurs offraient une collation aux conscrits. Parfois, des plaisantins voulaient jouer un tour aux conscrits ; soit en faisant tomber l'arbre, soit en le cachant dans un endroit éloigné. Aux conscrits de le relever ou le retrouver ... Mais finalement, tout se passait dans la bonne humeur !

Les traditions aux mariages (témoignage Antoine MULLER)

A l'occasion des mariages locaux, il était de coutume que les conscrits de l'année précédaient ou suivaient le cortège nuptial sur le chemin de l'église et au retour vers la maison de la mariée. Ils étaient également présent la veille pour le mariage civil à la mairie. Leur rôle était de tirer avec des mortiers pour annoncer l'événement. Le bruit de ces tirs était souvent mal supporté et exigeait des conscrits une grande prudence pour éviter tous accident. Le mortier, selon sa conception de et son chargement, produisait une détonation plus ou moins forte. C'était un cylindre en acier dur (50 x 200 mm environ) avec un fond hémisphérique où l'on broyait avec un pilon un mélange de chlorure de soude et du souffre. Ce mortier était muni d'un câble métallique qui permettait de le cogner avec force contre un mur ou un bloc de pierre pour provoquer la détonation. Pour le service rendu, les conscrits étaient invités par la famille pour le verre de l'amitié et recevaient avant de partir quelques saucisses de Lyon et de pains long. En chantant et en brandissant ces victuailles, ils traversaient le village et se rendaient, soit chez un aubergiste ou au domicile d'un camarade de classe pour passer une agréable journée.

Le glossaire du conscrit :

  • Muschterung : la conscription
  • Muschterbuwe : les conscrits
  • Exemptions : les motifs d'exemption les plus courants étaient : les pieds plats (Bladfiess), une déficience cardiaque (Herzfaler), une mauvaise vue (Auefaler), débilité mentale (Glanps)
  • Obligations militaires : les garçons n'essayaient que rarement d'échapper aux obligations militaires quand le service était obligatoire pour tous (contrairement à ce qui se passait à l'époque du tirage au sort). Cet examen médical était perçu comme une confirmation de bonne santé et de virilité. Certains affichaient des badges où on pouvait lire : « Bon pour le service « ou « Bon pour les filles »
  • Banbilote : bonbons en sucre d'orge plats et striés qui faisaient partie des friandises que les conscrits lançaient aux enfants qui suivaient le cortège aux cris de « bombom, bombom ! »
  • Massti : fête annuelle du village organisée par les associations qui servait de lieu de rencontre aux conscrits des quatre coins et d'où ils ne rentraient que rarement très frais et souvent aphones
  • Schnapskicht : cuite à l'eau de vie. Les spécialistes expérimentés conseillaient d'enterrer le comateux dans le tas de fumier pour qu'il garde sa température corporelle
  • Haderi stiedle : surnom principal donné aux habitants de Valff. Vient de l'ancien allemand haderi (vaurien, querelleur, mauvaise herbe) et Stiedle (plante, tige)

Les conscrits se transmettaient les surnoms des villageois des alentours. Petit aperçu :

  • Valff : aussi appelés Fladermis, Gans, Küehpflanter (chauve-souris, les oies, les bouseux, bouses)
  • Meistratzheim : Galruewewadel (les queues de carottes), ha drak et de Ohre, spetzige Schue lache alli em Deiffel zue (ont les oreilles sales, des chaussures pointues, et fricotent avec le diable)
  • Niedernai : Bonhnebich, Zewelle (les ventres à haricots ou en forme de haricots, les oignons)
  • Zellwiller : Fiermannelle, Brannwiller, d'Ronte (les pompiers, feu-ville, les rouges)
  • Westhouse : Kaasbonzer (les nettoyeurs de fromage), d'Weschemer bontze de Kaas, d'Valffermer frassene mit santerm Drak (les Westousiens nettoient le fromage, les Valffois le mangent crasseux)
  • Bourgheim : klein Bethlehem, Mohre (petit Bethlehem, les truies)
  • Barr : Katzekäpf, Sührmelichbich, Bankrotebegel (têtes de chat, ventre de lait caillé, banqueroutiers)
  • Krautergersheim : Krütkäpf, Galrueweridder, Dragnonller (têtes de choux, chevaucheurs de carottes, suceur de crasse)
  • Stotzheim : Krabstranger (les noyeurs d'écrevisses)
  • Obernai : Sanftbich (les ventres à moutarde)
  • L'humour de nos anciens étant aussi fleuri et grivois, le meilleur pour la fin : Goxwiller : d'Bubber, d'Bubberarch, d'Bubberschmer, d'Bubbereyer (pour toute traduction, prière de s'adresser auprès d'un alsacien local !).

Les photos souvenirs apparurent à la fin du 19ème siècle. Le premier cliché encore conservé immortalise la classe 1883. En 1928, on investi dans un costume cravate et pantalon blanc.

Classe 1930 (Collection Antoine MULLER)

La classe 1935 invita les bœufs du char à poser sur la photo. La classe 1942 en nœud papillon, quelques filles et le tracteur ou l'inverse ... la classe ! La classe 1947 pose pour la première photo couleur. Après les chemises à rayures et la marinière 1948 et 1955, la classe 1956 se para de la compagnie de toutes les filles ayant droit de sortie. Souvenir, souvenir ...

Le service militaire (dates majeures par Christian SOURDAINE) :

  • 1798 - La loi de Jourdan du 19 fructidor an 6 institue la conscription durant 5 ans des hommes de 20 à 25 ans.
  • 1802 - Service de 5 ans. Le remplacement est autorisé. Tous les jeunes gens âgés de 20 ans sont appelés au Chef lieu de canton devant la commission de recrutement. Après les exemptions prévues par la loi on procède au tirage au sort de ceux qui vont former le contingent requis, d'où l'origine de l'expression « tirer le bon numéro ». 
  • 1818 - Service de 6 ans
  • 1824 - Service de 8 ans
  • 1832 - Service de 7 ans
  • 1855 - Le remplacement n'est plus possible, mais moyennant une somme de 2500 francs de l'époque on peut être racheté et par la suite exonéré
  • 1868 - Service de 5 ans pour la moitié du contingent par tirage au sort et de 6 mois pour les autres (remplacement autorisé)
  • 1872 - Service obligatoire et universel de 5 ans ; le remplacement est supprimé. On peut être dispensé de service pour cause de soutien de famille, métier d'enseignant, ...
  • 1889 - Service de 3 ans
  • 1902 - Service obligatoire et universel de 3 ans. Les sursis pour études, charges, sont institués
  • 1920 - Service de 12 mois
  • 1923 - Service de 18 mois
  • 1935 - Service de 18 mois ou de 2 ans
  • 1945 - Service de 1 an ou de 15 mois
  • 1950 - Service prolongé à 18 mois
  • 1956 - 1962, Guerre d'Algérie : Maintien sous les drapeaux jusqu'à 30 mois
  • 1965 - Service de 16 mois
  • 1970 - Service de 12 mois
  • 1992 - La loi du 4 janvier 1992 confirme la durée du service national à 10 mois, 16 mois pour la coopération et 20 mois pour les objecteurs de conscience. Le régime des reports permet de gérer son départ de 18 à 27 ans
  • 2001 - La mise en place d'une armée de métier entraîne la suppression de la conscription

Chanson de conscrit de 1777 (d'après une nouvelle de 1539)

Les militaires de Valff

Les militaires de Valff recensés au XVIIIe siècle (registre paroissial) :

  • Jean MARTZ : régiment Royal Lemarc
  • Antoine et Blaise ROSFELDER : fournisseur militaire de l'Alsace
  • Bernard et Jean-Michel SIMON : régiment colonial maritime
  • François MEYER : régiment d'infanterie suisse
  • Jacques KACHELOFFEN : officier régiment Royal La Marque
  • François LITTNER : régiment de cavalerie, l'Hôpital
  • Gottfried STEINER, Jean KLEIBER, Joseph NEUHAUSER : militaires invalides
  • Jean RABENEL : régiment de fusiller

Les militaires de Valff en 1836 :

Lors d'un recensement général de la population, 28 militaires du village servaient sous les drapeaux. Valff comptait alors 1424 habitants :

  • François Antoine DUBLING : 25 ans, 1er régiment cuirassiers
  • Blaise FRIEDERICH : 26 ans, 10ème régiment de marine
  • Florent FRIEDERICH : 29 ans, 8ème régiment d'infanterie légère
  • Guillaume GOETZMANN : 23 ans, 3ème régiment de canonniers
  • François Antoine HIRN : 33 ans, 6ème régiment infanterie de lignes
  • Blaise HIRTZ : 21 ans, 6ème régiment infanterie légère
  • Blaise HIRTZ : 32 ans, 49ème régiment infanterie légère
  • Sébastien HIRTZ : 25 ans, 13ème régiment de marine
  • Jean Georges KLIPFEL : 51 ans, soldat vétéran
  • François Joseph LUTZ : 22 ans, 10ème régiment de dragons
  • Joseph LUTZ : 30 ans, 33ème régiment d'infanterie légère
  • Blaise MARTZ : 50 ans, frère de Jean Michel
  • Jean-Michel MARTZ : 65 ans, officier commandant d'artillerie à la retraite
  • François Joseph NEFF : 25 ans, 3ème régiment infanterie légère
  • André PFLEGER : 30 ans, 9ème régiment d'infanterie légère
  • Laurent PFLEGER : 26 ans, 26ème régiment de carabiniers
  • Matthieu RIEFFEL : 22 ans, 10ème régiment d'infanterie légère
  • François Antoine RISCH : 25 ans, 7ème régiment de chasseurs
  • André ROSFELDER : 25 ans, 6ème régiment de lanciers
  • Frabçois Antoine SAAS : 27 ans, 2ème régiment de dragons
  • Laurent SAAS : 23 ans, 5ème régiment infanterie légère
  • François Joseph SCHERER : 25 ans, 48ème régiment infanterie de lignes
  • Florent STUMPF : 26 ans, 7ème régiment de canonniers
  • Jacques VEISS : 29 ans, 14ème compagnie du train
  • François Joseph VOEGEL : 27 ans, 47ème régiment d'infanterie légère
  • Louis VOEGEL : 31 ans, 1er régiment de cuirassiers
  • Xavier WAGNER : 27 ans, 3ème régiment de hussards
  • Michel WEISS : 21 ans, 5ème régiment infanterie légère

« Le printemps de la vie est la saison des rêves heureux »

Adolphe de CHESNEL

Article hommage à mon père

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.