Que vous inspire le nom Panama ? Les vacances ? Ou pour les anciens, un chapeau de paille ? C'est de la deuxième définition dont nous allons parler, et même que ce type de chapeau a un rapport avec un curé originaire de Valff.

Non ! Ce n'est pas ce curé qui nous concerne, ni son chapeau ! Mais celui-ci ! Enfin ! Son chapeau !

Explications

Un atelier de chapellerie à Wingersheim au milieu du XIXe siècle 

Dans la première moitié du XIXe siècle, l'agriculture alsacienne entamait une véritable prospérité suivie d'une explosion démographique. Lors du recensement de 1836. On constate que les campagnes alsaciennes sont surpeuplées. Datée du 29 novembre 1860, une circulaire d'Eugène ROUHER, ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, constate que « Wingersheim est une commune populaire et pauvre » et que ses habitants sont « des natures alanguies sous l'attrait de l'insouciance ».

À partir de 1837 commence alors une période de mauvaises récoltes : les hivers sont rigoureux, pluvieux et neigeux. Au printemps et en été 1845. Des pluies excessives arrêtent la germination des cultures, retardent fenaison et moisson, favorisent la pourriture de la pomme de terre, la population est alors confrontée à une grave crise économique et surtout alimentaire. 

La municipalité de Wingersheim prend des mesures énergiques : le Maire Anton KRAENNER rédige un arrêté visant à aligner le poids du pain sur celui des communes avoisinantes et du chef-lieu du canton d'Hochfelden. Pour comble de malheur, l'industrie rencontre également une période difficile : le chômage s'installe et se répand parmi la classe ouvrière qui souffre encore davantage de la famine. Des accès de violence éclatent dans certains bourgs. Dans les campagnes, les juifs préteurs d'argent veulent récupérer leur argent. Les paysans endettés les accusent d'usure et déclenchent des émeutes. Des pillages de maisons juives ont lieu comme Hochfelden, Brumath, Haguenau ou Marmoutier. La gendarmerie doit même intervenir pour rétablir l'ordre. Suite à ces incidents, de nombreux juifs craignant pour leur sécurité quittent les villages pour se fondre dans l'anonymat des villes. 

L'appel entendu du curé Jakob Kleiber 

Au matin du 19 avril 1848, les paroissiens de Wingersheim apprennent avec stupeur la mort accidentelle de leur curé Georges GURY. Son successeur Jakob KLEIBER, nommé par l'évêque André RAESS, prend rapidement la mesure du travail qui l'attend. Non seulement les journaliers et domestiques agricoles vivent dans la pauvreté, mais aussi les artisans et les tisserands. Le recensement de 1846 mentionne de nombreuses familles dont les enfants s'adonnaient à la mendicité. Pour remédier à cette situation, le curé KLEIBER fait appel à Louis-Chrétien KAMPMANN, originaire du village voisin, Mittelhausen. Après des discussions persuasives, il le convainc d'ouvrir un atelier-entrepôt de chapeaux de paille dans le rez-de-chaussée d'une ancienne maison de maître, celle de Loyson-Schott, mise à disposition par leurs héritiers. 
 

Pour les enfants de 12 à 16 ans, la journée de travail ne pouvait excéder 12 heures et entrecoupées par un temps de repos. 

Pendant la période hivernale et la trêve des travaux agricoles, l'atelier de Wingersheim, sous le contrôle et la surveillance d'un contremaitre, employait environ 200 personnes de tous âges (enfants, femmes, valets de labours, journaliers …) comme tresseurs de chapeaux de paille (Hutflechter). L'espace disponible dans la demeure Loyson-Schott ne pouvant accueillir qu'une main-d'œuvre limitée, ces ouvriers et ouvrières saisonniers travaillaient le plus souvent à domicile. L'argent récupéré, grâce au tressage de la paille de blé et de la fibre textile d'une plante importée d'Amérique, permettait à de nombreuses familles de survivre et de renoncer à l'exode rural ou même à l'émigration vers l'Amérique ou l'Afrique du Nord. Les enfants de moins de 12 ans ne pouvaient être admis à l'atelier que si les parents ou tuteurs pouvaient justifier que l'enfant fréquentait une école. C'était une incitation à inscrire les enfants qui n'était pas encore obligatoire ; elle ne le sera qu'en avril 1871. Les quatre heures de battement entre la journée de travail pour les moins de 12 ans et celle des plus de 12 ans pouvaient être mises à profit pour des heures d'enseignement.

Ancien atelier de chapellerie de Wingersheim

Dans un rapport à l'administration française, le curé Johann Jakob KLEIBER constatait avec raison que des enfants de sa paroisse « ... jusque-là réduits à la mendicité avaient trouvé des ressources qui les mettent en mesure de venir en aide à leurs parents ». Les « natures alanguies » de la circulaire du ministre Eugène ROUHER « sont ainsi passées de leur paresse et de leur gêne séculaire au travail et à l'aisance ». Cet atelier de chapellerie a non seulement fait disparaître le paupérisme de la commune, mais une partie de l'argent qui s'y répandait profitait également à l'agriculture locale (1).

Qui était Jean-Jacques KLEIBER ?

Jacques KLEIBER (1803-1879)

Jean-Jacques est le deuxième garçon d'une fratrie de sept enfants. Il est le fils d'Antoine et d'Anne-Marie WILLMANN. Ses frères et sœurs ont pour prénoms : François-Antoine, Anne-Marie, Catherine, Marie-Odile, Caspar-Guillaume et Séraphin. 

Recensement de 1836.  La mère Anne-Marie est veuve, Caspar a choisi le métier de boulanger, Séraphin est laboureur et leur servante a pour nom Müller Thérèse. Leur habitation se situait au n°114 de l'époque, vraissemblablement à l'angle de la rue des Flaques et de la rue Principale.

Le n°114 actuel est l'hôtel restaurant au Soleil construit vers 1850

 

Louis-Chrétien KAMPMANN, le créateur de petits ateliers 


Né le 22 juin 1810 à Mittelhausen, Louis-Chrétien était le fils du chirurgien Jean-Frédéric KAMPMANN et de son épouse Catherine Elisabeth KALTENBACH. Il était issu d'une grande dynastie pastorale de quinze théologiens ou pasteurs exerçant notamment à Reitwiller, Waltenheim ou Ingwiller. Son frère Philippe-Auguste s'occupait de la charge pastorale de Brumath et de celle de l'institut de Stephansfeld. 

Dès 1838, répondant à l'appel de pasteurs et curés soucieux de fournir du travail aux démunis, il installe un premier atelier à Strasbourg au 11 rue du Bouclier. 

La même année, son concurrent Langenhagen frère, qui deviendra Langenhagen Fils et Hepp, publie une annonce que par suite à son achat de la société Desormeaux et compagnie à Sarralbe en 1837, il cède à Strasbourg, la vente et la gestion à son ancien commis M.L.CH. Kampmann. Grosse levée de bouclier de ce dernier ! Il dément dans le journal n'avoir jamais eu de dépôt de Langenhagen chez lui ! Il informe, "comme ils me cherchent à me nuire, qu'il se passerait désormais de leur marchandise."

 

1845 Il met au point un procédé moins agressif pour blanchir les chapeaux de paille usagés sans agresser la fibre. Il possédait un magasin dans sa maison d'habitation au 11 rue des Bouchers à Strasbourg.

En 1867, il employait 1650 personnes dans de petits ateliers dispersés dans les faubourgs de Strasbourg. Louis-Chrétien est décédé à Strasbourg le 11 avril 1893.

Rue Kampmann à Strasbourg en 1936 (Archives de Strasbourg)

Son fils Alfred Léon opta pour la France en 1871 et installa le siège de son entreprise à Épinal.

Le travail de la chapellerie

Lors de l'exposition universelle de 1867 à Paris, le commentateur du journal R.A. NOEL du Niederreinischer Kurier nous apprend, entre-autre, que les cheveux des perruques naturelles pour « nos élégantes » sont importés de Belgique, d'Allemagne et d'Italie pour un total de 68 000 kilos plus quelque 8000 kg « ramassés » dans les grandes villes et jusque dans les rues de Paris. Encore un signe de la grande pauvreté qui poussait les femmes et les jeunes filles à vendre leur longue chevelure !

Il écrit : « Dans la rubrique mode, le strasbourgeois A. Hock, inventeur du coton tressé qui ressemble à s'y méprendre à la paille que l'on utilise pour les chapeaux. M. Hock a ainsi obtenu la médaille d'argent pour ses créations de mode, ajustement et parures (2). Messieurs Latil et Cie, L. Ch. Kampmann et Langenhagen fils et Hepp sont les seuls exposants dans la mode de l'Alsace, celle des chapeaux de paille et de latanier. C'est à Mrs Langenhagen fils et Hepp de Strasbourg et Sarre-Union que revient toute la gloire de l'introduction en Alsace de l'industrie du chapeau de latanier et à celle de M. Kampmann d'avoir perfectionné et répandu cette industrie d'une manière considérable ».

Usine Kampmann 

Latanier

Récolte des feuilles de lataniers de la famille des palmiers

« Lors de l'exposition de 1867, le comité a eu l'idée d'inviter des ouvriers et ouvrières alsaciens qui présentèrent les différentes opérations auxquelles sont soumises les feuilles avant d'être transformées en chapeau, du tressage au tricotage des filaments en passant par de la couture ».

Le tressage

« Jean-Chrétien KAMPMANN a également reçu une médaille d'argent pour l'extension qu'il a donné à cette industrie, employant en 1867 pas moins de 2000 ouvriers dont 1500 femmes. Ses ateliers produisent annuellement 500 000 chapeaux et panamas ! En 1866, il a été importé au Havre 1000 tonnes de latanier ».

« Les premiers chapeaux de lataniers (ou chapeaux brésiliens) furent importés d'Amérique latine en France en 1834. Comme il n'existait aucun ouvrier capable de tresser ces chapeaux, on a entrepris de les détresser pour les remonter ensuite. L'apprentissage fut long, pénible et coûteux. Pourtant, après une dizaine d'années, apparue au Neufof le premier établissement Kampmann. L'apprentissage se fait au frais de la maison. Les enfants de moins de 12 ans doivent justifier un apprentissage à l'école. Tous les ouvriers travaillent à la pièce. Pour les ouvrières, afin qu'elles ne subissent la pression de l'ouvrage, la direction a fondé une Caisse de Prévoyance alimentées par des cotisations minimes. Ces cotisations peuvent se faire en argent ou en "Cartes-prime" pour les ouvrières qui livrent des chapeaux irréprochables. Les tresseuses qui, au bout d'un certain temps, n'ont pas gagné de cartes-prime sont exclues de la communauté de Prévoyance et remboursées. Au bout de trois ans, il y a la liquidation des versements du patron, des cotisations restantes et des intérêts et le tout est partagé à toutes les participantes et versé sur un livret de la Caisse d'Epargne », par R. A. NOEL.

(1) "Kochersbari" 2007, associations des amis de la maison du Kochersberg par Jean-Claude OBERLE

(2) La société Albert HOCK et fils a fait faillite pour ses magasins à Schiltigheim et Paris en 1882

Source : Gallica

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.