L'acte le plus ancien témoignant d'une présence juive à Valff date de 1614. Il est fait mention lors d'une vente dans le haut village d'une propriété appartenant à un certain Adam le juif. Mais les archives nous en apprennent encore d'avantage.
La synagogue
Un renouvellement de bien de 1668 atteste que BARACH der alt habitait à l'endroit de la future synagogue. A cette époque les familles juives s'appelaient MECHEL, LEIMER, LAZARUS, BARACH le vieux, BARACH le long et MATIS. En 1721, un lieu de culte avait été aménagé au premier étage d'une maison d'habitation et louée à Isaac WEYL par les sires d'Andlau pour 2 onces d'argent à 3 schilling 4 pfennig. Dans les comptes des nobles d'Andlau de 1744, dans la liste des maisons louées à Valff, aucune maison n'est répertoriée louée à un juif. Les chefs de famille juifs présents s'appelaient alors Aaron le jeune, MEYER, SCHMAULEN, EISIG, Elias, Aaron MACKH, David SALOMON, Alexander, BARACH le jeune et BARACH Elia. Chaque famille devait annuellement payer une redevance de 12 florins au seigneurs d'Andlau appelée « droit corporel et droit d'habitation ». Nous ne connaissons exactement la date d'acquisition de la propriété, mais elle semble se situer entre ces deux dates. Aucune synagogue n'est mentionnée dans la liste des biens nationaux imposés à la vente aux nobles d'Andlau à la révolution.
Au courant du XVIIIe siècle, la population israélite est en constante augmentation. En 1850 leur nombre s'élève à 110 personnes. Le 28 août 1849, la communauté de Valff informe le Préfet que l'ancienne synagogue menace de tomber en ruine. Inscrit comme lieu de culte, il impute à la commune d'en assurer l'entretient. Nous ne disposons que de peu d'informations au sujet de cette ancienne synagogue.
La description de cette ancienne synagogue est détaillée comme suit : « Un ancien bâtiment construit au centre du village qui se compose d'un soubassement en maçonnerie surmonté d'un étage en bois. Le soubassement est divisé en deux parties, l'une qui sert de cave appartient à un habitant de Valff, l'autre partie servant d'abattoir appartenant à la communauté juive. Le premier étage servant de synagogue est également la propriété de la communauté ».
Novembre 1789
Un décret met les biens du clergé à la disposition de la Nation. En contrepartie, l’État s’engage à « pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises, presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres ainsi que les synagogues ».
La communauté juive demande par conséquent en 1849 au Préfet d'intervenir auprès du Conseil municipal de Valff pour qu'il vote les crédits nécessaires pour la reconstruction d'une nouvelle synagogue. La communauté juive qui ne compte que 17 pères de famille environ ne peut subvenir totalement à la reconstruction qui se monte à 5000 francs. Elle propose de participer à raison de 3000 francs. Le nouveau projet présenté par la communauté indique un bâtiment de 8,10m de large, de 9,10m de profondeur et de 6,25m de haut. A l'intérieur sur 3 côtés, une galerie pour les femmes. On obtiendrait 32 places pour les hommes et 40 places pour les femmes.
Délibération du 13 mars 1853
Par délibération du 30 septembre 1849, la commune de Valff donne une nouvelle fin de non recevoir considérant que le budget ne lui permet pas de participer au financement de la construction. Fin du premier acte. 1851. Nouvelle demande, nouveau refus. Idem pour 1852.
Le 13 mars 1853, le Préfet de Sélestat accuse réception du Maire de Valff d'une délibération du Conseil Municipal du 31 août 1852, par laquelle ce dernier a rejeté une nouvelle fois la demande de la communauté israélite tendant à obtenir une subvention pour la reconstruction de la synagogue et prend note que la commune avait apposé un premier refus en septembre 1849. Il y a les chemins à entretenir, l'Andlau à curer, rembourser l'achat de la nouvelle horloge de l'église St Blaise, etc. Et le Préfet de répondre : « Or il s'agit d'une somme de 1200 à 1500 francs. La commune de Valff, son budget le prouve, pourrait la fournir en trois ou quatre annuités sans avoir besoin d'aucune ressource extraordinaire. Je l'engage donc à constater son bon vouloir par un vote de principe qui permettrait l'exécution des travaux dont l'urgence n'est point contestée ».
Le Sous-Préfet intervient à nouveau le 25 mai 1853 et propose à la commune de se libérer en trois ou quatre annuités en commençant par l'exercice 1854. Le lendemain, 26 mai 1853, le Maire JORDAN signe une délibération allouant à la communauté israélite une subvention de 1200 francs en 4 annuités dont la première sera payable en 1854. Il est très intéressant de relever les considérations figurant dans cette délibération : « Que néanmoins le Conseil pourra faire face à la dépense qu'on cherche à lui imposer et qu'il espère que l'année 1854 présentera une situation plus favorable et lui permettra de disposer de quelques cent francs annuellement ».
La construction peut finalement débuter. La communauté juive, quant à elle, soumet de son côté, une souscription qui rapportera un montant total de 2750 francs suivant cet état nominatif :
Toutes les tractations ont été menées par Aron BLOCH, commissaire et représentant de la communauté juive auprès des Pouvoirs Publics. Pour information, 100 francs en 1850 vaudraient (en pouvoir d'achat) une somme équivalente à environ 320 euros aujourd'hui. Les 5000 francs du prix de construction correspondraient convertis à 25 000 euros actuels. Le bâtiment est construit et la communauté prospère pour atteindre un maximum de 130 personnes dans les années 1860.
Plan représentant l'emplacement en rouge de la synagogue en 1893
En 1841, les maisons du n°181 au 186 de l'époque, étaient toutes habitées par des familles juives. Y résidaient les familles WEILL, ZIEGEL, HEUMANN et KLEIN soit un total de 25 personnes. En 1856, y habitait la famille LEVY Elie, marchand de bestiaux. A gauche de leur maison vivait le maréchal ferrant Joseph MEYER dont l'atelier fut repris par Joseph PFLEGER dans les années 1860. Dans les années 1880 la maison n°181 sur la route Principale devant la synagogue était habitée par le boucher et marchand de bestiaux juif, HEYMANN, KAHN Aaron ainsi que la famille WEILL Baruch, marchand de bestiaux et de chiffons (la maison restera dans la famille Weill jusqu'en 1949).
Dénombrement de la population. La famille de WEYL Baruch "trafiquant" dont Aaron alors âgé de 3 ans en 1966
Loi de séparation des églises et de l'Etat de 1905
Le culte israélite est organisé en consistoires départementaux. Les établissements publics sont sous la tutelle de l’État, notamment pour les opérations d’acquisition à titre onéreux et sur la vente de biens immeubles, de rentes ou valeurs garanties par l’État qu’ils réalisent ainsi que sur les dons et legs qui leur sont consentis. En 1917, trois des membres dont le président Simon LEVY du comité directeur israélite de Valff décèdent en l'espace de deux ans. Sont élus à la place Virgile LEVY, Moïse LEVY et Gustave WEYL. Le nombre d'enfants israélites ne cessant de diminuer, l'instituteur religieux et chantre Léo BLOCH de Valff, se verra contraint de faire à pied la tournée des villages de Valff, Zellwiller et Stotzheim, et cela tous les dimanches et pour donner un cours religieux à un total de 7 enfants !
En 1936, il ne reste plus que deux familles juives à Valff. Toute la communauté a émigré à Barr, Obernai ou Strasbourg. La petite maison n°182 devant la synagogue restait encore habitée par le vieux Aaron. Le petit homme vêtu d'une blouse élimée, poussait une vieille Kutsch où il mettait les peaux de lapins qu'il achetait dans la région. Les « trafiquants » comme on les appelait parfois dans les registres, passaient dans les rues pour inviter les habitants à vendre, en appelant : « Lombe, Kenielebeltz, altise, chocolandepapier » (chiffes, peaux de lapins, ferrailles, papier aluminium des tablettes de chocolat). Aaron était un personnage dans le village, mais tous le respectait malgré sa grande pauvreté. Quelques jeunes, par contre, lui vendaient des peaux à l'avant de sa maison pendant que d'autres lui décrochaient celles qui séchaient à l'arrière pour lui les revendre la semaine suivante ; les fripons ! Qu'est-il devenu pendant la guerre ? Nous en reparlerons un peu plus loin.
Cette année-là, le Consistoire israélite décida de désacraliser la synagogue. Un dernier culte se déroula en présence de toutes les familles juives natives de Valff et de tous les juifs des environs, de sorte que la synagogue s'avéra trop petite. Furent également présents, entre autres, le maire Charles RIEGLER, le curé FALLER et le maître d'école GUGUSMUS. La cérémonie était présidée par le rabbin BLOCH de Barr qui, dans son sermon exprima, les sentiments de douleur ressentis dans la communauté juive pour l'abandon d'une maison de Dieu qui, pendant 100 ans, partageait les joies et les peines des israélites de Valff. Les énormes rouleaux d'écritures furent remis au doyen pour les conserver dans la synagogue de Barr. En fin de cérémonie, une prière fut dite pour le salut de la France. André VOEGEL se souvenait que le pauvre Aaron a beaucoup pleuré à cette occasion et était inconsolable.
Dernières Nouvelles d'Alsace du 29 mars 1936
Déjà en 1935 le Consistoire avait commencé à faire l'inventaire du mobilier. Les tractations pour la vente du bâtiment allaient bon train. Le curé FALLER de Valff proposa de l'acheter avec le soutien du Maire avec l'intention d'en faire un centre culturel pour les associations et éventuellement une maternelle.
Le déménagement du mobilier se montera à 502 francs. C'est Julien WEILL qui s'occupera de démonter l'autel. Rien que pour le démontage de l'Aron Hagodesh ou arche sainte, il demandera 150 francs. Un fauteuil et de la vaisselle iront à la synagogue d'Obernai, le Sephar Tohra à la chapelle de l'hospice Elisa de Geispolsheim. La maison et le terrain de 6 ares 67 est proposé à la vente aux enchères en date du 21 octobre à 14 heures à la mairie de Valff. Séraphin VOEGEL, un voisin dont la propriété dans la rue des forgerons touche à l'arrière à la parcelle, propose directement au Consistoire d'acheter le bien pour la somme de 5500 Frs. Le Consistoire rejette la proposition considérant que l'ensemble vaut le double. Séraphin décide d'accepter l'offre et devient acquéreur pour 10 000 francs. La vente aux enchères est annulée, la commune et le curé sont écartés. Séraphin VOEGEL gardera une dent contre le curé qui aura contribué à faire monter le prix, la loi du marché ! Après le décès d'Aaron WEILL, il se rendra également acquéreur de la maison de ce dernier.
Séraphin VOEGEL
Séraphin VOEGEL accepte de payer la somme de 10 000 francs pour l'acquisition de la synagogue
Et qu'est devenu notre Aaron ?
Maison de Aaron WEYL dit "d'r Aaron" au centre. Derrière le portail, la maison des soeurs garde-malades. Le chemin entre les deux maisons permettait d'accéder à la synagogue
A l'arrivée des troupes allemandes, il fut expulsé en zone libre française où il passa les années de guerre près de Chambéry. A la fin des hostilités, « d'r Aaron » (1), pu à nouveau regagner sa maison natale. Déjà très âgé, il vécu encore deux ans après la fin de la guerre et sera enterré au cimetière israélite de Rosenwiller.
Cimetière juif de Rosenwiller en 1935 (Archives de Strasbourg, Fond BLUMER)
Maison n°174 de la rue de l'église en 1935
(1) Aaron de son vrai nom, Aron WEILL est né en 1863. Il avait 4 soeurs, Marie, Henriette, Pauline décédée à Valff en 1928 et Madeleine. Il est resté célibataire. Il décéda à Strasbourg en janvier 1947 à 84 ans. Il était le fils de BARACH, marchant de fripes et de bestiaux, mort en 1905 à 99 ans et BLUM Françoise morte en 1883. La famille habitait à l'origine au n°174 de la rue de l'église et s'est installée au n°182 devant la synagogue dans les années 1870.
Sources : archives départementales du Bas-Rhin