Au début du XXe siècle, les automobiles, sont de plus en plus présents sur les routes et campagnes alsaciennes. À Valff, un fait-divers anodin se transforme en révolte générale. L'année suivante, un accident de la route fauchera une vie. Le progrès fait ses premières victimes.
2 septembre 1913 : Consternation !
Le village est en ébullition. Une automobile conduite par un inconnu traverse le village à tombeau ouvert !
La machine infernale écrabouille au passage quelques poulets, mais elle a surtout aplati le beau chien de l'aubergiste Léo GYSS du restaurant au Soleil. Personne ne peut relever le numéro d'immatriculation. Du poste de télégraphes contigu au restaurant, on s'empresse de téléphoner aux communes voisines afin de recueillir des informations. L'auteur restera impuni !
La machine à moteur traversa le village à la vitesse ahurissante… d'un cheval au galop, d'au moins… 30 km/h ! La vitesse maximum possible pour de ces bêtes hurlantes.
Pas étonnant qu'en 1906 le Président de la Région Alsace recevra du Président de l'automobile club d'Alsace, Léo Schlumberger, une demande d'informer l'Inspecteur Académique afin qu'il prenne l'initiative de demander aux maîtres d'école d'exposer aux élèves alsaciens, et par extension à leurs parents, le thème de la non-dangerosité et de l'utilité économique future, de ces machines qui font du bruit et de la fumée.
Dans bons nombres de villages alsaciens, des personnes avaient érigé des barrages, semés de clous ou de tessons de bouteilles et bombardés les véhicules avec du fumier ou de cailloux et même... de crottes (Koat dans le texte).
Était-ce pour cette raison que le chauffard de Valff traversa le village pied au plancher ?
Lettre envoyée par Léon Schlumberger au Elssässischem Bezirkspräsident au sujet des agressions perpétuées par la population envers les conducteurs de « Motorenwagen » (voitures à moteurs) et demandant d'informer les Kreisschülinspektoren.
La première victime de Valff
Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour comptabiliser la première victime originaire de Valff. Le 4 juin 1914, le journal das Elssass Tageblatt relata le fait-divers suivant :
" Hier soir, vers 20 heures, s'est déroulé un grave accident automobile. Une voiture originaire de Belgique (le journal Strasburger Post affirme qu'elle venait de Hongrie) entra en collision avec un cycliste sur la route de Colmar entre Graffenstaden et Neudorf. Le cycliste décéda sur le coup. Il semble qu'il se rompit le cou. Dans ses papiers, on découvrit une fiche de paye de l'usine de machine de Graffenstaden au nom d'Auguste KORMANN, magasinier. La police ordonna une autopsie. Quoique les premières constatations semblaient indiquer que le cycliste serait en faute, la voiture a été immobilisée pour expertises. Le malheureux habitait à Illkirch, son épouse étant restée chez ses parents dans son village natal de VALFF. La victime est née le 14 juillet 1890 à Valff." (1)
Femmes travaillant dans l'usine pendant la Première Guerre en remplacement des hommes. L'usine construisait des machines-outils et des locomotives. Le jeune Ettore BUGATTI y construisit ses premières automobiles en 1903.
(1) Auguste Kormann était le fils de l'agriculteur Florent Kormann et de son épouse Caroline Sablong. La famille habitait dans la rue de l'église au n° 169. Auguste était le benjamin d'une famille de 15 enfants dont six frères et huit sœurs. Lors de son accident, les parents étaient décédés. Son épouse, d'après l'acte de décès dans les registres de Strasbourg, a pour nom, Marie Joséphine Motschwiller de Châtenois.
Qui est Joséphine ? Elle était servante. Elle a épousé Joseph, le frère d'Auguste en 1896 avec qui elle avait eu deux enfants. Or, Joseph, le frère d'Auguste, ne décèdera qu'en 1945. Ont-ils divorcé et se serait-elle remariée avec Auguste ? En 1896, lors du mariage de Joseph et de Marie Joséphine, Auguste n'avait que six ans. Joséphine décèdera à Valff le 1ᵉʳ septembre 1944 et Joseph le 14 novembre 1945 et, dans les deux actes... ils sont déclarés mariés l'un avec l'autre ! On peut donc logiquement supposer que l'acte de décès d'Auguste à Strasbourg est erroné. Comment est-ce possible ! Après un accident de la route, un accident administratif !
Auguste habitait à Graffenstaden au n° 13 de la rue Bürgelweg.
6 juin 1914 Acte de décès d'Auguste (marié, dans le texte, avec Marie Joséphine Motschwiller)
Sources : Gallica, Adeloch, archives départementales du Bas-Rhin.