Chars américains du 48th Tank Batallion mis hors de combat par mines à Barr le 28 novembre 1944 (Source : 14thad.org). Avis à nos lecteurs : les historiens américains recherchent où exactement ces clichés ont été pris à Barr. Quelqu'un arriverait-il à les identifier ?
Si les archives américaines s'arrêtent toutes très longuement sur les durs combats menés pour la libération de Barr le 28 novembre, le bref passage américain à Valff n'est pas oublié. Enquête dans les archives du 48th Tank Batallion et de la 14th Armored Division.
Le 27 novembre, une colonne américaine entre dans Valff. Elle se compose d'éléments de la: 3ème section, de la Compagnie B du 48th Tank Batallion (48ème Bataillon blindé) de la 14th Armored Division (14ème Division Blindée américaine) commandée par le Major General Albert C. SMITH à partir de septembre 1944, renforcée d'éléments de la Compagnie A, dont le char du sergent Charles E. SMALL. Pour rappel dans l'armée américaine, en 1944 :
- section : 20-60 hommes (en anglais « platoon »)
- compagnie : 100-150 hommes
- bataillon : 300 à 800 hommes, 1 bataillon blindé possède environ 68 chars
- division : division blindée théoriquement à 10 967 hommes équipés de 900 véhicules divers et 204 chars
L'histoire de la 14th Armored division (14ème Division Blindée américaine)
Formée le 28 août 1942, la 14th Armored Division arrive directement en France via le port de Marseille le 29 octobre 1944. A cette date, depuis les débarquements de Normandie (6 juin 1944) et de Provence (15 août 1944) les alliés ont déjà libéré plus de la moitié du territoire français, et s'approchent des Vosges.
La division arrive sur le front le 12 novembre dans les environ d'Épinal où elle entre pour la première fois en action. [NDRL : lorsque des éléments arriveront à Valff le 27, ils n'auront donc pas eu une longue expérience du front, n'étant engagés que depuis 2 semaines]. Elle est engagée dans la plaine d'Alsace, et se distingue dans les combats à Benfeld, Barr, Gertwiller, et bien sûr Valff comme nous l'expliqueront.
Elle fait ensuite route vers le Nord pour attaquer directement le territoire allemand le long de la Lauter. Elle est en première ligne lorsque les allemands contre-attaquent début janvier 1945 pour tenter de reprendre l'Alsace, et elle livrera un combat héroïque dans Hatten, que nous évoqueront prochainement sur ce site.
Après s'être battu de façon quasi continue durant 3 mois, elle est placée au repos pour remise en condition opérationnelle en février et mars 1945, pour finalement être réengagée le 15 mars 1945 afin de percer la ligne de défense allemande « Siegried ». La division progresse en Allemagne, notamment en libérant nombre de camps de prisonniers et de camps secondaires du camp de concentration de Dachau. A la fin de la guerre, la division aura perdu 505 tués, 1955 blessés, 81 disparus et 212 prisonniers de guerre libérés à la fin du conflit, dont 2 tués et de nombreux blessés pour la libération de Valff le 27 novembre 1944.
Le récit de la libération de Valff par le journal demarche du 48th Tank Batallion
[Ce paragraphe est le résumé du journal de marche du 48th Tank Batallion ajouté des notes du journal de la division]
La 3ème section du 48th Tank Batallion, stationné près d'Urmatt reçoit la mission de progresser jusqu'à Sélestat. Pour cela, l'unité passe par Molsheim, Duttlenheim, Iennenheim, Krautergersheim et finalement Meistratzheim. Cet axe de progression est le flanc Est de la 7ème Armée américaine, et est supposé très exposé aux défenses et contre-offensives allemandes qui viendrait du secteur de Erstein / Benfeld.
Arrivant à Meistratzheim, ils ne peuvent franchir l'Andlau (problème que rencontrera aussi la 2ème DB le lendemain sans avoir eu l'infirmation des américains de la destruction du pont ! Si la 2ème DB coupera à travers champs le 28 novembre pour entrer dans Valff par le Nord-Est, les américains eux se déroutent sur Niedernai, Bourgheim, pour revenir sur leur itinéraire de progression assigné qui passe par Valff. Ils entrent donc dans Valff par l'Ouest. Lorsqu'ils entrent dans le village, après avoir progressé toute la matinée sans résistance particulière, il est environ 13h40. Mais là tout change. Les allemands avaient prévu de défendre Valff.
Comme déjà résumé, le char Sherman de tête est touché par un tir anti-char allemand (Panzerfaust), tuant 2 militaires dont le chef de char le Sergent Charles E. SMALL. Le char du sergent William E. McCAULEY prend alors la tête de la colonne et progresse dans le village. La configuration du village est extrêmement propice à des embuscades. Les américains craignent par dessus tout les tireurs isolés « sniper » nichés dans les toits, et les tireurs anti-chars de Panzerfaust, qui sortent de cachettes à quelques mètres du char tellement rapidement que l'équipage n'a pas le temps de réagit.
Préventivement, les américains mitraillent quasi toutes les maisons de Valff, surtout les toits. Au milieu du village (en face de l'actuel garage VOEGEL, environ 199 rue Principale), le char de McCAULEY repère une équipe anti-char allemande. D'après les archives américaines, il fait feu à la mitrailleuse. D'après les témoignages de Valffois, c'est bel et bien au canon qu'il va tenter de déloger les soldats allemands, endommageant plusieurs maisons. Sans succès.
A la sortie du village vers Zellwiller, 4 soldats allemands sont tués dans un fossé.
La progression de la colonne américaine est extrêmement lente. S'ils entrent dans le village vers 14h, il leur faut 4h pour progresser méticuleusement, avec très grande prudence. Si bien qu'ils ont définitivement pris le contrôle du village seulement à la nuit tombée. L'objectif suivant Zellwiller ne peut être atteint. L'unité va devoir se mettre en position défensive pour la nuit avant de reprendre la progression le lendemain.
Comme nous le savons, cette position défensive ne sera pas Valff, car les américains vont se replier et « abandonner » le village. Les soldats allemand reviendront dans la nuit, et récupéront le village, qui devra dont être libéré une deuxième fois. En l'occurrence, les américains se replient sur Meistratzheim [d'après les archives du 48th Tank Batallion. Les dires des valffois tendent plutôt à indiquer un repli jusqu'à Obernai].
Les archives américaines apportent un précieux témoignage, pourquoi Valff n'a pas été défendue et que les américains se sont repliés, et ce, malgré les combats menés : ils craignaient clairement une contre-offensive allemande. Les éléments présents à Valff sont avant tout des élements de reconnaissance, et étaient insuffisants pour tenir la ligne de front, et trop avancés par rapport au reste de la division, et surtout, ils n'ont pas eu le temps de mettre en place des positions défensive pour tenir le village au moment où la nuit tombe.
En outre, d'après les archives du 48th Tank Batallion, le village était soumis à d'importants tirs d'artilleries [NDLR : chose qui n'est pas avérée par les dires des valffois. Le rapprt de l'officier américain aurait-il exagéré ce point pour justifier son repli ?]. Durant la nuit, les allemands réinvestissent le village.
Le lendemain, les américains ne reviendront pas à Valff. La réorganisation de la 7e Armée américaine fait que 2 axes de progressions sont définis pour « foncer » sur Sélestat. Les français de la 2e DB devront passer par Valff-Zellwiller-Stotzheim-Ebersheim.
Les américains eux, renforcés d'éléments qui passeront les Vosges suivant un axe Barr-Andlau-Dambach pour prendre Sélestat par l'Ouest. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. La 2ème DB devra livrer de lourds combats pour libérer à nouveau Valff puis surtout Zellwiller. Les américains eux tomberont sur une résistance allemande fanatique à Barr. Sélestat ne sera libérée que le 2 décembre 1944.
Analyse
Si on a tendance à idéaliser l'armée américaine, libératrice de la France, l'action menée à Valff mais surtout à Barr démontre des faiblesses majeures.
Plusieurs chars Sherman sont mis hors de combat « assez facilement » par les allemands (tant à Valff, à Bourgheim, Zellwiller, Barr). Ce modèle de char est alors clairement dépassé et n'est plus adapté pour résister aux nouvelles armes anti-char allemandes. A partir de novembre, beaucoup de char Sherman sont ainsi recouverts par leurs équipages par des compléments de blindages de fortunes : sacs de sables, troncs d'arbres, etc ! Avec plus ou moins de succès. En l'occurrence, le char détruit à Valff n'a pas eu cette chance.
D'autre part, l'action sur Barr, largement analysée montre une impréparation générale. Les américains foncent tête baissée sur Barr, sans se douter de l'opposition allemande qui les y attend. Surtout, ils tombent dans le piège allemand qui voulait les obliger à mener un combat urbain extrêmement meurtrier. Le combat en ville est depuis tout temps la hantise des états major.
Chaque fenêtre, chaque objet peut devenir un piège ou un lieu propice à une embuscade, avec l'avantage aux défenseurs. Même un petit village comme Valff recèle de milliers de cachettes, qui permettent à 1 seul soldat allemand, doté d'une arme légère « Panzerfaust » de détruire un char.
A Valff, les libérateurs américains n'ont pas laissé une bonne image. Nous l'avons vu ils ont « abandonné » le village après l'avoir libéré un première fois [nous en expliquons les raisons, et il n'y a là aucunement « abandon »], mais surtout, ils ont causés des dégâts importants par leur passage : toutes les maisons du village ont été mitraillées par peur d'embuscades.
En remettant dans son contexte, il ne faut pas oublier que la colonne américaine, à peine entrée dans Valff a perdu 1 char, 2 hommes et eu de nombreux blessés. La tension est donc palpable, mais surtout la peur d'embuscades. La progression dans la rue principale de Valff est décrite comme très dangereuse. De chaque maison ou chaque cour peut surgir une embuscade allemande. Les rues perpendiculaires à la rue Principale (Thomas, des Flaque, Meyer, etc) sont autant d'angles de tirs possibles vers les éléments américains qui progressent dans la rue principale. Heureusement, et contrairement à Zellwiller ou Barr, la résistance allemande n'a pas lieu dans le village mais en périphérie, ce qui limitera considérablement les dégâts dans le village. Par chance aussi, aucune perte civile n'est à déplorer.