Les mariages étaient traditionnellement fêtés en grande pompe, surtout dans le milieu des familles d'agriculteurs. Les festivités duraient deux jours, car une noce ou une première communion étaient considérées comme un événement particulier qu'il fallait fêter dignement. On prenait le temps de festoyer, on ne connaissait pas le stress comme dans les proportions actuelles. On pouvait se marier un samedi, mais de préférence au milieu de semaine et notamment aux mois de faibles activités agricoles, sauf en cas d'urgence en route !
Les mariages à la campagne au XXe siècle en Alsace
Les réjouissances se préparaient longtemps à l'avance. Elles avaient lieu en principe au domicile de la mariée. Le cortège nuptial attirait toujours la curiosité de la population, et spécialement de la gent féminine massée le long du parcours, qui profitait et se régalait pour admirer et commenter les belles toilettes de ces dames, et naturellement la robe de la mariée ! [en savoir pourquoi la robe de la mariée était noire].
Mariage de Charles Blaise VOEGEL et Anna LANG le lundi 30 janvier 1928
Une ancienne coutume transmise depuis la nuit des temps voulait qu'on invitât aussi les conscrits de l'année pour accompagner le cortège. Tout au long du parcours, le cortège était annoncé par des salves de mortiers d'honneur, Mörser, tirées par les jeunes conscrits. Plus tard, les maires ont interdit cette coutume en été pendant le séjour des cigognes qui s'effarouchaient et fuyaient en abandonnant leur nid avec la couvée. La pétarade était impressionnante et la disposition prise par le maire était bonne. En récompense de leur service, on gratifiait les conscrits d'un montant d'argent, d'un nombre important de pains longs ainsi que de saucisses de Lyon (Lyonerwurscht) ce qui leur permettait de fêter cet événement de leur côté.
Conscrits de la classe 1934
Une autre tradition, tombée depuis longtemps dans l'oubli, mais dont je me rappelle encore, date d'avant la dernière guerre. Après l'office religieux et le cortège rentré au domicile de la mariée, le jeune couple se montrait à la fenêtre pour recevoir les applaudissements des habitants et surtout des enfants. Pour montrer leur reconnaissance et pour prouver démonstrativement leur appartenance à la caste des privilégiés, le couple jetait par la fenêtre des pièces d'argent. On pouvait ramasser des pièces de 5 - 10 - 25 - 50 centimes et jusqu'à des pièces de un franc d'avant-guerre, ce qui était considérable. Les montants ainsi « jetés par la fenêtre » pouvaient atteindre des sommes importantes, ce qui ne manquait pas d'alimenter les commentaires des médisants ...
Le mariage civil devant Monsieur le Maire, officier de l'état civil, était toujours contracté la veille au soir avant la cérémonie religieuse du lendemain qui était célébrée le matin. Le repas de noce occupait pratiquement tout l'après-midi par son ampleur. À titre d'exemple, je donne ci-dessous le menu de notre mariage en date du 27 septembre 1947 :
- Déjeuner :
- Consommé royal
- Hors d'œuvre riche
- Bouchée à la Reine
- Turbot poché et sauce rémoulade
- Beurre noisette
- Sauce verte
- Filet de porc à la jardinière
- Asperges en branches
- Dindon rôti
- Salade de saison
- Dessert :
- Vacherin glacé
- Biscuit de Savoie
- Tartes aux fruits
- Crème au Kirsch
- Petits fours
- Café - Mirabelle
Sur le menu, on ne citait pas les vins. On servait des vins du vignoble de Valff spécialement préparé pour les fêtes. Il s'agissait en principe de vins blancs ou rouges à haut degré d'alcool et fortement chaptalisés. On disait de ces vins le « Einzinger » ce qui voulait dire qu'il n'était pas mélangé avec de l'eau par opposition au « Trenkwin » qui lui était beaucoup moins fort et servait à la consommation quotidienne. Pour le dessert, on ouvrait quelques bouteilles de « Bettschierter », bouteilles bouchonnées en provenance d'un viticulteur du Piémont.
Le soir venu, tout le monde n'avait qu'une envie, c'était de se dégourdir les jambes après ce repas copieux et bien arrosé. Conformément aux usages, les invités se mettaient alors en route et faisaient le tour des bistrots, musique en tête. À Valff, il y avait cinq bistrots qu'on passait en revue sans exception ! On dansait au son d'un accordéon et du tambour avant le dîner qui comportait au minimum encore deux plats, plus les desserts et jusqu'après minuit.
Mariage à Gertwiller dans les années 30
Le jeune couple, s'éclipsait discrètement avec la complicité de la mère de la mariée pour aller passer leur première nuit de noce. Aussi, il faut le signaler, les choses sexuelles se passaient différemment que de nos jours. La nuit de noce était effectivement la première nuit passée ensemble. Les jeunes mariés ne passaient jamais la nuit de noce dans un lieu dévoilé à l'avance, car dès leur disparition, les autres jeunes invités se mettaient ardemment en quête pour les retrouver. Il était impératif de les faire sortir du lit ! Le but était de leur apporter de quoi manger et de quoi boire pour les revigorer de leurs efforts physiques, les pauvres !
Cette recherche nocturne était très amusante, les voisins, la famille et les connaissances étaient alors réveillées et quelle joie si la recherche était couronnée de succès ! Malheur au couple dont le lieu de la nuit de noce était connu à l'avance. On pouvait s'attendre à tout, un lit démonté ou qui tombait en pièces lors des ébats, ou toutes sortes d'attrapes sous les draps pour faire sauter la mariée de peur.
Musée du pain d'épices Lips à Gertwiller
On savait s'amuser avec des choses simples ! Le reste de l'année, la vie était suffisamment dure pour apprécier ces petits moments de réjouissances.
Retrouvez les informations pratiques et utiles pour les étapes de la vie chrétienne dans l'article de la Communauté de paroisses aux Portes du Bruch.
Sources :
- Mémoires d'André VOEGEL (1925- 2017)
- Fond BLUMER, archives de Strasbourg