Elle mesure 1,63 mètre, ses cheveux sont noirs, le front est haut, des yeux noirs perçants, un grand nez, le visage ovale et le menton rond. Elle sort de prison où elle a séjourné pendant trois mois et un jour. Le tribunal correctionnel de Strasbourg l'avait condamné pour le délit impardonnable… celui de vagabondage ! Elle est incarcérée à la maison de Correction Ste Marguerite de Strasbourg.

Anne-Marie BITTEL est née à Valff. Elle choisit à nouveau après sa libération de s'établir dans la commune. Strasbourg lui est désormais interdit pour les cinq prochaines années. Au cas où elle aurait l'intention de s'installer ailleurs, elle a obligation de le signaler au maire, trois jours avant son départ, sous peine d'un nouvel emprisonnement allant jusqu'à cinq ans. Nous sommes le 21 mai 1843. Anne-Marie a 45 ans. Qui est-elle ? Et pourquoi et comment en est-elle arrivée là ? 

Anne-Marie est la fille de l'agriculteur Jean et de son épouse Anne marie VOGEL. La petite Anne-Marie voit le jour le 13 messidor de l'An 3 (1 juillet 1795). Ce que l'on sait, c'est que la petite est une Nonchgeschlupft's ou, en d'autres termes, un enfant conçu dans l'âge. Son père a déjà 53 ans et sa mère en a 48. Jean décède en 1818. Sa mère 9 ans plus tard. Ils habitaient au n° 126 de l'époque. Anne-Marie se retrouve seule.

Ses frères et sœurs sont mariés. Aucun prétendant ne se présente. Qui voudrait d'ailleurs de cette pauvrette ? En plus, son oncle, François Antoine Rosfelder, s'est également attiré des ennuis avec la justice. 1850  François-Antoine Rosfelder, 61 ans, journalier, né à Valff est déclaré coupable de vols commis avec  situations aggravantes, il est condamné à six années de réclusion et à la surveillance de la Haute Police pendant toute sa vie et à l'interdiction et à la dégradation civique. 

Anne-Marie décide de tenter sa chance dans la grande ville. Mal lui en prend, elle tombe rapidement dans la misère, est accusée d'abus de confiance et est condamnée. Elle disparaît rapidement des registres. Le regard suspicieux des braves gens lui est sans doute devenu insupportable. On sait qu'elle a vécu encore quelque temps à Valff, puis plus rien ! 

François Antoine BITTEL, l'aubergiste

En 1853, la commune demande une levée d'hypothèque concernant François Antoine BITTEL, aubergiste et épicier et de son épouse Catherine ANDRES. Il est le cousin d'Anne-Marie. BITTEL a fait un emprunt à la caisse de bienfaisance d'une somme de 500 francs. En garantie, il a consenti à hypothéquer sa maison familiale au 135 de la rue Principale, ainsi que ses terres et ses prés. Mais voilà ! La maison et les terres sont déjà hypothéquées pour un autre emprunt de 1500 francs, plus les intérêts, au bénéfice d'un certain George KIEFFER d'Obernai. La famille vit maintenant dans une extrême indigence. Les dettes s'entassent. Les BITTEL sont mal. Le 3 novembre 1855, François Antoine BITTEL, deux ans plus tard, succombera à sa situation. Mort naturelle ? Sa femme et ses 2 filles, Reine et Marie-Anne, s'attèleront seules à faire tourner le commerce. Elles garderont l'auberge, l'épicerie sera reprise par le boucher MEYER Benjamin qui a épousé la fille Marie-Anne.

Anne-Marie BITTEL, la fin tragique

Qu'est devenue Anne-Marie BITTEL ? Dans tous les exemples de vie de miséreux, on retrouve les mêmes causes : une situation familiale défavorable, la solitude, la promiscuité, la pauvreté, qui mène souvent aux addictions. Plus on partait de rien, plus on avait de chance de terminer avec rien. De nombreux alsaciens quitteront notre région à cette époque pour le pays qui faisait tant rêver et qu'on appelait « Le pays des possibilités illimitées », le rêve américain ! Anne-Marie n'en aura même pas la possibilité.

Le 18 janvier 1851, Charles Chrétien VAN DER LAYEN, gardien en chef de la maison de Correction de Strasbourg et l'infirmier major Louis SANULY attestent qu'Anne-Marie BITTEL, âgée seulement de 51 ans, est morte à trois heures du matin, en la maison n°1 de la rue St Jean où elle travaillait sous tutelle. Fin de l'histoire.

Maison numéro n°1 du quai St Jean à gauche. La maison alsacienne, richement décorée, sera détruite et rasée par le bombardement de 1944. Aujourd'hui restaurant Schnockeloch

Anne-Marie ne portera plus ses beaux yeux noirs perçants sur le clocher de son village natal VALFF. Fin d'une vie insignifiante et pour tous les autres habitants, la vie continue…

Maison n°126 au centre où est née Anne-Marie BITTEL

Sources :

  • Archives de Valff
  • Archives de Strasbourg

Crédit photos :

  • Fond BLUMER
  • Archives de Strasbourg
  • Archi-wiki
  • Fond Antoine MULLER

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.