Jugement de demande de changement de nom et de déclaration de sexe

Transgenre, transexuel, intersexué, bisexuel ou homosexuel, sont des termes que la population a maintenant l'habitude d'entendre. Imaginez la pression  au XIXe siècle si vous aviez été concernés par une de ces situations ou penchant sexuel ?  Figurez vous qu'en 1828 à Valff ...

Les faits

Une annotation dans les registre de naissances de Valff débute par ces mots : « Charles par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre à tout présent et avenir, faisons savoir que notre tribunal de première Instance de l'arrondissement de Schlestadt a rendu le jugement suivant du trente un mai, mil huit cent vingt huit, vu la requête présentée par Barach LEVY, commerçant, demeurant à Valff ainsi que le jugement préparatoire suite d'icelle et prouverbal d'enquête [...] considérant qu'il résulte de la dite enquête qu'il y a une erreur en l'acte de Naissance du dit germinal An 9 ou trente un mars mil huit cent un [...]  en ce que le sexe de l'enfant est inscrit comme mâle tandis qu'il est femelle [...] ». Voila ! Le cadre est posé. Nous avons un jeune homme, commerçant de métier, qui dit qu'il est une femme. Mais pourquoi avoir attendu 27 ans ? 

La suite du Jugement

« Au lieu de lui donner son nom Barach, son véritable nom est Gertrude ! [...] en conséquence ordonne que dans le dit acte de naissance du dit acte de germinal An neuf, le nom de Gertrude Lévy, fille de Barach LEVY et de Reisse KEIM seront substitué au nom de Barach LEVY [...]  enregistré à Schletstadt le trois juin mil huit cent vingt huit, et avons reçu cinq francs cinquante centimes ».

Bonjour Gertrude ! Il n'est pas nécessaire de préciser que les jaseries ont du faire des émules ! La première réflexion est : il y a eu erreur d'écriture de la part du secrétaire de l'époque. Les juifs parlant l'hébreu avaient  du mal à se faire comprendre. Il est à noter quand même que lors de cette fameuse déclaration de naissance, il y a eu deux témoins en plus du père : Elias MEYER, 50 ans, boucher, et surtout Barach MEIER, 39 ans, commerçant. Ce dernier vu son métier se devait de parler couramment l'allemand. Le secrétaire précise dans l'acte que le sexe de l'enfant a été reconnu par les 2 témoins comme étant masculin. Comme de coutume dans la religion Israélite, un enfant mâle se devait d'être circoncis le huitième jour.

Il est aussi surprenant que si Barach avait été une fille pour quelle raison est-elle connue pour avoir le métier de commerçante ? Les filles juives étaient, comme les filles catholiques, censées rester à la maison et s'occuper du ménage. Elles étaient pour la majorité illettrées.

Nous avons posé la question plus haut pourquoi a-t-il, ou elle, attendu 27 ans ? Parce que notre Gertrude va se marier ! Le 31 Juillet 1828 elle convolera en juste noce avec Samuel LEVI de Quatzenheim en présence de la mère consentante du jeune homme et des parents de la jeune fille. L’annotation du maire spécifie la rectification dans l'acte de naissance du sexe et du prénom de la mariée. C'est rien, c'était une erreur de secrétaire. Comme il est théoriquement usage , le mariage n'est censé être consommé qu'après la cérémonie de mariage. Samuel aurait-il eu une surprise de taille ce soir là ?

Acte de mariage de Samuel LEVI et Gertrude LEVI en 1828

L'enquête

Gertrude est-elle finalement une fille ou est-il un garçon ? Cette question vous passionne ? Vous vous préoccupez du bien être du pauvre Samuel ? Voici la réponse. En 1808 Napoléon ordonne que tous les juifs du pays devaient décider pour eux et pour leurs enfants d'un nom de famille propre et unique (il faut dire qu'avant c'était le souk ! pardon ! un chouk en hébreu). Barack LEVI, le père de Gertrude, décide au nom de sa fille mineure ; j'ai dit fille ? Eh ! oui ! Son prénom Gertrude était connu de tous à cette date. De plus, la preuve la plus irréfutable que Gertrude est vraiment une femme est qu'elle enfantera des enfants. Ouf ! Il est rassuré le Samuel ! 

Ce n'est pas Gertrude qui fait la demande de rectification mais son père Barack. C'est pourquoi il est spécifié le métier de commerçant. Encore une tournure de secrétaire qui peut faire confusion ! Nos tourteraux n'auront découvert la méprise que le jour de demande des documents administratifs de naissance de Gertrude pour se marier. Je ne vous dis pas la surprise !!!! Ce que nous ignorons est si la joie de sa naissance      n'avait poussé les témoins et le père ce fameux jour de déclaration à arroser trop copieusement l'évènement... avant de voir Monsieur le secrétaire de mairie ! Alors attention à tous les futurs papa...

Déclaration de nom de famille en 1808 : le père de Gertrude (Güttel) prénom en annotation, décide de garder pour elle le nom de famille LEVI (le maire BURGSTAHLER de l'époque écrira LEFII)

Acte de naissance d'Isaac, enfant de Samuel LEVI et Gertrude LEVI

 

Notre collaborateur Mike Freyder a poussé les recherches et a découvert que Gertrude serait décédé en mettant au monde son deuxième enfant en 1831 et 2 ans et demi de mariage ! Décidément elle n'aura pas eu de chance dans sa vie de femme !!!

 

Tout est bien qui finit bien. Pas comme pour ce garçon alsacien avec le prénom Isabelle ! Un secrétaire demandant à un père paysan quel est le prénom de l'enfant, ce dernier avec un accent alsacien à provoquer une otite aiguë déclara : « I sapel Muller ! » cool

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.