Dans un premier article, nous avions rapporté les conclusions d'un descendant sur l'histoire de la famille TAUFFLIEB. Cette famille de notables barrois a un lien direct avec Valff. En effet leur ancêtre d'origine juive s'était converti au catholicisme avec quelques uns de ses enfants. Revenons sur le destin particulier de certains membres de cette famille illustre.

25 mars 1781. Le marchand de tissus Isaac AARON, habitant Valff, est sur le point de donner un tournant décisif à sa vie et a celle de ses descendants. Il se présente à l'église de Valff pour recevoir le baptême chrétien. Le curé SCHECK a le grand privilège d'officier au sacrement. Une immense foule de catholiques du village est présente. L'événement est unique à Valff. Les juifs du village sont consternés. La famille de Isaac AARON est divisée : son épouse Beyle Leib et l'aînée de ses filles Lya ont refusé de suivre le choix de leur mari et père. Le curé SCHECK immortalise cet événement dans son registre de baptême par les paroles suivantes (texte ci-dessus, avec l'aimable traduction de membres du site Généanet) :

« Le 25 mars 1881, ayant suffisamment été instruit dans les dogmes de la religion catholique, ayant auparavant honni et renié la superstition hébraïque, attendue sa pieuse et constante demande de baptême qu'il m'a faite, Isaac Aaron, juif adulte, uni par un lien de mariage civil avec Beyli Leib, juive, demeurant dans la ville de Valff, selon la forme du rituel diocésain, par moi soussigné, a été lavé par l'eau sacrée de la fontaine du baptême. Il lui a été donné le prénom d'André Antoine et le nom de TAUFFLIEB. A été parrain Antoine Scheck, gouverneur de la ville d'Andlau, et la marraine Anne Elisabeth PFISTER, épouse de Joseph Picot, citoyen et marchand de Barr, qui tous les deux ont soussignés avec moi. Le baptisé, c'est à dire Antoine André TAUFFLIEB déclarant ne pas savoir écrire le germanique [ ] a écrit en langue hébraïque. André SCHECK, curé ».

Quelques explications

Le nouveau baptisé André Antoine TAUFFLIEB a choisi ses nouveaux prénoms peut-être en mémoire de son convertisseur, le curé de Valff André SCHECK et de son parrain Antoine SCHECK, bailli et juge d'Andlau. André Antoine TAUFFLIEB a également choisi son nouveau nom pour illustrer son choix sans équivoques : TAUFFLIEB, qui veut dire en allemand « amour du baptême ». Avec lui, ce même jour, se sont fait également baptisé cinq de ses enfants qui ont reçu les prénoms de leurs parrains, marraines.

  • Anna Maria Elisabeth TAUFFLIEB : Son nom juif était Reiselé AARON, âgée de 12 ans. Parrain : Pierre STEINFELDER, magistrat de Barr, marraine Anna PFISTER
  • Marie Margaritha : âgée de 10 ans, ancien prénom Gutele. Parrain : Pierre STEINFELDER, marraine Marguerite SCHMITT, veuve de l'ancien maire « Stadtmeister » de Barr
  • George Marie Joseph : 8 ans, ancien prénom Isaak Eisecklé. Parrain : Joseph PIQUOT, marchand à Barr. Marraine : Marie Anna REY, veuve du marchand de Benfeld Pierre SOLLIET
  • Marie Catherine Joséphine : 1 an et 3 mois, ancien prénom Meidele. Parrain : Joseph KLEIN, magistrat et greffier à Barr. Marraine : Catherina KLEIN, veuve d'André SCHMITT
  • Marie François Claude : 3 ans et 10 mois, ancien prénom Barush appelé Barishele. Parrain : François Claude BEDELE, marchand et notable de la corporation. Marraine : Marie Madeleine WITTMANN de Barr

Après ce mémorable jour, il semble que la mère soit partie s'installer à Andlau avant de revenir à Valff. Curieusement on retrouve sa trace dans divers documents avec un nouveau nom : Marie REICH. D'où vient ce changement ? Aucune trace n'indique qu'elle se soit convertie entre-temps. Le prénom Meili (le curé SCHECK a écrit Beili) est la forme dialectale de Marie. Malgré toutes les recherches cette question reste un mystère. La famille aurait-elle ultérieurement changé son nom post mortem pour effacer toute trace de leur origine juive ? Dans l'acte de décès de la fille aînée Lya il est toujours question de la mère juive décédée Beylé Leib.  Même le nom TAUFFLIEB a perdu un F avec le temps. Le secret fut si bien gardé que seulement deux générations suivantes les descendants ne connaissaient déjà plus l'histoire de leur origine.

Mais revenons à ce jour mémorable des baptêmes. Comme on peut le comprendre la conversion de personnes juives a semé la consternation dans la communauté israélite. Le village comptait alors  94 juifs pour 908 habitants.  La hiérarchie catholique a mis pour l'occasion les petits plats dans les grands. La cérémonie et la préparation catéchistique a été avalisée et supervisée par l'Évêque d'Arath DUVEMIN, suffragant du cardinal de Rohan. Elle se déroula devant une foule considérable composée de paroissiens de Valff et environs mais aussi de nombreux luthériens de Barr, ce qui était déjà une sensation. L'événement a été savamment rapporté par l'évêché et le rédacteur a noté que les luthériens seraient repartis impressionnés par le sermon de circonstance qui porta sur trois points : les marques de la véritable église, l'enseignement des prophètes juifs relatif à la confirmation de Jésus comme étant le Christ et le rejet de la nation juive par Dieu.

Dans son homélie, le curé SCHECK fustigea la réaction hostile des juifs locaux envers les nouveaux baptisés en citant le passage de Matthieu 27:25 « interiori voce sanguinem Christi super se invocaverunt » (en leur fort intérieur ils appelèrent sur eux le sang du Christ). SCHECK prononça aussi des mots très dur à l'égard de la mère réfractaire. Le comble, d'après la transmission orale, est que pendant la Révolution, le curé SCHECK trouvera refuge et se cachera chez une famille juive de Valff.

Rebondissement surprenant

Le sextuple baptême eu un rebondissement surprenant. Trente ans plus-tard, la fille aînée, qui avait à l'époque refusée le baptême, se converti à son tour. Le 4 octobre 1811 le même curé SCHECK pu ajouter à sa chronique le baptême de Lya, âgée maintenant de 44 ans. Elle était maman d'un petit garçon qu'elle avait eu avec un père juif inconnu. L'enfant de 8 ans du nom de JEMOF était l'amour de sa mère. Lya son fils et un autre garçon juif orphelin se firent baptiser ce jour. Lya pris le nom de Marie Madeleine TAUFFLIEB et son fils reçu celui de Etienne MUTTERFREUD. Quant au garçon âgé de 14 ans, Zizickle, fils d'une pauvresse juive de Plobsheim et d'un père inconnu reçu le nom Blaise GLUCKLICH. Sa mère était venue se réfugier à Valff chez sa soeur où elle était morte.

Madeleine TAUFFLIEB aura une autre petite fille sans être mariée en 1812 avec un certain Jacob KLUGESHERTZ, tisserand de Valff. Elle habitait au n°43 de la rue Principale de l'époque. L'enfant sera baptisé Marie Louise MUTTERFREUD. Madeleine TAUFFLIEB décédera le 6 avril 1830.

Il est intéressant de noter qu'à la période du baptême de Lya, son frère François TAUFFLIEB, commerçant à Barr et avait été nommé adjoint au maire de la ville (de 1808 à 1848).

Les relations entre la commune et la famille Tauflieb restera cordiale puisque dans les comptes de la commune de 1799 on note que le citoyen Tauflieb de Barr aurait perçu 61 francs pour 3 diverses commissions.

Dans un prochain article nous parlerons des destinées exceptionnelles des descendants des baptisés de Valff.

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.