- Écrit par : Rémy VOEGEL
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La Grande Guerre révolutionna le monde. Reclus dans leur village comme leurs ancêtres, n'ayant à peine visité les grandes villes et encore moins les régions alentours, les habitants firent la connaissance en 1917 avec un peuple inconnu : les hongrois. Des quoi ? Tout juste certains savaient les situer sur une carte, voici que des hommes avec une langue barbare et incompréhensible emménagent dans le village. Récit :
Valff croisement rue Principale et rue Meyer. À gauche, maison n°254
La guerre s'achève peu à peu. Les troupes allemandes se replient vers leur pays, laissant derrière elles des contingents hongrois cantonnés à Valff. À la peau basanée, certains issus de la communauté tsigane, ils suscitent la méfiance des habitants. Affamés, ils cherchent de quoi subsister : fruits cueillis dans les arbres, tabac encore suspendu aux séchoirs, provisions des caves… tout disparaît. Une peur diffuse s’installe dans le village.
On se souvient de l’été 1914, lorsque 14 000 Bavarois occupaient déjà Valff et ses environs : bien différents, mais au moins communiquent un peu, et aisément identifiables grâce à leur poignard glissé dans la botte. Puis vint le cantonnement des Roumains en février 1917, eux aussi marqués par la mémoire collective. Ici, le moral change : le haut commandement allemand se montre indifférent au sort de ces soldats hongrois. Seuls les agriculteurs, émerveillés, observent leurs attelages tirés par des bœufs aux cornes démesurées : un spectacle inédit, contrastant avec l’usage traditionnel des chevaux dans les armées « classiques ».
En mars 1918, l’armée aménage plusieurs terrains d’aviation, notamment aux abords du village de Stotzheim [en savoir plus : L'aérodrome du Polygone]. Ce terrain, situé en pleine campagne, s’étend sur une superficie de 250 acker (soit 50 hectares). Les exploitants locaux sont indemnisés à hauteur de 6 Marks par are. D’imposants baraquements abritent les avions, qui s’élèvent dans les airs quotidiennement.
Un jour, un pilote officier, désireux de se rendre à un rendez-vous galant chez une des filles du contrôleur fiscal de Valff, effectue un atterrissage hasardeux sur la Hagelmatt, au moment où les troupes hongroises sont en plein exercice. Cet atterrissage malheureux coûtera la vie à deux soldats hongrois. Enragés, leurs compagnons cherchent à lyncher le pilote, mais grâce à l’intervention de leurs officiers, le pilote allemand échappera à la mort. L'amour donne des ailes... ou pas ! [en savoir plus : Des fous volants dans le ciel de Valff ].
La tension atteint son paroxysme le 15 août 1918. Un incendie ravage trois maisons rue des Flaques, déclenché par des cendres brûlantes mal entreposées dans un récipient en bois. Quelques semaines plus tard, dans la nuit du 3 au 4 octobre, un nouveau sinistre éclate au 208 rue Principale. Les Hongrois, en masse, sont brusquement évacués : ils abandonnent leur paquetage et leur matériel sur les prés bordant le village. Les flammes détruisent alors quatre maisons et huit granges, si bien que les pompiers de Strasbourg doivent intervenir. Certains bâtiments seront irrémédiablement perdus. Selon les rumeurs, des militaires auraient déclenché le brasier… Plus choquante encore est la rumeur d’un soldat électrocuté. À la levée des cendres, la rumeur circule que les sauveteurs auraient découvert trois corps calcinés — des hommes ayant survécu à l'horreur des champs de bataille, mais succombant ici, dans leur sommeil. Un destin tragique. Les journaux infirmeront plus-tard cette nouvelle, manipulation, propagande ?
Puis survient le 16 novembre. Les troupes françaises, en provenance d'Obernai, font leur entrée dans Valff : seize cavaliers en formation, un clairon en tête. Dans le même temps, les Hongrois désertent les lieux, évacuant leurs positions. Contre toute attente, certains arborent, en guise de dernier hommage, des chrysanthèmes volés sur des tombes du cimetière. Une scène paradoxale, entre ironie et humanité : au moins, ils emportent leur vie.
Quand on leur a demandé en rentrant chez eux : úgy döntött, egy jászolban? (vous avez créché où ?) ils ont sûrement répondu « A WALF ! »
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