
- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Au début du XXe siècle, la nouvelle invention du nom d'automobile, est de plus en plus présente sur les routes et les campagnes alsaciennes. À Valff, un fait-divers aujourd'hui anodin se transformera en indignation et colère générale. L'année suivante, un accident de la route fauchera une vie. Le progrès automobile fait ses premières victimes...
🚗 2 septembre 1913 : Panique à Valff ! Une auto fait scandale
Le 2 septembre 1913, une rumeur se répand dans Valff comme une traînée de poudre. Un engin mécanique méconnu et rarement observé, comme en 1908 avec le passage du village en Mercedes, du Kaiser Wilhelm II, une automobile donc, vient de traverser le village à tombeau ouvert ! L’intrus motorisé, conduit par un individu mystérieux, a fait son apparition sans prévenir... sans ménagement... et a disparu !
Pour plus d'informations du passage du Kaiser :
Sur son passage, quelques poules n’ont pas eu le temps de s’écarter, mais c’est surtout le chien bien-aimé de l’aubergiste Léo Gyss, du restaurant Au Soleil, qui en a fait les frais et a été mortellement fauché. L’émotion est immense. Personne n’a pu relever le numéro d’immatriculation. Du bureau de télégraphe situé au restaurant, on appelle en urgence les communes voisines pour tenter d’obtenir des informations. Peine perdue. L’auteur restera introuvable, mais surtout... impuni !
Léo Joseph GYSS (né en 1879 à Obernai + 1925 à Strasbourg) marié avec Anna Maria BIECHER. Photo 1914
La "machine infernale" filait à une vitesse jugée délirante pour l’époque : au moins 30 km/h, soit celle... d’un cheval au galop, alors que la vitesse en agglomération est limitée à 12 km/h, comme un cheval au trot ! Inconcevable pour les esprits ruraux encore peu familiers de ces “bêtes hurlantes” qui fument, puent et effraient bétail, oies et poules... chiens et piétons !
1906 Lettre envoyée par Max SCHUTZENBERGER (brasseur et fondateur en 1900 de l'automobile club Alsace-Lorraine) au Elssässischen Bezirkspräsident demandant d'informer les Kreisschulinspektoren. (archives départementales du Bas-Rhin)
La strasbourgeoise Clémence Hirtzlin, une des premières femmes pilote automobile d'Europe et Max Schutzenberger à l'arrivée de la course automobile Strasbourg-Colmar et retour en 1901.
🧑🏫 L’école à la rescousse des moteurs ?
Déjà en 1906, le président de l’Automobile Club d’Alsace, créé en 1901, Léo Schlumberger, s’inquiétait de la méfiance grandissante envers les voitures. Il écrivit au président de la Région Alsace pour demander à ce que l’Inspecteur académique invite les maîtres d’école à éduquer les enfants – et par extension leurs parents – à la non-dangerosité et à l’avenir économique de l’automobile.
Il faut dire qu’en Alsace, l’accueil réservé aux “Motorenwagen” était parfois... explosif : des villageois n’hésitaient pas à dresser des barrages piégés, parsemaient les routes de clous, de tessons, ou bombardaient les voitures de fumier, cailloux et même de crottes et de bouses (en allemand : koat) ! Dans ce contexte, pas étonnant que le chauffard de Valff ait préféré traverser à fond de train… et filer à l'alsacienne !
L'annuaire automobile de 1901 comptabilise 3 constructeurs automobiles en Alsace : De DIETRICH, les ateliers DUCOMMUN à Mulhouse et le carrossier WIDERKEHR à Colmar.
Voiture Ducommun, pionnier de l'autocyclette en 1899 (l'ancêtre du vélo solex) puis constructeur d'automobiles, bus et camions. L'entreprise a disparu en 1905.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55325026/f17.item.r=Ducommun
Article Journal d'Alsace 1874
1907 Journal Le Messin
https://www.alsace-histoire.org/netdba/widerkehr-auguste-marie-louis/
🚘 1897 : L’automobile fait une timide apparition… dans les journaux alsaciens
Pour se rendre compte à quel point l’automobile était encore une étrangeté en Alsace à la fin du XIXe siècle, il suffit de feuilleter les journaux de l’époque. En 1897, on ne trouve qu’une infime allusion à l’existence d’un tel engin dans la presse locale. Toutes les informations concernant ces « fiacres automobiles » — comme on les appelait alors — nous parviennent encore exclusivement de Paris, ce haut lieu de toutes les excentricités modernes.
Dans le Strasburger Post, on parle tantôt de Petroleumwagen, tantôt d’Electricitätwagen : des voitures à pétrole ou à électricité (déjà). Et pour compliquer le tout, le mot Motorenwagen est utilisé indifféremment pour désigner… aussi bien les tramways que les automobiles ! De quoi perdre le lecteur — et sûrement aussi les piétons.
Autre curiosité de l’époque : dans certains articles, comme ceux du journal Le Lorrain, on lit encore « un automobile ». Ce n’est qu’un peu plus tard que l’Académie française tranche, en expliquant que le mot doit être… masculin. Et les raisons invoquées sont, disons délicieusement datées :
« Même si l’on dit une locomotive, automobile doit être masculin parce que ce sont des hommes qui ont inventé le moteur, remplissent le réservoir d’essence et tournent la manivelle. »
Une imparable logique de la fin du XIXe siècle !
Du côté allemand, le terme das Automobil est resté au neutre ou masculin, sans créer de débats aussi animés.
Un éditorialiste, probablement nostalgique du cliquetis des sabots et de la tranquillité des routes sans fumée, écrira avec une pointe d’amertume :
« Le romantisme du bon et vieux temps est foutu ! »
☠️ Première victime valffoise d’un accident automobile
Moins d’un an plus tard, après l'affaire du chien écrasé de Valff, le 4 juin 1914, la presse annonce une autre tragédie :
« Hier soir, vers 20h, un grave accident automobile s’est produit entre Graffenstaden et Neudorf. Une voiture belge, selon certains, hongroise selon d'autres, a percuté un cycliste. La victime est morte sur le coup, probablement le cou brisé. »
Dans les papiers du défunt, on retrouve une fiche de paie de l’usine de machines de Graffenstaden, au nom d'Auguste KORMANN, magasinier. Originaire de Valff, il habitait Graffenstaden, tandis que son épouse vivait temporairement dans la maison Kormann à Valff.
Né le 14 juillet 1890, Auguste était le dernier enfant d’une fratrie de quinze, fils de Florent Kormann et de Caroline Sablong, domiciliés au n°169 dans la rue de l’Église. À la date de l’accident, ses parents venaient de décéder.
❓ Erreur sur l’épouse ? Une énigme administrative
L’acte de décès d’Auguste indique qu’il était marié à Marie Joséphine Motschwiller, native de Châtenois. Or, les registres montrent que Marie Joséphine avait épousé Joseph, le frère d’Auguste, en 1896. Ce dernier n’étant décédé qu’en 1945, comment expliquer cette étrange mention ?
Auguste, à cette date, n’avait que 6 ans… un remariage paraît impossible. De plus, à leurs décès respectifs (elle en 1944, lui en 1945), Joseph et Joséphine sont toujours déclarés mariés l’un à l’autre. Une erreur d’état civil semble donc la seule explication possible. Un accident de voiture doublé d’un accident… administratif !
Auguste Kormann habitait 13, rue Bürgelweg à Graffenstaden.
Acte de décès d'Auguste (marié, dans le texte, avec Marie Joséphine MOTSCHWILLER) en date du 6 juin 1914
🏭 L’usine de Graffenstaden, les femmes et Bugatti
Durant la Grande Guerre, les hommes partis au front furent remplacés dans les usines par des femmes. À Graffenstaden celles-ci y fabriquaient des machines-outils et des locomotives. L'usine comptait parmi ses jeunes ingénieurs un certain Ettore Bugatti, qui y conçut ses premières automobiles en 1903. La future ère d'amour et de passion pour l'automobile pouvait naître et un Valffois qui a travaillé dans l'usine figure parmi les premières victimes de la route ! Ça ne s'invente pas ! 😦
[à lire aussi : La Genèse de l'automobile en Alsace]
Femmes travaillant dans l'usine pendant la Première Guerre en remplacement des hommes.
Annuaire automobile de 1901
Extraits : notez qu'à Barr il y avait déjà un réparateur moto, auto ? du nom de Hecker Dietz. Il y avait 11 propriétaires d'automobiles à Strasbourg, 6 à Colmar, 2 à Guebwiller, 12 à Mulhouse, 7 à Thann, 2 à Sélestat et 18 dans le reste de l'Alsace, soit un total d'environ 60 automobiles répertoriées.
Sources :
- Adeloch
- Archives départementales du Bas-Rhin
- Gallica
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