Avec les articles consacrés aux émigrés de Valff, nous nous plongeons dans l'intimité de personnes qui, un jour, rêvèrent d'une meilleure vie et quittèrent, volontairement ou non, famille, souvenirs, amis, pays. Que sont elles devenues ? Une trouvaille exceptionnelle va récompenser nos recherches. Que diriez-vous d'apprendre que Valff est le berceau des premiers cris d'une grande chanteuse lyrique ?  

Pour connaître sa biographie... il faudra vous munir d'un peu de patience... et poireauter jusqu'à l'article suivant, désolé ! 🥴

 Une représentation de la patience (Bulldog mit Würsten: "Ave, Caesar, morituri te salutant" par Wilhelm Trübner en 1878

 

Pour ceux qui sont restés, attelons-nous préalablement à un patronyme découvert sur le site https://www.familysearch.org/fr/search/ qui pose questions. 

Restaurant The Wicked Wolf (le méchand loup) à Campton dans le Kentucky

Jackie ADKINS JUNIOR

Le personnage serait né à Walf en 1950. Il habite à Campton, Wolfe, Kentucky et serait décédé le 24 août 2004. Son père s'appelait Ova U ADKINS, sa mère Mabel SPARKS. Après quelques recherches et la découverte d'un document de mariage entre Ova ADKINS et Mabel SPARKS, plus de doutes. Ils se sont mariés dans la ville de Walfe dans le Kentucky  et non seulement le quartier ne s'appelle pas Walf, ni même Walfe, mais Wolf !🤪

Reprenons les recherches. Aurons-nous plus de chance avec Elmer LEROY de Walf ? 🤔

Comme on le supposait, cette piste n'est pas meilleure. Les parents LEROY sont originaires de Hollande, le pays du gouda et des tulipes ... nous, on est dans les choux ... et en Alsace !

Essayons avec la piste Florent LUTZ*

11 mars 1902. Un article parait dans un journal local écrit en allemand qui relate une affaire judiciaire étonnante : l’agriculteur Joseph MULLER, représenté par l’avocat Mündisch, demande au tribunal de Saverne de déclarer Florent LUTZ, fils de Séraphin et de Thérèse RIEGLER, comme étant officiellement décédé. Florent est originaire d’Erlenbach (aujourd’hui Albé), près de Sélestat, mais selon une enquête de voisinage, il aurait quitté l’Alsace dans les années 1860 pour émigrer en Amérique, sans jamais donner de nouvelles. Sa mère, Thérèse LUTZ, née RIEGLER, serait aussi portée disparue. En toile de fond, une histoire de succession et de partage de biens à VALFF. Le jugement est prévu pour le 16 octobre 1902. Toute personne ayant des informations complémentaires est priée de se manifester avant cette date. Pour les héritiers c'est: Wanted morts ou vifs !     ♫ J'ai perdu mon héritage... dans la rue de la gare... je suis fou de rage... lalala 💩 ♫ 

Trois ans plus tard, Séraphin LUTZ, père de Florent, décède à Albé le 6 mars 1905. Mais que s’est-il réellement passé ? Plus de 100 ans après les faits, les recherches généalogiques apportent un éclairage inattendu ….

Car, oh ! surprise : Thérèse n’a pas disparu seule. En 1863, elle quitte l’Alsace pour l’Amérique... avec Séraphin, son mari ! et leur fils Laurent (Lorentz), âgé de 5 ans. Et ils ne sont pas les seuls ! C’est toute une délégation de Valff qui embarque avec eux : Laurent DRESCH, 21 ans, Jean-George SAAS, 47 ans, accompagné de son fils Guillaume, 15 ans. Leur navire ? Le Prince Impérial, un paquebot qui les mène jusqu’à New York, où ils débarquent le 28 juin 1863.

Ce simple avis de disparition devient pour nous, le point de départ d’un voyage à travers les âges, révélant une émigration collective remplie d’espoirs et d’inconnues … et pour nous, des mystères à élucider (chouette, chouette, chouette...:bounce: )

 

Un départ vers l'inconnu – Valff, 1863

 

Au cœur du village, en cette année 1863, l’émigration est dans tous les esprits. L’Alsace traverse une période de bouleversements économiques et politiques. Pour certains, l’Amérique représente la terre de liberté et d’espoir. C’est dans ce contexte que Thérèse RIEGLER, son mari Séraphin LUTZ, et leur petit garçon Laurent, 5 ans, prennent une décision lourde de conséquences : quitter leur terre natale pour vivre ailleurs. Ils ne partent pas seuls. À bord du même navire, le Prince Impérial, vayagent également :

  • Laurent DRESCH, 21 ans, probablement un proche ou un voisin

  • Jean-George SAAS, 47 ans, un ouvrier ou artisan de Valff

  • Guillaume SAAS, son fils de 15 ans

District de New York - Port de New York

Traduction : « Moi, H. Paquin, capitaine du Paquebot à vapeur Prince Impérial, certifie solennellement, sincèrement et véritablement que la liste ou le manifeste suivant, signé par moi et désormais remis au Collecteur des Douanes du district douanier de New York, est une liste complète et parfaite de tous les passagers embarqués à bord dudit navire Prince Impérial (1), en provenance de Havre, arrivé aujourd’hui ; et que ladite liste indique de manière fidèle l’âge, le sexe et la profession de chacun des passagers, la partie du navire qu’ils ont occupée durant le voyage, le pays dont ils sont originaires, ainsi que le pays dans lequel chacun a l’intention de s’établir ; et que ladite liste ou manifeste indique également le nombre de passagers décédés durant le voyage, ainsi que leurs noms et âges. Qu’ainsi Dieu me vienne en aide. Assermenté ce 21 novembre 1863 », signé par H. Paquin (Capitaine) et W. T. Ingham (Fonctionnaire devant lequel le serment est prêté).

Le paquebot transporte 230 adultes, 34 enfants et 8 bébés. Le métier des hommes ? Beaucoup d'agriculteurs. La majorité des passagers parlent la langue allemande.  

Une vie nouvelle … et des mystères persistants

Mais que deviennent Thérèse, Séraphin, et leur fils Laurent une fois sur le sol américain ? Où s’installent-ils ? Ont-ils gardé des liens avec leur famille restée en Alsace ? Pourquoi, des années plus tard, personne ne semble savoir ce qu’ils sont devenus ?

C’est ce silence prolongé qui poussera Joseph Müller à demander, en 1902, que Florent – peut-être confondu avec Laurent ou un autre enfant disparu – soit déclaré mort, dans l’espoir de régler une succession laissée en suspens.

Auparavant, Séraphin Lutz et Thérèse avaient eu un premier fils déjà prénommé Laurent qui décéda à deux mois. On retrouve la famille habitant au n°186 de la rue Principale vers les années 1861. La maison de naissance de Séraphin était le n°194, mais les numéros ont pu légèrement changer avec les années. 

Laurent (Florent) LUTZ

On a vu que le petit Laurent avait 5 ans en 1863, il est donc né approximativement vers 1858. Son nom va disparaitre dans les méandres des archives. Mais une autre hypothèse est à prendre en compte : l'équipage du navire Prince Impérial était français, les valffois parlent surtout l'allemand et le dialecte, il est possible que l'équipage ait confondu Florent avec le Laurent né le 10 novembre 1857, ce qui correspondrait  avec l'âge indiqué du paquebot.   

La piste menant à Cincinnati où de nombreux Valffois ont trouvé leur nouvelle patrie se précise avec l'annuaire de 1868 où un certain Séraphin Lutz est répertorié, employé tanneur. Il habite au 641 Central Avenue.

 

Thérèse LUTZ née RIEGLER

Thérèse est née à Valff le 17 novembre 1834. Le couple Séraphin et Thérèse a eu trois enfants à Valff : Laurent et Anne-Marie qui sont décédés dans leur première année et notre Florent. Vu l'article du journal mentionné au début des recherches, soit Thérèse est décédée aux États-Unis, ce qui amène Séraphin à revenir en Alsace, soit le couple a fait choux blanc dans le Nouveau Monde et a décidé de plier bagages. 

Un autre nom mentionné sur le Prince Impérial est : Laurent DRESCH.

Ce nom n'existe pas à Valff, par contre DROESCH Laurent existe et est né le 18 juin 1842. Son père, Vincent, était originaire d'Osthouse et sa mère Marie-Joséphine Neuhauser de Valff. Lors du recensement de 1861, Vincent est maçon et son épouse Joséphine est sage-femme, Laurent est journalier. Ils habitaient au n° 242 de la rue Meyer. En 1866, les parents sont seuls au foyer. Là encore, aucune source fiable nous permet de poursuivre le parcours de Laurent en Amérique. Son frère Antoine aurait-il suivi sa trace ? 

Antoine DROESCH

Antoine semble avoir également rejoint l'Amérique. Après le départ de son frère et l'arrivée à New-York le 19 juillet 1862, il l'aurait rejoint un mois plus-tard ! Il a 15 ans et voyage à bord du navire Mercury (3) mais pas seul, non plus. Il est en compagnie d'une certaine WAGNER Thérèse, 51 ans, et son fils Aloïse, 15 ans, originaires de France. Ces derniers seraient-ils de Valff aussi ? 

On trouve encore la trace d'un DROESCH Antony encore et toujours à Cincinnati en 1872. Il est Bikesmith, forgeron de cadre de bicyclettes. Il habite au 699 Central Avenue. 

Thérèse WAGNER

Il existe bel et bien une Thérèse Wagner avec un fils du nom d'Aloïse à Valff. Thérèse est née en 1810 (51 ans en 1862, ça colle !). Elle a épousé François Antoine VOEGEL avec qui elle a eu 7 enfants. Son fils, Aloïse, est né en 1840, date qui ne correspond pas avec l'âge d'Aloïse du bateau (15 ans). S'il avait 15 ans en 1862 il serait né vers 1847. Cette piste semble donc une impasse ! En plus, notre Thérèse de Valff et son fils Aloïse, sont décédés à Valff. Dommage !

Bel exemple d'une histoire prometteuse qui se termine en queue de boudin ! 🤢

Reprenons notre quête avec les autres passagers du Prince Impérial.

La ville de Cincinnati en 1860

La famille SAAS

Jean-Georges est journalier. Son épouse s'appelle STEIN Ursula (3). Jean-Georges est en compagnie de son fils Guillaume, 15 ans. George voyage en éclaireur : son épouse le rejoindra en 1882, destination Cincinnati, Hamilton, Ohio. La ville destination de presque tous les Valffois catholiques émigrés. Contrairement aux autres passager du paquebot Prince Impérial, l'histoire de la famille SAAS est bien documentée. Jean George SAAS and Co

Hamilton Cincinnati vers le milieu du XIXe siècle

Conclusion

La découverte d'un seul document peut ouvrir les portes à une floppée de documents, de liens... et de surprises ! L'exemple ci-dessus en est un bel exemple. 

(1) Le Prince Impérial était un paquebot à vapeur français mis en service en 1863 par la Compagnie Générale Transatlantique (CGT), également connue sous le nom de French Line. Ce navire assurait des traversées transatlantiques, notamment entre Le Havre et New York, transportant passagers, courrier et marchandises. Le Prince Impérial a été mis en service pendant le Second Empire, sous le règne de Napoléon III. Son nom rend hommage à son fils, Louis-Napoléon Bonaparte, également appelé Prince Impérial. (merci à l'Intelligence artificielle). Les paquebots similaires de cette période mesuraient généralement entre 90 et 110 mètres de long et étaient propulsés par des machines à vapeur alimentant des roues à aubes. Ils pouvaient transporter plusieurs centaines de passagers répartis en différentes classes.

(2) Le paquebot Mercury était un navire à vapeur français de la Compagnie générale transatlantique, actif au milieu du XIXe siècle. Il assurait des liaisons transatlantiques entre Le Havre et New York, transportant des passagers et des marchandises :

  • Type : Paquebot à vapeur
  • Compagnie : Compagnie générale transatlantique
  • Route principale : Le Havre – New York
  • Capacité : Environ 286 passagers

Le Mercury s'est échoué contre une jetée, bien que les détails précis de cet incident restent limités.

(3) Après avoir exploré la vie de Félix Saas à Cincinnati [voir Félix SAAS, l'histoire d'un pionnier], arrêtons-nous un moment sur celle de Jean George et de sa famille. Avec l’aide précieuse de nos correspondants américains, Tom O’BRIEN et Mike FREYDER, dont les ancêtres sont originaires de Valff, nous avons pu découvrir des aspects étonnants de leur parcours.

Comme évoqué,, Jean George travaille comme peintre dans un atelier de fabrication de coffres-forts à Cincinnati, dans l’Ohio. Mais avant de s’intéresser à son métier, retraçons brièvement son arbre généalogique. La tentation est grande de croire qu’il pourrait être le frère de Félix. En effet, Jean George est le troisième enfant de François Joseph SAAS et de Madeleine HIRTZ. Sa sœur Catherine naît le 6 décembre 1817, suivie de Félix le 1er janvier 1820, puis de Jean George, né le 20 janvier 1822, tous à Valff, au numéro 174 de la rue de l’Église. Est-ce bien ce George que l’on retrouve plus tard à Cincinnati ? Un certain AG Saas est enregistré comme passager du navire JESSIE en 1849, la même année que celle supposée pour la traversée de Félix. Pourtant, cette hypothèse ne tient pas. Des documents complémentaires nous permettent aujourd’hui d’affirmer que ce George est en réalité un autre homme.

Le recensement de Valff en 1861 révèle l'existence d’une autre famille SAAS, composée de George SAAS et Ursula STEIN, mariés en 1846. Ursula, originaire de Meistratzheim, est la cadette de George de neuf ans. Lui est né le 4 octobre 1816, fils de Joseph SAAS et de Catherine ANDLAUER. Le jour de leur mariage est endeuillé par la mort de leurs deux parents respectifs.

En 1865, on retrouve leur trace à bord du BORUSSIA, un navire reliant Hambourg à New York. Comme souvent, les documents d'immigration sont approximatifs : les noms, âges et sexes des enfants y sont parfois erronés. Néanmoins, on reconnaît George sous la forme abrégée “Geo”, Ursula (“U”), William (“W”), Catherine (“Cath”), Eugène (“E”) et la petite Thérèse née en 1861. En revanche, l’aînée, Marie-Anne, semble absente. Le BORUSSIA transporte ce jour-là 632 passagers. C’est un navire impressionnant de 1987 tonnes, mû par de puissants moteurs à vapeur.

Une autre preuve de leur installation aux États-Unis apparaît dans un journal local : Ursula décède à Cincinnati en 1909. Bien que Félix soit mentionné sur l’acte, il est mort depuis 1897. Ursula y est désignée comme veuve (“wid”) et réside au 711, Central Avenue. On remarque au passage l’apparition des numéros de téléphone, alors que la première compagnie de téléphonie de la ville date de 1878, soit trois ans après l’invention de Bell. À Valff, ce progrès ne touche les particuliers qu’au début du XXe siècle.

Cincinnati vers 1950

La famille vivait autrefois au 531, rue Cycamore. En 1869, cette adresse devient leur premier foyer connu à Cincinnati. Plus tard, en 1873, ils s’installent au 496, Race Street, et George est désormais reconnu comme fabricant de coffres-forts. À partir de 1883, il change d’employeur et travaille pour la Hall’s Safe and Lock Company, concurrente de son précédent atelier. En 1880, on retrouve George, Ursula et leur fille Mary enregistrés au recensement. George a 66 ans et travaille comme opérateur de coffres-forts. Ursula, 56 ans, est femme au foyer. Mary, âgée de 32 ans, est elle aussi femme au foyer et tient une petite épicerie.

En 1886, la famille déménage au 478, puis en 1887 au 632 de la même Race Street. George y reste jusqu’à sa mort. Il perd la vue le 28 février 1896. Ursula devient veuve et change de domicile à plusieurs reprises avant de décéder le 28 septembre 1909 à l’âge de 82 ans. Sa dernière résidence se situe à l’arrière du 1714 Race Street.

Et les enfants ? Que sont-ils devenus ? Nous connaissons Mary. Mais qu’est-il arrivé à la petite Marie-Anne, absente du manifeste du BORUSSIA ? Mariée, elle perdra tragiquement son mari. Et William ? Catherine ? Eugène ? Thérèse ? Leur destin reste à découvrir … Mais cela, est une autre histoire.

Autres articles :

Sources :

 

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.