S'il a bien existé un personnage originaire de Valff avec la passion dévorante du voyage, c'est bien Joseph LUTZ. L'ébéniste, marié en Suisse puis émigré au Canada, mérite une petite enquête. Qui était-il ? Quelle a été sa vie ? Enquêtons.
C'est dans les classeurs de photos rassemblées par Antoine MULLER dans les années 1980/90 que nous découvrons le visage de Joseph. La légende correspondante sera primordiale pour nos recherches.
Photo de 1891 au centre la chapelle Ste Marguerite, à droite la mairie
Joseph LUTZ nait le 31 janvier 1877 d'un père ouvrier journalier du nom de François-Antoine et de son épouse Catherine Philomène DOTTER. Le 26 mai 1872, Catherine met au monde les jumeaux Thérèse et Joseph. Le garçon décèdera deux ans plus-tard. Puis arriva sa sœur Philomène et finalement Joseph. Philomène épousera George BIERO et vivra 92 ans, quant à Thérèse, la jumelle, elle trouvera son bonheur avec Louis MARTIN de Valff.
George BIERO, époux Thérèse
Philomène LUTZ, épouse Martin
La petite famille vivait dans une modeste maison au n°150 de la rue des forgerons.
Mariage
Joseph épouse une fille des montagnes suisses. Il a flashé sur la belle suissesse Elisabeth MEIER-WIRTH de Unter-Embrach. Les amoureux s'uniront dans le charmand villagede Thalwil qui domine le lac de Zurich en 1899. Le couple aura deux enfants en Suisse: Élise, née en Suisse en 1902, et Alphonse, né en 1904.
Émigration
Après avoir vécu quelques temps à Gebwiller, la petite famille décide d'émigrer. Les temps sont durs, une guerre semble s'annoncer. Il leur faut d'abord rejoindre Liverpool ou Londres pour embarquer en direction de la terre de tous les espoirs, ce sera le Canada. Joseph et ses protégés se retrouvent sur le navire à vapeur IONIAN. Le paquebot SS Ionian (1901 - 1917) appartenait à l'Allan Line steamship puis, sous le même nom, à la Canadian Pacific Line en 1917. Il a servira de transport de troupes en 1914. Le 20 octobre 1917, alors qu'il naviguait au large de Milford Haven au Pays de Galles, le navire a heurté une mine posée par un sous-marin allemand et a coulé, entraînant la mort de sept personnes.
Paquebot SS IONIAN
Le voyage
Le voyage jusqu'au Canada durait environ deux semaines. Si cela vous aurait tenté en 1900, il vous coûtait pour :
1. Première classe
- Une place en première classe, le ticket pouvait varier entre 50 £ et 150 £
2. Deuxième classe (intermédiaire)
- Les tarifs pour la deuxième classe se situaient généralement entre 15 £ et 30 £
- Elle offre plus de confort que la troisième classe, avec des cabines partagées
3. Et enfin au fond de cale en troisième classe
- Le passage en troisième classe coûtait environ 3 £ à 6 £ par personne
- C'était la classe la plus abordable, utilisée principalement par les émigrants et les travailleurs. Elle comprenait une couchette basique dans un espace commun et une alimentation simple
- Un ouvrier en France en 1914 gagnait aux environs de 5 à 10 francs par jour. 3 livres Sterling correspondaient à 75 francs. Une traversée revenait donc, pour une personne courageuse, à quelque six semaines de salaire au fond de cale
La compagnie maritime proposait, moyennant quelques suppléments, différentes facilitées comme par exemple :
Des billets à tarifs spéciaux pour le Chemin de fer du Grand Tronc de Chemin de fer Canadien Pacifique pour rejoindre la ville de destination.
Des passages intermédiaires entres Québec, Montréal, Halifax, ...
Les billets en troisième classe pouvaient être obtenus en payant un dépôt d'une ou deux livres sterling par couchette, accompagné du nom et de l'âge des passagers.
Une fois à bord du paquebot pour la traversée de l'Atlantique, pour les passagers en troisième classe, il était recommandé de louer le kit fourni par la compagnie, qui comprenait :
- Un oreiller de sauvetage breveté Wood's,
- Un matelas,
- Le récipient Pannikin qui contenait :
- Une assiette
- Un couteau
- Une fourchette
- Une cuillère
Le coût pour utiliser ces articles pendant le voyage était de 3 shillings et 6 pence par adulte et de 1 shilling et 9 pence par enfant entre deux et douze ans. Remarque : il était recommandé de louer des couvertures !
Menus pour les passagers de troisième classe
Dimanche
- Petit-déjeuner (7h30) : Café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner (12h) : Soupe, pain frais, pommes de terres, plum-pudding et sauce
- Thé (17h) : Thé, sucre, pain et beurre
Lundi
- Petit déjeuner : Café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner : Soupe, viande et pommes de terres
- Thé (17h) : Thé, sucre, pain et beurre
Mardi
- Petit déjeuner : Bouillon de flocons d'avoine, porridge et sirop, café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner : Soupe de pois, salé de porc et pommes de terres
- Thé : Thé, sucre, pain et beurre
Mercredi
- Petit déjeuner : Café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner : Soupe, bœuf et pommes de terre, plum-pudding et sauce
- Thé : Thé, lait, sucre, pain et beurre
Jeudi
- Petit déjeuner : Café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner : Soupe, viande fraîche et patates
- Thé : Thé, sucre, pain et beurre
Vendredi
- Petit déjeuner : Bouillon de flocons d'avoine, porridge et sirop, café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner : soupe de pois épaisse, morue en sauce, porc salé et patates
- Thé : Thé, sucre, pain et beurre
Samedi
- Petit déjeuner : Café, lait et sucre, pain frais et beurre
- Déjeuner : soupe, viande et pommes de terres
- Thé : Thé, sucre, pain frais et beurre
Note : Une bouillie légère « gruau », composée d'eau avec un peu de lait et quelques céréales comme l'orge, le maïs ou l'avoine, est servie à 20h00 chaque jour.
Et pendant ce temps en première classe
Paquebot La Lorraine
L'arrivée
C'est vers le début du mois de mars 1914 que débarque, dans une joie compréhensible, la famille LUTZ au port de Québec City. Cinq mois plus-tard, l'Europe s'enflammera avec la Grande Guerre. Les navires seront réquisitionnés pour l'armée. Quel fut l'accueil réservé à la famille LUTZ qui ne parlait que l'allemand alors que le Canada faisant partie du Common Wealth et qui entrait en guerre au côté de l'Angleterre. Le 3 octobre 1914, la Première Force Expéditionnaire Canadienne (CEF) forte de 32 000 hommes toucha le sol anglais. Elle sera engagée à la bataille d'Ypres en avril 1915.
Port de Québec City
Le Canada
La distance de Québec City et Gatineau est d'environ 450 km via Monréal. La famille LUTZ s'installe dans le quartier de Hull de la ville de Gatineau, situé sur la rive ouest de la ville et sur la rive nord de la rivière des Outaouais, en face d'Ottawa. Le quartier avait totalement flambé en 1900 et c'est donc dans de nouvelles et belles maisons qu'ils aménageront un nid douillet. Joseph, en bon menuisier, n'a pas de problème pour trouver du travail.
Le menuisier Joseph LUTZ
Puis, nous perdons la trace de la famille jusqu'au recensement de 1931.
Le recensement nous permet de glaner quelques informations pertinentes :
- Ils habitent dans la municipalité de Hull, au n°131 de la rue Wright construite vers 1915. Il est locataire et paye 4 dollars de loyer. Joseph travaille comme menuisier. Le terme anglais, Furniture, peut s'attribuer à un métier spécialisé du bois comme, par exemple, ébéniste. Elisabeth est mère au foyer. Le couple déclare être de nationalité française, plus acceptable pour les canadiens. Joseph déclare avoir gagné 1200 dollars canadiens. Dans les années 30, le Canada était gravement touché par la grande dépression. 1200 dollars représentaient une belle somme. Une maison valait entre 2000 et 4000 dollars, une automobile Ford entre 500 et 800 dollars, un costume entre 15 à 20 dollars et une robe pour Elisabeth entre 5 à 10 dollars. Les frais d'université d'un étudiant, pour une année, se chiffraient à 150 à 200 dollars.
- Comme nous allons le voir, Alphonse ou Alphonso comme indiqué a 7 ans. Cela voudrait dire qu'il serait né en 1924 ! Mais où est passé Alphonse qui a débarqué en 1914 ? En plus, cet enfant est déclaré né à Hull au Canada. Le fait que l'on retrouve le même prénom, indique qu'Alphonse, né en 1904, est décédé. En passant, Elisabeth était avancée en âge, 46 ans, quand elle a eu son deuxième fils, presque à l'image de l'Elisabeth biblique.
Alphonse LUTZ
Hôpital pour enfants à Montréal
Professeur Alphonse LUTZ
Le 22 octobre 2013, le professeur Alphonse LUTZ s'est paisiblement endormi dans le Seigneur au Foyer du Bonheur à Gatineau, Québec, où il a passé la dernière année de sa vie sous les soins exceptionnels de la Dre Lynne Foucault et de l'équipe d'infirmiers du deuxième étage. Né à Gatineau le 7 août 1924, Alphonse était précédé dans la mort par ses parents, des immigrants suisses Joseph et Elisabeth (née Meyer) LUTZ, et par sa sœur
Durand sa carrière professionnelle, Alphonse a travaillé comme pharmacien à l'Hôpital pour enfants de Montréal, en tant qu'officier technique à l'Université d'Ottawa, au département de biologie, et finalement comme professeur de biologie au collège CÉGEP de Hull. Homme de grande foi, il a fréquenté pendant de nombreuses années le sanctuaire catholique ukrainien St. John the Baptiste et a été ordonné sous-diaconat.
Il a été un bienfaiteur de nombreuses œuvres et était très apprécié dans la communauté grecque et ukrainienne d'Ottawa.
Une cérémonie commémorative (Panakhyda) sera célébrée le dimanche 27 octobre à 19 h, au salon funéraire McEvoy & Shields, 1411 chemin Hunt Club à Ottawa. Les funérailles seront célébrées au sanctuaire catholique ukrainien St. John the Baptist, 957 Green Valley Crescent, Ottawa le lundi 28 octobre à 10 heures. À la place de fleurs, on peut faire un don au Metropolitain Andrey Sheptisky Institude Fondation ou au Holy Spirit Catholic Seminary à Ottawa.
Mémoire éternelle ! Vichnaya Pam'yat ! (expression funéraire utilisée dans l'Église chrétienne orthodoxe).
L'émigration de Joseph Lutz : un objectif religieux ?
Voici ce que l'on peut lire dans l'article : "L'Emigration alsacienne au Canada" de Marie-Noël Denis. 2012
Maintenant une nouvelle question qui se pose : qui est le père Joseph BURGSTAHLER ? Cela ne mérite-t-il pas une nouvelle recherche ? Le collège St Alexandre de Gatineau publie des écrits de personnes qui ont marqué l'histoire du collège avec cet extrait qui relate « la sympathique menuiserie du vieux M. LUTZ à la grosse moustache ».
Joseph LUTZ décéda 6 octobre 1960 à Limbour Gatineau
La question en suspens
À Gatineau, il existe une place appelée place LUTZ. Quelle est son origine et son histoire ? Un hommage posthume à un membre de la famille LUTZ qui puise ses racines à Valff ?
Le dénouement
En contactant l'association des résidents de Limbour, nous avons eu la joie d'avoir de multiples réponses. Une des responsables qui nous a aimablement répondu, Mme Carole Dignard, nous a dévoilé des pans importants de l'histoire de la famille Lutz à Limbour.
De gauche à droite : Elisa, Elisabeth, Alphonse et Joseph MORENCY, Thérèse et Cécile PRUD’HOMME, éd., 1996, Saint-Alexandre 1946-1996, Imprimerie Grégoire, 302 p.
Nous apprenons, par exemple, que Joseph travaillait à la menuiserie de collège Saint-Alexandre de la Gatineau, qu'Alphonse, après le décès d'Elisa a fondé une Fondation Elisabeth Lutz au profit de l'église avec les biens laissé par sa soeur et que le premier Alphonse est décédé en 1921. On confirme également que c'était sous l'influence du Père Joseph Burgstahler qu'ils sont partis s'installer au Canada. Le père Burgstahler est né à Rhinau. Son père est originaire de Valff. Un article lui sera consacré.
Histoire de Limbour
Et pour l'histoire de la place Lutz ?
Plus d'informations
De nombreuses questions, qui, pour nous, de la vieille Europe, semblent basiques comme par exemple : « Il y-a-t-il encore des indiens à Limbour ? » ont trouvé réponse avec la correspondance entretenue avec Mme DIGNARD. Mais pas que, vous pourrez également découvrir le témoignage d'Elisa LUTZ qui se souvient de ses premiers jours au Canada en lisant Limbour au Canada.
Avec nos plus sincères remerciements pour Michelle MALTAIS, adjointe à la direction générale du Collège Saint-Alexandre de la Gatineau ainsi qu'à Carole DIGNARD, membre du C.A. de l'Association des résidents de Limbour
Sources :
- Fond Antoine MULLER
- Free Family History and Genealogy Records - FamilySearch.org