Le bagne, un mot qui fait déjà peur. Au XIXe siècle, on pouvait y atterrir pour pas grand-chose. Les sentences judiciaires, au temps de « Misérables », nous paraissent aujourd'hui totalement disproportionnées. Intéressons-nous au parcours, d'un de ces bagnards. Son nom est GRAFF François Antoine. En plus, il est de Valff !

Son histoire

Une petite annotation dans un registre de conscription de la classe 1776 durant la période révolutionnaire nous met tout de suite au parfum : GRAFF Antoine, 21 ans, charpentier de Valff, est « Condamné aux fers pour 16 années »  !

Qui était-il ?

Antoine nait le 24 et est baptisé le 25 septembre 1776. C'est le bon curé SCHECK de la paroisse St-Blaise de Valff qui transcrit l'acte de baptême. Antoine est le fils de Mathias, charpentier, et d'Anna Maria BRONNER. Mathias signa fièrement au bas du document de baptême. Le couple aura encore cinq autres enfants : François-Joseph, Crescentia, Richarde, Marie-Anna, François-Ignace et Jacob.

Le 21 janvier 1777 décède Maria-Anna, 10 mois, et 5 jours plus-tard, François-Joseph, âgé de cinq ans et demi. La famille est dans la souffrance. Peu après, la mère, Anna-Maria, décède à son tour et le père se remarie. Elle s'appelle Maria Barbara DERENDINGER. Le mariage a lieu à Valff en 1799.

Acte de baptême d'Antoine GRAFF

La famille GRAFF habite au n°31 de la rue Haute. Ignace, le frère de notre bagnard, habitera plus-tard la maison voisine, au n°32.

Le délit

Dans l'acte de conscription, il est indiqué qu'Antoine est âgé de 21 ans, 11 mois et 29 jours. Nous sommes au mois de vendémiaire de l'An VII de la République, ou mieux, le 25 septembre 1798 du bon vieux calendrier grégorien. Il a été condamné le 15 prairial de l'An VI (3 juin 1798). Et pour quel motif ? : « Vol commis la nuit par plusieurs personnes avec effraction à l'aide de fausses clés ».

Et hop ! Au bagne pour 16 ans ! Antoine se voit attribué le numéro 1745. Il est en route pour un joli voyage, direction Toulon !

Prisonniers au bagne de Toulon

La même année de l'An VI de la République française, année où son fils Antoine a été condamné, Mathias GRAFF, charpentier, est enregistré dans les comptes de la commune de Valff pour salaire « d'ouvrage aux églises, lattes pour le pont au Breitenweg et ouvrages de son métier ».

Antoine est condamné en 1798 et son père se remarie l'année suivante. La date du décès de sa mère Anne-Marie n'est pas connue. Y a-t-il un lien entre le décès de sa mère suite au dérapage de son fils ou le fils aura-t-il vrillé après la disparition de sa mère ?

Le 2 mai 1817 décède, Mathias, le père. Antoine, libéré, est-il présent ? C'est son frère qui signe comme témoin. Six mois plus-tard, le 5 novembre, c'est le fils d'Ignace, Ignace également qui disparait. Il était âgé d'une heure.

Mariage

Après sa libération, Antoine s'installe près de Strasbourg. Le catholique épouse une fille protestante du nom de Marguerite ZILLER. Sa tante avait épousé en 1783 le jardinier du comte suédois de Löwenhaupt à Niederbronn les bains d'où elle est originaire, un certain George Philippe PFEIFFER. Son grand-père Laurent et son père Laurent du même prénom étaient maîtres de poste.

Le mariage d'Antoine GRAFF a lieu à ECKWERSHEIM, pour quelle raison ? Il faut se rappeler que Marguerite est protestante. Se sont-ils mariés dans l'Église protestante ? Antoine a-t-il embrassé la religion de son épouse ? Ou l'acte de mariage a-t-il seulement été célébré à la mairie ? À Eckwersheim habitaient à cette époque d'autres personnes du nom de famille ZILLER mais sans lien de parenté proche avec Marguerite.

Comte de Loewenhaupt

Acte de mariage en 1819 d'Antoine GRAFF et Marguerite ZILLER née en 1794, elle a 25 ans, Antoine déjà 42.

Le couple s'unit à Eckwerhseim, mais ils n'y habitera pas. Antoine est charpentier comme l'était son père. Il est intéressant de constater qu'Antoine avait gardé des contacts à Valff. En effet, le premier déclarant est Laurent attribué comme étant le père de la mariée domicilié à Valff. Il est noté journalier. Marguerite signe d'une croix (ne sachant écrire).

Le 2 décembre 1831 décède à Strasbourg Marguerite ZILLER. Son père est qualifié de Maître de Poste. Antoine et Marguerite habitaient au 3, Faubourg de Pierre. Une autre information originale est l'indication de la cause de la mort, il est annoté : maladie de la vessie. Il ne leur est pas connu d'enfants. 

Le 21 juin 1832, six mois après sa femme, décède à Strasbourg Antoine GRAFF. Il s'éteint seul à l'hôpital civil. Les déclarants sont deux infirmiers de l'hôpital. Il n'a que 54 ans. Les séquelles contractées lors de son séjour au bagne auront-elles eu raison de lui ou alors la perte prématurée de sa jeune épouse, ou les deux ? 👮‍♀️

Le bagne de Toulon

Règlement et peines des condamnés :

  • « Quiconque aura été condamné à la peine des travaux forcés, sera flétri, sur la place publique, par l'application d'une empreinte avec un fer brûlant sur l'épaule droite. Cette empreinte sera faite des lettres TP pour travaux à perpétuité, de la lettre T pour les travaux à temps. La lettre F sera ajoutée dans l'empreinte si le coupable est un faussaire ».
  • « Quiconque aura été condamné à une des peines de travaux forcés, avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique : il y demeurera exposé aux regards du peuple durant la journée entière. Au-dessus de sa tête sera placée un écriteau portant en caractères gros et lisibles ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation ».
  • « Quiconque aura été condamné à la peine des travaux forcés à temps ou à vie sera durant la durée de sa peine, aura à subir la dégradation civique et la destitution et l'exclusion du condamné de toutes fonctions publiques, il sera en état d'interdiction légale d'entrée dans les églises et les lieux du Seigneur ».

Article 28, de la première partie du code des lois et peines du 3 brumaire, An IV :

« Quiconque aura été condamné à l'une des peines des fers, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, avant de subir sa peine, sera préalablement conduit sur la place publique de la ville où le jury d'accusation aura été convoqué ; il y sera attaché à un poteau placé sur un échafaud, et y demeurera aux regards du peuple pendant six heures s'il est condamné aux peines des fers ou de la réclusion dans la maison de force ; pendant quatre heures, s'il est condamné à la peine de la gêne et durant deux heures, s'il est condamné à la détention ; au-dessus de sa tête, sur un écriteau, seront inscrits, en gros caractères, son nom et prénoms, sa profession, son domicile, la cause de sa condamnation et le jugement rendu contre lui ».

La vie des forçats au bagne

L'arrivée au bagne

Les forçats étaient enchaînés par le cou et menottés, en groupes de 24, les cordons ou cadènes, sur des haquets.

Ferrement d'un prisonnier

À leur arrivée, on les tondait. Ils étaient vêtus d’un habit de laine rouge, d'un gilet de laine rouge, d'une chemise de toile blanche, d'un pantalon de toile jaune et d'une paire de souliers ferrés sans bas. Ils portaient aussi un bonnet de laine, dont la couleur indiquait la durée de la condamnation : le bonnet rouge pour les condamnés à temps, et le bonnet vert pour les condamnés à perpétuité. Une plaquette de fer-blanc indiquait le matricule du condamné. Ceux qui travaillaient dehors recevaient également une vareuse de laine grise.

Accouplement des chaînes

Ensuite, on enchaînait, ou “accouplait” (en argot, on appelait cela le mariage) les forçats deux à deux, toujours un “ancien” à un nouveau venu. Pour cela, on rivait une manille autour de la jambe droite du condamné. À la manille, on rivait une chaîne de neuf maillons d’environ 16 centimètres et lourde de sept à onze kilos, que l’on fixait à sa ceinture. On réunissait les deux chaînes par trois anneaux de fer, appelés organeaux. Deux forçats ainsi accouplés étaient appelés chevaliers de la guirlande.

Tronc devant le bagne permettant de faire un don pour le bien-être des bagnards

Les forçats couchaient sur des grands bancs de bois, au bout desquels se trouvaient des anneaux de fer auxquels on les enchaînait pendant la nuit. On n’accordait des couvertures ou des matelas qu'aux condamnés ayant une bonne conduite. Les salles n’étaient chauffées que durant les froids mois d’hiver [en savoir plus].

Composition de la durée de détentions au bagne de Toulon en 1836 (source Wikipédia)

Nul doute que les sentences actuelles n'ont plus rien à voir avec celles du XIXe siècle !

Sources :

  • Adeloch
  • Archives départementales du Bas-Rhin
  • Ellenbach
  • Gallica

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.