Alors qu'un drôle d'olibrius sillonne la région en se faisant passer pour un illustre baron, un escroc du même acabit gruge un restaurateur peu prudent dans notre commune. Découvrons cette incroyable histoire ubuesque. Nous sommes à Valff en 1886.
Un comte de pacotille
Afin d'entrevoir un peu mieux le quotidien des citoyens de notre commune, attardons-nous d'abord sur l'actualité que pouvait consulter dans les journaux le restaurateur Florent RUCH de l'auberge A la Couronne à Valff. RUCH n'est pas un saint. Il est connu défavorablement dans la commune et a eu de petits démêlés avec la justice [à lire dans un corbeau à Valff !].
Afin de mieux cerner le contexte de ce qui va lui arriver, attardons-nous d'abord sur l'histoire hallucinante d'un espion et voyou qui sévi un temps dans la région. Son nom est le Baron de Graillet ou plutôt Henri Philippe Guillaume REESER !
Place du tribunal de Munich
Munich, 5 septembre 1882
Un procès retentissant se déroule à Munich, mettant en lumière un homme de grande stature, à la longue barbe noire, qui parle couramment le français et l'allemand. Il est accusé d'espionnage au profit de la France. Devant ses juges, il déclare être né à Amsterdam le 26 décembre 1852 et prétend avoir hérité du titre de Baron de Graillet. À l'âge de 15 ans, il déménage à Paris et s'engage dans les Zouaves Pontificaux. Il participe à la guerre de 1870 et prétend avoir été le secrétaire du général Charles Marie de Charette, blessé à Loigny. Promu sous-lieutenant puis capitaine en 1874 dans l'armée carliste espagnole, il sert comme aide de camp du Duc de Casette (?).
Après la défaite des Carlistes, il retourne à Paris, se marie en 1878 et devient père de deux enfants. Pour subvenir à ses besoins, il se fait passer pour journaliste et, grâce à la fortune de sa femme, bénéficie d'une rente de 8000 francs. En 1881, il raconte avoir été abordé par un inconnu à la barbe fournie dans un hôtel des Champs-Élysées. Cet homme, prétend-il, agissait sur ordre de Gambetta, lui offrant 1000 francs pour couvrir ses frais de voyage et 1000 autres en salaire mensuel, en échange d'une mission d'espionnage en Allemagne pour surveiller l'armée allemande, ses places fortes et, si possible, récupérer des documents militaires.
Arrivant en novembre à Stuttgart, il y rencontre le consul de France, puis se rend à Munich, où il fait la connaissance d'un ancien sergent d'artillerie bavarois nommé Bruno Valois et d'un baron ruiné, ancien officier de la réserve bavaroise, KREITMAYER. Ensemble, ils conviennent d'espionner la forteresse d'Ingolstadt moyennant paiement. Le Baron KREITMAYER, quelque peu naïf, se tourne alors vers un troisième protagoniste, le lieutenant FLEISCHMANN, qui joue sur deux tableaux avec pour mission de découvrir s'il existe des câbles télégraphiques souterrains entre Munich et Berlin, et de se renseigner sur l'organisation du Landwehr. Ils s'accordent sur un montant de 30 000 Mark, à condition que les plans soient remis au général Méribel, responsable des services secrets français à Paris.
Le 17 avril, REESER, KREITMAYER et la maîtresse de ce dernier sont arrêtés. Les deux hommes seront condamnés à seize mois de détention, tandis que le Baron KREITMAYER sera privé de ses droits civils pendant cinq ans et placé sous surveillance de la haute police.
Comme vous avez pu le constater, notre mythomane REESER prétendant même avoir été nommé chef du contre-espionnage français après ses incroyables réussites, mais comme on le jalousait trop à la Sureté Générale, il a été obligé d'abandonner sa fonction occulte. Plus c'est gros, plus ça passe !
Premier round, avril 1886
Le journal Le Lorrain écrit : « On se souvient de cet escroc hollandais du nom de REESER qui se faisait passer pour le baron Henri de Graillet d'Oupeye et qui a escroqué de nombreuses personnes à Strasbourg, Mulhouse et à Metz. Cet individu avait eu des démêlés avec les tribunaux allemands pour espionnage et des français pour fraude pour avoir prétendu appartenir au ministère de la Guerre. Il s'est retrouvé devant un tribunal des mœurs de la Seine et a été condamné à 13 mois de prison ».
Le journal nous fait découvrir d'autres détails : le titre de Comte de Graillet lui viendrait de sa mère Anne-Marie De Graillet qui n'est nullement comtesse alors qu'il prétend être le petit-fils du Comte de Graillet ancien gouverneur de la province de Lièges. Il commença par apprendre le métier d'horticulteur puis travailla chez un marchand de vin pour finalement s'enrôler chez les zouaves pontificaux et le régiment des grenadiers et chasseurs hollandais à Amsterdam d'où il déserta. Il se rendit avec son père à Francfort-sur-le-Main où son frère faisait du commerce de sel. C'est là qu'il, ou son père, on ne sait plus, se marie avec Catherine Ernestine ROOS. Il dit avoir quatre enfants. Son inconduite l'ayant fait chasser de la maison paternelle, il s'engagea ensuite chez les Carlistes puis traîna dans les environs du Midi de la France, où il fut condamné pour escroquerie par le tribunal d'Agen et plus-tard à Paris, il passe quelques vacances dans la prison de Tours. Il est arrêté à Paris pour fabrication de faux billets à ordre. Voici le signalement de cet aventurier : il se dit officier français à la retraite, est âgé de 36 ans, mesure 1,70 m, cheveux et barbe noire, air distingué, s'exprime et écrit correctement le français.
Officiers carlistes
Deuxième round en plus poétique, 1892
Notre escroc, tel un vagabond des ombres, a trouvé refuge devant la cour d'appel d'Orléans,
Accusé d'escroquerie, il tissait des ruses au préjudice des prêtres,
Se présentant en écrivain catholique, il usait de fausses lettres,
Écrites, disait-il, par l'archevêque de Malines et l'évêque d'Amiens.
Emprisonné dans les murs sombres de Pithiviers,
Il rêva de liberté, tentant de s'évader de ce triste sort,
Trois mois de plus furent ajoutés à sa peine,
Pour avoir trompé le noble général de Chalin,
Le poids de ses mensonges l'écrasant chaque jour davantage.
Devant la cour, il espérait réduire sa sentence,
Demandant un huis clos, murmure d'un secret bien gardé,
Promettant des révélations sur les puissants de ce monde,
Affirmant avoir servi la France avec bravoure,
Se disant persécuté par des ombres de renom.
La cour, d'une main bienveillante, allégea son fardeau,
D'un mois, la peine fut réduite, mais son destin restait scellé,
Sous le poids d'un arrêté d'expulsion, il errait,
Tel un fantôme, traînant ses mensonges et ses rêves brisés.
Victor Auguste Isidore Dechamps, Primat de Belgique, archevêque de Malines (1810-1883)
Troisième round, 1901
En 1911, lors d'une énième comparution pour fraude et vol par escroquerie, il apparut qu'il n'était qu'un simple représentant en chocolat pour les frères Trappistes. Si après tous les détails ubuesques et la biographie d'Henri REESER cela n'inspire pas un cinéaste à la recherche d'histoires originales ?
Mais revenons à notre escroc de Valff
Le 12 août 1886, durant la même période où sévissait le faux baron Henri REESER, le journal Gebweiler Kreisblatt relatait les mésaventures du patron de l'auberge Der Wirthschaft zur Krone à Valff.
Un homme d'une quarantaine d'années demanda à être logé. Se présentant sous le nom de Charles MALERN, il prétendait avoir été un ancien surveillant de l'entrepreneur H. à S. et affirmait être actuellement au service d'un baron. Selon ses dires, ce baron avait été lieutenant à Trêves et était engagé dans la délimitation des points trigonométriques des villages environnants. Très loquace, le voyageur raconta que son baron fréquentait de nombreuses personnalités et qu'il avait déjà séjourné à Valff, à l'hôtel du Soleil. Il ajouta que ce dernier lui avait demandé de ne pas y retourner, car il en gardait un mauvais souvenir, puis il demanda à être conduit à sa chambre.
Le lendemain matin, arborant un large sourire, il commanda un copieux repas pour son baron, qui n'allait pas tarder à arriver. Ne le voyant pas se présenter, il décida d'aller à sa rencontre, promettant de revenir vers 11 heures.
Comme vous l'avez compris et comme le dit si bien la chanson « Siffler sur la colline », « J'ai attendu, attendu, mais il n'est jamais (re)venu … » 😂
L'article donne ensuite des détails physiques. L'homme mesure 1,70 mètre, porte des cheveux noirs avec une moustache, sa peau est jaune-brunâtre et il est reconnaissable par vilain bleu qu'il porte à côté de son œil droit. Si vous rencontrez cet individu, veuillez contacter la maréchaussée la plus proche !
La trigonométrie
D'où l'inconnu de Valff tenait-il l'idée de parler de trigonométrie ? En 1886 paru un livre de relevés avec le titre Auszug aus den Nivellements der Trigonométrischen Abteilung der Landesaufnahme. Le livre de l'éditeur Mittler und Sohn, contenait les résultats des relevés de hauteurs, lieux fixes et distances, entre-autres, d'Alsace-Lorraine et particulièrement autour de Sélestat. Il était destiné aux géomètres et employés du cadastre. Mais le but principal de ce projet était de pouvoir rédiger des cartes d'état-majors précises pour l'armée. Il contenait un Truppenmesser pour les officiers prussiens avec un plan à l'échelle 1:100000.
Source : Généanet