6 novembre 1875, deux réparateurs de parapluie Regenschirmflicker sont attablés, avec leurs femmes, dans l'auberge Wirthzhaus zum Rappen (auberge du cheval noir) à Benfeld pour étancher leur soif, normale pour un mois de novembre. La suite ne se passe pas comme prévue !
Le réparateur de parapluie était le meurtrier
L'auberge Zum Rappen appartenait à l'époque à la famille juive de Emmanuel STRAUSS (1)
Le renfort est venu d'une umherziehende Korbflechter famille errante de vanniers. Après plusieurs bouteilles de vins, la discussion s'est orienté sur la race et les qualités de leurs chiens. Aucun ne démordra d'avoir le meilleur ! Pour assoir leur point de vue, s'ensuivit, insultes et coups de pieds. C'est au prix d'une grosse entaille avec la rencontre d'une bouteille à la tête du plus jeune et le plus robuste que l'aubergiste décida de les jeter au dehors.
Alors que la dispute se poursuivit à l'extérieur, deux habitants, aidés par les autres vanniers, intervinrent. « Je vais te tuer encore cette nuit ! » vociféra le blessé VOLLMER, entre cris et grossièretés.
Famille de vanniers à la Robertsau vers 1930. Les femmes réparant des parapluies. Fond BLUMER, archives de Strasbourg
Malgré leur désaccord, ils entreprirent finalement le chemin de retour sur la route de Westhouse vers Valff. Quelques minutes plus tard, éclaboussé de sang, un homme frappa à la porte de la mairie pour annoncer aux agents sidérés, qu'il venait de poignarder son compagnon ! Pour preuve, il leur tendit un couteau maculé de sang. Les gendarmes retrouvèrent effectivement un cadavre. Le légiste constatera deux profondes entailles, dont l'une mortelle, dans le dos du malheureux.
Acte de décès de VOLLMER Nicolas, 32 ans, époux de HEILIG Catherine, sur la déclaration du musicien SCHUHMACHER François, voisin, domicilié à Valff
Benfeld en 1933
Une enquête pour homicide est lancée. On identifia le coupable comme s'appelant Jacob BACHINGER, âgé de 32 ans, originaire de Schwanheim dans la Pfalz en Allemagne (Palatinat). Il est marié et père de trois enfants. La victime, c'est son cousin. Il s'appelle Auguste VOLMAR ou Vollmer. Tous deux sont logés à Valff et ont pour habitude de sillonner les villages et exercer leur activité de réparateurs de parapluie et de vannier, activité non déclarée, il va de soi.
Schwanheim
Lors du procès en février de l'année suivante, BACHINGER expliquera que sur le retour vers Valff, son cousin n'avait cessé de le harceler, de le rudoyer, de sorte qu'il finit par craindre pour sa vie ! Il avait même décidé de retourner à Benfeld suivi dans son dos par VOLMAR. Pour clamer son innocence, il rappelle au tribunal que s'il avait voulu tuer intentionnellement son ami, il ne se serait pas rendu directement, et le soir même, à la justice !
« Légitime-défense, Monsieur le juge ! », plaide l'avocat CLAUSS. Le tribunal se retire et, après plus de huit heures de délibérés, revient. Le juge ouvre le relevé du verdict et proclame : « Acquitté ! ». BACHINGER repart libre du tribunal.
BACHINGER & Compagnie
9 février 1881
On ne change pas une équipe qui gagne ! Nous rappelons à nos chers lecteurs le fameux slogan : « Un verre ça va, deux verres, bonjour les dégâts ! ». Pierre SCHMITT, 38 ans, de Surbourg, musicien itinérant, voyage de village en village en compagnie de ses six enfants dont Pierre et Bertha, égayant la vie des populaces avec leurs joyeux chants et, au passage, pour gagner leur croute. Alors qu'ils voyageaient tranquillement en direction de Mertzwiller, à la hauteur de l'auberge Zur Traube, ils furent interpellés par Nicolas et son oncle Jacques BACHINGER ainsi que la jeune femme de ce dernier. « Trink eins met uns ! », l'invitèrent-ils. Boire un petit coup ? Ça ne se refuse pas, surtout par ce mois de février qui donne soif !
Trois heures plus-tard, toute la bande, quelque peu éméchée, quitta les lieux. La femme de Nicolas BACHINGER, la jeune Louise KEMPFER, monta dans la roulotte de SCHMITT et s'assit au milieu de ses six enfants. Les autres suivirent tout en poussant une charrette.
Après une petite demi-heure, ils furent rattrapés par l'attelage du vendeur de graisses KUNTZ qui s'inséra entre la roulotte et la charrette. De la roulotte, le fils Pierre, 14 ans, Henri, 12 ans et Bertha, 16 ans, se mirent à titiller et à brocarder le KUNTZ. Comme on pouvait s'attendre, le ton monta entre les deux groupes. Lorsque KUNTZ les insulta dans une langue inconnue, Pierre SCHMITT s'arma d'une barre de fer, son fils d'un sabre de cavalerie, Bertha avec une tige de mortier et Nicolas BACHINGER d'une bûche ramassée dans la forêt. Bientôt Nicolas se retrouva en pugilat avec Pierre SSCHMITT et une lutte pour la vie ou la mort s'ensuivit.
Nicolas, 22 ans, grièvement blessé, fut transporté en urgence à Mertzwiller où il décéda six mois plus-tard, le 30 octobre. C'est son père, marchand de parapluie comme lui qui déclarera son décès. Jacques, blessé également, s'en sort avec une incapacité de travail de quatre semaines tout comme Pierre SCHMITT.
Pour manque de preuves, le tribunal innocenta Bertha contrairement à Pierre SCHMITT qui écopa de 16 mois de prison, son fils de 9 mois et Henri, 5 mois. Jacques s'est sûrement souvenu avec douleur de ce qui arriva à Benfeld 6 ans plus tôt ! C'est la faute à l'alcool !
Une dernière ?
En bonus. C'est l'histoire d'un inconnu né d'un père de Schwanheim ... ou pas !
Il se dit s'appeler Michel, né à Gries en 1869. Il s'appelle aussi BACHINGER. Il est vannier, marchand et réparateur de parapluie et de cire à chaussures et merceries en tout genre. Pendant la Première guerre, il fut recherché pour désertion. Il dit que son père est originaire de Schwanheim, comme notre Jacques cité plus haut. Il est soi-disant marié à Elise GARCOWITSCH de Fegersheim. Michel a été vu à Augsbourg avec sa femme et ses trois enfants, Elise, Adam et Auguste, nés un peu partout dans le pays. Il est connu pour petits délits divers comme la contrebande ou vol avec violence. Elise, son épouse, s'était installée un temps à Kehl où elle a affirmé à la police qui le recherchait pour l'enrôler, que son mari avait été assassiné à Belfort.
Aujourd'hui, plus de 100 ans plus-tard, pouvons-nous vous raconter la vraie histoire de BACHINGER et élucider le mystère ?
Internet est quand même génial ! La dépêche de Franche-Comté entame son article du 7 juin 1902 par le texte (originel) suivant :
« Lundi arrivaient à Rioz plusieurs vanniers ambulants avec leurs roulottes; ils s'installèrent sur la place du Champ de foire. C'étaient Michel BACHINGER, âgé de 32 ans, alsacien d'origine, sa femme, ou plutôt sa concubine avec quatre enfants, et Jacob VITZEN, âgé de 33 ans, sa femme et cinq enfants ».
Un autre forain ne tarda pas lui aussi à arriver et à s'installer également : Auguste Schmidt, vannier comme les précédents. Les deux ménages et VITZEN, se connaissaient depuis peu : c'était à Besançon, il y a douze à quatorze jours, qu'ils se virent pour la première fois et nouèrent dos relations. La victime trouvait l'assassin riche en osiers ; il lui en faisait l'observation en lui disant : « Tu as de la chance d'être fourni comme ça, moi je ne puis plus travailler, car je ne sais plus où trouver d'osier ». « Si tu viens avec moi, je te dirai où il y en a » répondit-il.
C'est pour cette raison que les roulottes voyagèrent désormais côte à côte de village en village jusqu'à Rioz. Aucune difficulté, aucune contestation ne s'éleva pendant cette quinzaine entre les deux familles qui paraissaient bien s'accorder.
La dispute
Les BACHINGER et les VITZEN qui étaient, somme toute, de bons amis avaient passé la soirée et une bonne partie de la nuit à boire ensemble. On ne sait pourquoi ils se prirent de querelle ; on parle d'une gifle qui aurait été donnée à l'un par l'autre. Mais rien de certain à ce sujet. Ce qu'il y a de certain, c'est que Schmidt couché dans une voiture entendit la dispute. Il dit à diverses reprises aux deux adversaires de cesser ; il prévoyait bien que ça finirait par se gâter.
Le bruit devenait grand dans la roulotte où avait lieu la dispute, et les pressentiments de Schmidt finirent malheureusement par se réaliser. Bref, BACHINGER à an moment donné, porta à son adversaire un coup de couteau en pleine poitrine.
La mort de la victime
Le coup a été si violent que l'arme, un couteau de vannier, large de 3 à 4 centimètres, très tranchant et bien pointu, coupât trois côtés à leur intersection avec le sternum et entamât la quatrième. La blessure était profonde de six à sept centimètres. La lame traversa le coeur dans sa partie gauche. On se demande comment la mort n'a pas été foudroyante. Et cependant, BACHINGER aurait dit après avoir été blessé : « Il faut que j'aille me coucher ; puis après avoir fait quelques pas. Je crois que j'ai mon compte, je vais mourir ».
SCHMIDT à ce moment sortit à sa rencontre. Qu'avait-on fait du cadavre? Avait-il été traîné dehors ? Il faut le croire, car la voiture dans laquelle a été commis le crime était tout ensanglantée. Des paniers d'osier, fabriqués de la veille et qui se trouvaient au bas de la voiture étaient tachés de sang. Ce qu'il y a de certain, c'est que le cadavre a été trouvé étendu sur la place même du champ de foire.
Rioz en Haute-Saône
Les matins de la querelle
La querelle, au dire des forains, devait être extrêmement futile, et on ne peut l'expliquer que par un accès subit de délire alcoolique.
Après l'assassinat
Le coup fait, l'assassin s'est enfui. Peu après, il est revenu : il vit le cadavre de sa victime gisant au milieu du campement. Il monta dans sa voiture pour y prendre quelques papiers, a-t-il dit, et un peu d'argent, ainsi que le couteau dont il s'était servi pour donner la mort à son adversaire. Il prit la direction du bois du Chaillot, distant d'environ 200 mètres. La famille de la victime s'est empressée d'aller chercher un médecin. Un voisin du champ de foire, M. VIEILLARD, dit Loraine, alla immédiatement avertir M. le Docteur DELERSE qui, sur les renseignements qui lui furent donnés, fit prévenir la gendarmerie. Les gendarmes arrivèrent et se trouvèrent en présence du corps inanimé et exsangue.
Transport de la justice
Le parquet, prévenu se transporta dès le lendemain matin sur les lieux et fit procéder à l'autopsie et l'audition des témoins. M. TROUBAT, substitut de M. le Procureur de la République, s'en retournait en voiture vers 5 heures du soir, lorsqu'arrivé entre le Malachère et Quenoche, il vit l'assassin causer avec six individus qu'il ne connaissait pas. M. le substitut sauta immédiatement de voiture et, avec les deux passants, se mit à sa poursuite. VITZEN, qui, sans doute, était porteur du couteau dont il avait fait usage contre BACHINGER prit la fuite et gagna le bois avec une rapidité qui s'explique. Etait-il prudent de continuer la poursuite ? Non, assurément. Aussi, M. le substitut prit-il le parti de prendre sa voiture à Rioz chercher les gendarmes. Le brigadier et deux gendarmes partirent avec la voiture et M. le Juge de paix DUBOIS pour surveiller les abords de la forêt. Sur une longueur de plus de 500 mètres, la piste du fugitif a été suivie dans les seigles ; mais au bord du bois, elle finit par être perdue : cela se comprend.
A l'heure actuelle, l'assassin erre dans la campagne et dans les bois. Son signalement a été envoyé à toutes les brigades de gendarmerie et dans toutes les communes voisines. La criminel est un homme paraissant âgé de 35 à 40 ans, et portant un chapeau de feutre noir. Il a les cheveux blonds, une moustache blonde, son pantalon est de velours marron déjà usagé. Il est couvert d'un veston.
L'inhumation du malheureux
VITZEN a eu lien mercredi soir à 6 heures. La femme de la victime, ses enfants, la femme de l'assassin qui, a-t-elle dit, ne vivait avec lui que depuis une dizaine de mois, les autres forains et quelques personnes du pays, précédés de M. RICHARDET, adjoint, suivaient le cercueil.
Départ des roulottes
Les roulottes ont quitté Rioz hier jeudi, se dirigeant sur Grandvelle ou Gy, sauf celle de la victime qui est allée du côté d'Héricourt, où parait-il elle compte séjourner.
Le crime do Rioz
Une chasse à l'homme
Nous avons raconté dans tous ses détails le meurtre commis à Rioz dans la nuit de mardi à mercredi. La poursuite de VITZEN, l'assassin, a continué ces derniers jours ; malheureusement elle est restée infructueuse. Vendredi dernier, VITZEN, qui a changé de vêtements et qui est vêtu de noir avec un chapeau de jonc, a été aperçu à Rougemont. Il a été poursuivi par les gendarmes de Rougemont auxquels s'étaient joints ceux de Montbozon. Près d'être surpris, il se jeta dans l'Ognon qu'il traversa à la nage. La poursuite recommença de l'autre côté, mais VITZEN put gagner les bois de Loulans et disparaître.
La femme de VITZEN se trouvait ces jours derniers à Fretigney ; elle n'est point allée vers Héricourt, comme le Nouvelliste l'avait annoncé. De Fretigney, elle s'est dirigée par Granvelle sûr Mailley. L'assassin n'a point été revu. Les recherches continuent toujours.
Conclusion
Après consultation de son acte de naissance et le fruit de recherches, nous pouvons affirmer qu'il n'était pas originaire de Schwanheim au Palatinat mais de Schwanheim en Bavière. La leçon : le fait de porter le même nom, être originaire du village du même nom et de vivre du même métier n'est pas une garantie de filiation. Mais l'histoire était quand même trop belle pour ne pas vous la raconter, non ? Ou pas ! 😆
Acte de mariage de 1865 de Laurent (père de Michel) et de Franciska RITTER à Schwanheim, Landkreis Bergzabern, Bayern, Allemagne
Et VITZEN ? S'il n'est pas mort il court toujours ...
(1) Hôtel-Restaurant a la Ville de Paris 4, rue de Strasbourg. En 1858, Mathias Bloch a cessé son activité (Voir : Cabaret Lazare Lewis, p. 84). Sa licence d'aubergiste fut attribuée à Emmanuel Strauss, qui créa un établissement juif dans sa nouvelle maison, 4, rue de Strasbourg. Son épouse, Adèle-Eulalie, née HEYMANN, était une cuisinière réputée. E. Strauss se chargea donc de servir les invités lors des mariages juifs, qui avaient lieu dans la nouvelle salle de l'auberge « Zum Lamm ». Vers 1879, E. Strauss a transmis l'affaire à son gendre, Benjamin BECKER, et à son épouse Nannette, née Strauss. B. BECKER fit rénover la propriété et y aménagea un hôtel auquel il donna le nom de « Zum Rappen ». Après sa mort, sa veuve a continué à gérer l'hôtel jusqu'en 1931, date à laquelle elle l'a vendu à Isidore LENHERTZ et à son épouse Cécile, née HEPPI. La propriété a été réparée et a pris le nom de « Hôtel-Restaurant de la Ville de Paris ».
Sources :
- Gallica
- Informations recueillies avec l'aimable collaboration de Pascal GUIMIER, les Amis du Musée de Benfeld. Extrait : Benfeld. Grosse und kleine Geschichten par Eugène DISCHERT