Le nom d'un escroc de haut vol de passage à Valff découvert dans les médias dans les années 1910 ... et le bureau des enquêtes palpitantes de ce site s'emballe !

C'est le titre « Un imposteur » que démarre l'article en question. « C'est une vie bien troublante que le jeune trentenaire, Maria Théobald QUIRIN traîne déjà derrière lui [...] et c'est de Walf qu'il écrit une lettre à la gérante de l'hôtel M. lui apprenant qu'il est actuellement dans une impasse financière et qu'elle serait bien gentille de lui envoyer 200 Mark ! ».

Que de questions qui cherchent réponse ! Première démarche. Existait-il des QUIRIN à Valff à cette époque ? Le bureau 4 de l'inspecteur Murdock de Toronto, pardon de Valff, se met en effervescence. Effectivement, en 1922, s'est fêté le mariage à Valff d'une certaine Odile QUIRIN originaire de Bernardswiller avec Aloyse KOECHLER. Bernardswiller ? Comme nous allons le voir, la famille du dernier criminel condamné à mort et décapité dans la prison de Strasbourg en 1929, était originaire de Bernardswiller !

Odile habitait au n°155 dans la rue des forgerons où elle est décédée en 1934. Mais notre Odile n'a rien à voir avec Théobald QUIRIN cité plus haut. La raison est que l'article date de 1910 et Odile n'est arrivée à Valff que dans les années 20, donc ...

Reprenons ! Chez qui séjournait QUIRIN à Valff ? Avait-il de la famille ? Pour le savoir, attardons-nous sur son arbre généalogique. Le 4 avril 1911, il épouse Anna Marie ZIEGLER à Strasbourg. On apprend donc que le marchand Maria Joseph Théobald QUIRIN, né le 21 janvier 1879 à Dingsheim, qu'il habite à Aix-la-Chapelle (Aachen) en Allemagne, qu'il est le fils de l'employé de banque Antoine QUIRIN et de son épouse Marie-Anna RITLENG. Ce fameux jour, donc, il épouse Melle ZIEGLER vivant également à Aix la Chapelle, avec qui il divorcera le 29 mars 1938 devant le tribunal d'instance de Mulhouse.

Acte de mariage de Théobald QUIRIN et Anne-Marie ZIEGLER en 1911

Acte de naissance de Théobald le 21 janvier 1879 à Dingsheim (Bas-Rhin)

Mais c'est mal connaitre notre loulou ! Le mariage avec Anne-Marie n'était pas son premier. Le 20 novembre 1902, il avait déjà promis de « t'aimer jusqu'à ce que la mort nous sépare » avec Berthe Eugénie EISER. Le « t'aimer » n'aura duré que jusqu'au 13 mai 1904, date de la rupture et le divorce à Strasbourg. Ils habitaient dans la Ferkelmarktstrasse n°11. Était-ce la situation financière du père de la mariée, le tenant du restaurant brasserie au 21 de la rue de la Nuée-bleue, Friedrich EISER et de son illustre voisin Bugatti, qui a motivé sa flamme ? Il faut dire que la brasserie fera l'objet d'une vente aux enchères forcée en 1926. Le mariage avec Anna-Maria ZIEGLER en 1911, héritière de son père, marchand colonial, a été forcément un mariage d'amour, non ?

Le couple vivra dans un certain luxe. Ils pourrons même se permettre les services d'une servante. L'annonce s'intitule : « Quirin-Eiser, cherche jeune fille, qui peut dormir à la maison, pour travaux. 11, Place aux cochons de lait ».

Place du marché aux Cochons de lait à Strasbourg où habitaient les heureux amoureux

Le 15 octobre 1913, Berthe Eugénie EISER récupérera son nom de jeune fille. L'amour « jusqu'à ce que la mort nous sépare » est définitivement enterré ! 

Ce deuxième divorce a même donné du grain à moudre à l'évêque de Strasbourg. Mais bon, tout ça ne nous apprend toujours pas ce qu'il faisait à Valff ?

Résumons ! En 1911, il se marie avec Anne-Marie ZIEGLER. L'article qui retrace sa biographie glorieuse date de 1910. Voyons ce qu'il nous apprend :

Article du Elsässische Volksbote du 30 avril 1910

Son pédigrée

L'article nous informe qu'il avait été employé dans une banque de Strasbourg. Un mariage malheureux et un divorce l'obligèrent d'aller chercher fortune ailleurs. C'est à Paris qu'il chercha fortune. Sans emploi pendant une longue période, il trouva enfin son bonheur (si on peut le dire) dans un magasin de soie avec un salaire médiocre de 75 Francs mensuels. Il a trente ans, n'y tenant plus, il déleste ses employeurs de 4000 Francs, loue une automobile à Paris et s'installe à Réchésn dans le territoire de Belfort. Il s'y plait tellement qu'après avoir fait un crochet par Strasbourg, il y retourne, et part avec une ardoise pour lui et ses acolytes, à la propriétaire M. de l'hôtel. Cette dernière l'avait hébergé et nourri pendant trois jours jusqu'à ce que la note s'éleva à 300 Mark et, en charmant encore un peu la naïve, lui taxa en plus la somme de 100 autres Mark. Ah les femmes ! 

Ne se contentant pas, il envoya un télégramme de la poste de Valff (au restaurant "Au Soleil") à sa bienfaitrice disant qu'il était à sec et qu'elle voulait bien avoir la gentillesse de lui envoyer encore 200 autres Mark ! Pour finir, QUIRIN gagea son automobile avec de faux papiers, voiture qui ne lui appartenait d'ailleurs pas, ce qui l'amènera devant les tribunaux pour vol et escroquerie. L'amour a ses limites !

Le tribunal condamnera Theobald QUIRIN à six mois de prison dans quatre cas d'escroquerie, fabrication de faux papiers et dans deux cas pour détournement de fonds.

L'enquête

Pour avancer dans nos recherches, nous devons d'abord découvrir quelle est cette commune appelée Réchésn située dans le territoire de Belfort et trouver qui est ce ou cette fameuse propriétaire de l'hôtel M. ? 

Un article du Strassburger Post du 18 octobre 1918, indique qu'un avion français s'est écrasé entre Beurnevesin et Rechesn. Les deux pilotes sont décédés en passant. Beurnevesin est une localité qui se trouve en Suisse. De l'autre côté de la frontière, côté français, il y a un village du nom de Réchésy et ses 900 habitants. Après avoir épluché le recensement de la population de 1911, il faut se rendre à l'évidence : à part des cultivateurs, des douaniers, des meuniers et un paquet de bonnetières et d'horlogers ... et un tout petit cabaretier du nom d'ACKERMANN, il n'y a pas de quoi passer la nuit ! Alors ?

Réfléchissons ! Nos acolytes viennent de Nancy et veulent se rendre à Strasbourg. Pourquoi seraient-ils allés dans le Territoire de Belfort pour aller à Strasbourg ? Après Strasbourg ils ont retournés à l'hôtel de M. Entre Nancy et Saales où ils ont abandonné la voiture avant de retourner au grand luxe, se trouve le village de Raon sur Plaine et devinez quoi ? Il y a même un hôtel de luxe !

Journal Strassburger Neue Zeitung

Un beau et grand hôtel et dont le propriétaire s'appelle, devinez quoi ? .... Mathieu ! 

Le recensement de 1901 nous renseigne sur la famille Mathieu et son équipe.

Alors, soit QUIRIN a très mal prononcé le nom du village « Resplaine » qu'il connaissait très mal ou alors les journalistes ne connaissait pas bien ce lieu, ce qui a donné Rechesn ou alors le tribunal a volontairement brouillé les pistes pour ne pas salir la réputation de l'établissement et de Monsieur le Maire Mathieu PAUL ! Le Strassburger Zeitung, lui, parle Rechesn à la frontière d'Alsace-Lorraine, encore une erreur puisqu'il n'y a rien qui correspond dans cette région. En passant, il est très mal de copier sur les autres, messieurs les journalistes de 1910, ce n'est pas ce que l'on vous a appris à l'école ?

Ça, c'est fait !

L'enquête se poursuit. Le journal Strassburger Neue Zeitung dévoile d'autres détails : Theobald QUIRIN était accompagné dans sa balade par deux acolytes, dont le « fabricant J. », originaire du coin et qui l'avait conseillé de descendre dans cet hôtel. Le larcin était prémédité, QUIRIN s'étant inscrit sous le nom de Paul RENARD. Paul RENARD a vraiment existé. À l'époque, il était connu pour être un pionnier de l'aviation. Finalement, il a aussi de l'humour notre Théobald, lui et Renard ont un point commun : ils sont tous deux spécialistes du vol ! 🥳

Avec son aspect fringant et fier, la classe, sa voiture hors de prix, son portefeuille garni et son baratin envoûtant il fait grande impression. Charmant l'hôtelier Mathieu, et surtout Madame, d'après le texte, ils ne connaissaient peut-être pas bien le proverbe « l'habit ne fait pas le moine ». Après deux jours de pachas et un détour par Strasbourg chez papa et maman, il sont revenus. Le souvenir de la belle vie et de l'accueil était trop fort, et hop ! on retourne à l'hôtel du Donon. Reçu avec liesse, nos épicuriens s'installent pour se faire, à nouveau, dorloter trois autres jours et Madame ne trouva rien d'anormal quand QUIRIN prend congé avec une ardoise de 300 Francs, plus 100 francs qu'il lui avait empruntés. Dame Elise « cœur sur la main ». Partir, mais en promettant que papa, plein aux as, allait éponger (1).

Plus-tard, Théobald enverra le fameux message de Valff. « Me trouve dans un léger revers financier. Stop. Envoyez s'il vous plait 100 Francs. Stop. Vous expliquerais Stop. Rembourserais. Stop ». Et elle consentit, la généreuse, incroyable !

Lorsqu'arriva une nouvelle demande, pour 100 autres Francs, la fête a fait pschit ! Sûrement que Monsieur Mathieu a soufflé avec force dans les bronches de Madame ! Entre-temps, la voiture avait été gagée et abandonnée à Saales. Fin du rêve. Plus de blé, l'aventure se termine sans panache. Un petit tour avec le slogan « Allez en prison, ne passez pas par la case départ et ne touchez pas 20 000 francs » (dommage, à un poil près ... les bases du Monopoly ont déjà été inventés en 1901). Théobald QUIRIN le flambeur ! Théobald QUIRIN qui fume ... le fumiste !

La foire aux questions

Beaucoup de questions restent sans réponse : Que faisait-il à Valff ? Où séjournait-il ? Où a-t-il été arrêté ? A Valff, puisque c'est de là qu'il a envoyé son télégramme ? Il fallait bien qu'il récupère l'argent quelque part, à la poste de Valff ? Au Soleil ? Le troisième compère était-il du village ? Papa tirelire a -t-il finalement fermé le robinet ?

L'année suivante, il se remarie. Décidément, cet homme a un don. Mettre le feu dans le cœur de ces dames. Mégalomane, flambeur et baratineur du sexe faible, tel était Thiébaud QUIRIN !

Epilogue

Pensiez-vous que l'on stoppe un Thiébaud QUIRIN, pardon, Monsieur Thiébaud QUIRIN avec un peu de prison ? Mais, non, mais, non ! Monsieur, mérite bien que l'on lui consacre un deuxième article que l'on pourrait intituler « la descente aux oubliettes du mégalo ! ».

Ne ratez pas la suite !

(1) Dans un article nécrologique de 1929 relatant le décès, à l'âge de 82 ans à Wisches, de maman Théobald, nous apprenons qu'elle était originaire d'Ittlenheim dans le Kochersberg. Fille du « Stobwalters » comme on appelait à l'époque Monsieur le Maire, elle a épousé Antoine QUIRIN de Stutzheim, également fils de maire. Le couple s'est installé à Strasbourg où papa Théobald exerça le métier de banquier au Crédit Foncier. Avant cela, il était très fier de raconter, à qui voulait l'entendre, ses quatorze années passées chez les cuirassiers de l'armée française. Son heure de gloire sonna à Reichshoffen quand il participa à la charge des cuirassiers. Il a été fait prisonnier par les allemands. Antoine QUIRIN fut terrassé par une crise cardiaque et expira au Militärlazaret XV à Strasbourg le 4 janvier 1916. Théobald a sûrement accéléré son départ !

Sources :

  • Adeloch
  • Archives des Vosges
  • Archives du Territoire de Belfort
  • Gallica

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.