Un homme d'église traîne péniblement l'autel de la chapelle Sainte Marguerite en direction du cimetière de Valff. Les témoins sont sidérés et un nombre croissant de villageois accourt pour suivre cet évènement sans précédent. Que va-t-il se passer ? Ils n'en croient pas leurs yeux quand le prêtre, ou ex-prêtre, met le feu à l'autel ! Qui est-il et quels évènements ont conduit au sacrilège ?

Le contexte

Décembre 1793. Le lendemain de la venue de l'accusateur public Eulogue SCHNEIDER à Barr, Sébastien LASSIAT, notre ex-prêtre jureur de Valff qui a remplacé le curé André SCHECK a la tête des paroissiens est nommé par ce dernier commissaire au bureau du district de Barr. Pour marquer l'événement, vexé par le manque de zèle révolutionnaire des habitants, il a rassemblé un quart des habitants et a organisé un feu de joie au milieu du cimetière avec le bois de l'autel de la chapelle Sainte-Marguerite. Dans un discours pathétique, il informe son retrait en tant que prêtre, fait l'apologie de l'esprit révolutionnaire puis demande à être considéré, à présent, comme un humble citoyen. Après avoir rejoint les rangs des adeptes de la méthode SCHNEIDER qui avait déjà tranché quelques têtes, la terreur s'empare de nos habitants. La guillotine portative de SCHNEIDER allait-elle déménager à Valff après avoir rougi les pavés de la place de l'hôtel de ville de Barr et ceux d'Epfig ?

Précédemment, le 28 juin 1793, Sébastien LASSIAT avait été nommé prêtre jureur à Valff. Fils de Sébastien "Ludimoderatis" directeur d'école, ancien vicaire de Dambach, il avait été nommé à la place du curé André SCHECK Valff, réfractaire en fuite. LASSIAT est un jeune homme de 26 ans qui se présente à Valff. Avec ses idées révolutionnaires, il va se mettre à dos non seulement le marguiller Joseph WEIDELE mais aussi tout la reste de la population. Les deux hommes vont d'ailleurs se vouer une haine farouche !

Acte de naissance de Sébastien LASSIAT au 4 septembre 1767

Mais revenons aux évènements de décembre. Devant la mairie, une lettre devrait être normalement lue aux citoyens. Elle est retranscrite par le secrétaire de mairie dans le registre des délibérations et se compose comme suit : « Frères et amis républicains, vous avez apprécié hier la victoire de la raison sur l'erreur et constatés ses bienfaits. Un honorable jeune homme, (Eulogue SCHNEIDER), un ancien religieux, a, par amour pour la République française, quitté sa maison familiale et son héritage, a résisté à la furie des voix fanatiques et suivi le son de la raison. Il a demandé la main d'une ravissante jeune fille et démontré son éclatante lucidité par un choix judicieux parmi toutes les filles de la ville de Barr. Il a offert son cœur à une pauvre, mais courageuse enfant, fille d'un père exemplaire qui a également offert sa vie pour la liberté et l'égalité. Amis, que ressentez-vous, quand ... ».  L'accusateur public, Eulogue SCHNEIDER avait épousé la veille une fille de Barr : Sarah STAMM, âgée de 22 ans, fille de Jean-Frédéric STAMM, chef du bureau d'imposition de Barr. 

Le texte transcrit par le secrétaire s'arrête net au milieu de la phrase, comme s'il avait compris d'un coup la futilité du rédigé. Vient-il d'apprendre la nouvelle ?

Marié à Barr le 12 décembre, Eulogue SCHNEIDER a fait une entrée fracassante le jour même à Strasbourg. Le cortège triomphant est flanqué de la Garde Nationale barroise. Les soldats tirant sabre au clair célèbrent les mariés installés confortablement dans leur carrosse richement décoré et tiré par six vigoureux chevaux. Nos heureux tourtereaux sont loin de s'imaginer les événements qui vont refroidir leurs ardeurs romantiques. Arrêté le lendemain de la nuit de noce, on attache le galant Eulogue de 10 heures du matin à 14 heures de l'après-midi sur son échafaud installé sur la place d'Armes (place Kléber) pour lui faire ... « expier l'insulte faite à la République naissante ! ».

Eulogue SCHNEIDER exposé à Strasbourg (crédit image : Gallica)

Il est décapité à Paris le 10 avril 1794. Ses derniers mots soulignent toute sa hargne révolutionnaire : « On ne saurait être plus complaisant avec les ennemis de la République qu'en me faisant mourir ! ». L'ancien curé et pote, LASSIAT, fera-t-il aussi fait les frais de la purge intestine ? Il est, lui aussi, arrêté en juillet 1794 et déporté. Le filou s'évadera ...

Portrait d'Eulogue SCHNEIDER

Le 3 novembre 1794, la commune de Valff portera plainte pour non-remboursement d'un prêt de 400 livres octroyé en octobre 1793. LASSIAT, pointe aux abonnés absents, l'affaire tombe à l'eau.

Le 16 septembre 1797, il prête serment à Strasbourg par cette déclaration : « Je jure de haïr la royauté et l'anarchie et de vouer un attachement et une fidélité exclusive à la République et la Constitution de l'An 3 ».

Il réapparaîtra à Strasbourg le 21 septembre 1798 convolant mariage avec mademoiselle Sophie Dorothée BEX, fille d'un riche courtier en marchandises. Dans l'acte, il affirme vivre à Strasbourg depuis 15 ans … et se déclare secrétaire du commissaire de police de Strasbourg. Son père, simple maître d'école à Schwobsheim, devient du coup : homme de lettres. Le 18 décembre 1801, il atteste sur l'honneur n'avoir rétracté aucun serment exigé par la loi et se fait établir une attestation de résidence permanente et sans interruption en tant que pensionné ecclésiastique depuis mai 1792 à Strasbourg chez un certain SCHMITT, serrurier, au 25 rue Saint-Thomas. Naturellement, il omet de signaler son séjour à Valff … une amnésie peut-être ! On apprend dans l'acte qu'il mesure 1m 67, porte des cheveux châtains, se reconnait par son visage ovale, ses yeux bruns, son menton rond et le front dégagé.

Le 17 avril 1811 décède Sophie Dorothée à Wolfisheim. Dans l'acte, il se déclare maintenant … notaire impérial du canton d'Oberhausbergen. Un mois et demi plus tard, un remariage éclair, à 43 ans, l'unira avec la fille d'un professeur de musique, Henriette DORN, 23 ans, et ... 8 mois après, nait Sophie Henriette … prénommée Sophie, sûrement en mémoire de feu Dorothée Sophie tant pleurée.

Suivra :

  • 23 février 1812 : Naissance de Sophie Henriette à Wolfisheim
  • 27 juillet 1813 : Naissance d'Anne Christiane Adélaïde qui épousera un ancien militaire. En 1835, elle avait mis au monde une fille, père inconnu, du nom d'Henriette Ida. L'enfant a été reconnu par son futur époux Auguste SCHWEIGHAUSER qu'elle a épousée en 1840.
  • 29 avril 1820 : Naissance de François Théodore. Son père, Sébastien LASSIAT, est noté « d'ancien notaire ». Ils habitent au 4, rue des jeux des enfants.
  • 4 avril 1834 : Décès de Sébastien LASSIAT à 66 ans au 2, rue des Veaux à Strasbourg.
  • 1842 : Mariage de son fils, Sébastien Henri, il est peintre. Sa fille Mathilde Adélaïde mettra au monde une fille de père inconnu à Benfeld. 

Acte de décès d'Henriette DORN veuve de Sébastien LASSIAT, ancien notaire, en 1861

Il décède à l'âge de 66 ans à Strasbourg. Sébastien LASSIAT, le maître caméléon a disparu tout comme ont disparu ses rêves et ses slogans révolutionnaires : liberté, fraternité ou la mort ! Le dernier est sans appel.

Comparaison

Ne pourrait-il pas s'agir d'un autre Sébastien LASSIAT concernant les informations recueillies après les évènements révolutionnaires de Valff ? Nous avons comparé la signature de LASSIAT de sa lettre d'accusation du sieur WEIDELE avec celle de son acte de mariage. 

Demande de libération de WEIDELÉ après les accusations et dénonciation prononcées par le « curé de notre cité »

Lettre manuscrite écrite de la main de Sébastien LASSIAT. Il écrit : « Après avoir fait face au fanatisme et à l'hérésie de la sombre aristocratie qui s'est développée et étendue dans le village Valfftout entier, ce qui est mondialement connu, j'ai d'abord observé comme un rempart courageux et réticent puis je me suis senti obligé de signaler ces monstrueux penchants malgré mon faible pouvoir et me consent à vous signaler les faits : le monstre dont je parle est le transgresseur et pécheur, le citoyen Joseph WEIDELY. Il traîne, jour et nuits, dans les habitations et les débits de boissons pour entraîner et endoctriner des personnes dans son aristocratique fanatisme. Ses victimes sont faciles à convertir parce qu'il n'existe dans cette commune qu'une seule personne patriotique ... et il me fait obstacle ! » [Pour plus d'informations au sujet de Joseph WEIDELE, voir l'article : Weiss nit ... Weiss nit !].

À la fin de son réquisitoire, Sébastien LASSIAT signe « LASSIAT, ci-devant curé à Valff ». Dans son acte de mariage rédigé cinq ans plus-tard, LASSIAT signe à nouveau. Malgré quelques fioritures supplémentaires devant et derrière son nom, on constate une grande similitude.

Le notaire

Affiches et annonces de la ville de Strasbourg le 9 mai 1827. La vente aux enchères fait suite aux créances et la faillite du notaire Félix-Joseph LEX

Le 21 mai 1829 a eu lieu à 14 heures à l'auberge du Cerf à Valff (auberge du cerf, en voilà une information inédite !) la vente aux enchères de terres situées à Valff. Ces terres proviennent de la possession de biens abandonnée par le notaire Félix-Joseph LEX. Surprenant ! Ce notaire n'a jamais eu un quelconque lien avec notre village ... quoique. 

Souvenez-vous ! LASSIAT a aussi été notaire un temps ... à Schiltigheim ... tout comme LEX ! Explication : LASSIAT s'est associé, de 1806 à 1816 à l'Étude notariale de Félix-Joseph LEX au 6 rue de l'arc-en-ciel à Schiltigheim (aujourd'hui Strasbourg). Il a donc très bien pu acheter ce droit en partie et en nature de terres, des terres qu'il a achetées et extorquées à la commune de Valff en 1793 avec l'emprunt de 400 livres qu'il n'a jamais remboursé !

Mascarons de la façade du 6 rue de l'arc-en-ciel 

Elle est belle la notion de justice de notre Sébastien LASSIAT. Nous lui devons, en particulier, le martelage des écussons au-dessus de la porte d'entrée du presbytère, de la stèle funéraire à gauche de l'église St-Blaise et des écussons et ailes au-dessus de la porte d'entrée de la chapelle Ste-Marguerite ! Bravo l'artiste ! Liberté-égalité-fraternité ! 

Chapelle Ste-Marguerite

Félix-Joseph LEX

Sources :

  • Adeloch
  • Archives départementales du Bas-Rhin
  • Fond Antoine MULLER
  • Gallica

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.