La grande comète de 1680 au-dessus de Rotterdam par le peintre du peintre néerlandais Lieve VERSCHUIER

« Réchauffement climatique », « plus de saisons » : sont des expressions couramment entendues de nos jours. Qu'en était-il par le passé ? Nous avons déjà parlé sur notre site [à lire : La reine des neiges n'a pas toujours été gentille] de l'hiver exceptionnellement rigoureux de l'année 1783. Il arrivait parfois que certains curés déprimés s'adonnaient à graffer sur le papier pour la postérité, leurs états d'âmes de curé. Le registre paroissial de Stotzheim est un bon exemple. Le gardien des âmes a jugé utile de nous informe des frimas des hivers 1681 et 1684. Bien lui a pris. Mais pas que ça. Il nous révèle aussi l'expérience d'un phénomène exceptionnel. Sortez vos cache-nez ... et vos télescopes !

En première page du registre de baptêmes, mariages et décès, le curé Joachim REISCH cité débute avec la préface suivante : « Registre des baptisés qui, sous le révérend prêtre Joachim REISCH de la paroisse de Stotzheim de l'ordre des bénédictins du monastère d'Etten (monastère bénédictin d'Ettenheimmünster à Ettenheim en Bade Wurtemberg) et archiprêtre du chapitre d'Andlau, à partir de l'an 31 et du début de la guerre des suédois (guerre de Trente ans) ».

Ce curé est un précurseur pour ce qui est des enregistrements de baptêmes, mariages et décès. Seuls quelques registres similaires en langue allemande existent dans des paroisses protestantes. Pour d'autres communes catholiques, sauf rares exceptions, il faudra attendre la fin du XVIIe siècle comme à Valff.

Au milieu des relevés, pendant l'hiver 1680-1681, un curé du lieu a griffonné dans le registre des baptêmes en langue allemande et au bas d'une page, un compte-rendu de la situation dramatique dans laquelle se trouvait sa commune. Il est question de neige, de froid ... de loups et de ... comète. Écoutons-le !

Nous pouvons y lire (traduction) : « Cette année, nous subissons une pénible et sombre période glaciale durant tout le mois (décembre). Notre église, suite à deux attaques guerrières, est en ruine. À cause de la pauvreté des habitants, certaines fenêtres n'ont pu être remplacées. Les trous des vitraux ont dû être obstrués avec des planches parce que l'église s'était remplie de neige. Le froid est si intense que les cinq moulins du village sont à l'arrêt et maintenant, nous subissons une pénurie de farine. En plus, les voyages sont très dangereux. Les loups ont déjà déchiré de nombreux poulains ! Une comète (Cometstern) est visible dans le ciel avec une queue d'une incroyable longueur. Ce que cela présage, seul l'avenir nous le dira. J'ai même dû, une fois, par besoin et des conséquences du mauvais temps, baptiser chez moi, à la maison ! Il était impossible d'atteindre l'église à cause des grandes quantités de neige, de glace et de vent. J'ai aussi dû renoncer à la sainte huile (pour les derniers sacrements) ! ».

Dans le registre des décès de la même année est consigné un autre rappel relatif à la grande comète de 1680 avec l'avertissement suivant : « Le 2 décembre : à cette époque, on observe une comète, avec une queue ondoyante. Ce qu’elle annonce, Dieu le sait : par le destin, elle nous avertit de fuir la colère à venir, et la verge [même mot latin – virga - que la « queue » de la comète] qui est étendue au-dessus de nous en raison de nos péchés. Quand donc, comme il est convenable, réformerons-nous notre vie en mieux ? » (1).

La comète de 1680, le contexte

Une comète inédite dans le ciel de décembre annonceuse d'évènements exceptionnels et troublants ? C'est ce qu'ont dû faire ruminer et cogiter bien des contemporains superstitieux ! Le 2 janvier 1681, Madame de Sévigné écrit à Paris : « Nous avons ici une comète qui est bien étendue aussi. [...]. Tous les grands personnages sont alarmés et croient que le ciel est bien occupé pour leur perte, et en donne des avertissements par cette comète ».

Maison à Illkirch où fut signée la capitulation de la ville de Strasbourg

L'année suivante et l'observation de notre chroniqueur, le 28 septembre 1681, la ville protestante de Strasbourg est assiégée par 30 000 hommes sous le commandement de Louis XIV. Strasbourg accepte la reddition. Le roi fait abattre symboliquement un pan de la fortification de la ville et la cathédrale est rendue aux catholiques ! En 1697, la presque totalité de l'Alsace est annexée au Royaume de France. La comète, la comète ... je vous l'avais bien dit ! 👩‍🎓

Et pour les loups ?

Petite histoire des loups dans notre région [à lire : Histoire de loups].

Le contexte historique

1621. Le catholique luxembourgeois et mercenaire MANSFELD à la tête de 20 000 hommes envahie l'Alsace. La guerre de Trente ans débute ! Cette guerre opposera catholiques et protestants, suédois, danois, français, autrichiens et une pléiade d'autres impériaux allemands selon leurs alliances, une guerre de possessions et de pouvoir. Même MANSFELD retournera sa veste et s'alliera aux protestants ! Entre-temps, l'Alsace, comme d'autres régions, sera ravagée, détruite et exsangue. À la fin de la guerre de Trente ans en 1648, conclut avec le traité de Westphalie, certains historiens avancent que la moitié de la population alsacienne a disparu, tout comme le hameau de Gallwiller (ou Kollwiller) entre Epfig et Stotzheim. Aujourd'hui ne subsiste qu'une croix au bord de la voie rapide du Piémont avec cette inscription : « Hier war Gallweiler ... ».

Acte de décès de la paroisse d'Epfig : « Aujourd'hui, 1er février 1695, est décédé à Gallwiller, l'honnête citoyen Matthias Güllich, mercenaire de la nation Alsace et enterré dans le cimetière Ste Marguerite par moi, Th(éobald ?) Lang »

Le remodelage de la carte de l'Europe engagera, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, les armées de Louis XIV avec, aux commandes du côté français, Henri de Turenne, et de l'autre, les impériaux du Saint Empire Germanique dirigés par Alexandre de Bournonville. La bataille dite d'Entzheim se déroulera le 4 octobre 1674. 25 000 hommes contre 35 000, 30 canons contre 50. La victoire sera française. C'est dans le contexte de ces affrontements que vraisemblablement l'église de Stotzheim, dont parle notre curé REISCH, a pu être ravagée.

À Valff aussi, la guerre de Trente ans a laissé des traces. En 1629, les seigneurs d'Andlau demandent l'autorisation à la Régence de l'Évêché de pouvoir juger huit personnes de Valff à Andlau pour soupçon de sorcellerie. Le procès ne pouvait se dérouler à Valff, le lieu ayant été dévasté par les belligérants. La maison commune est totalement carbonisée et les troupes de Mansfeld ont pillé le village !

Jean PERRIER opéra « La sorcière »

Qui est l'auteur des annotations ?

Sur la première page du premier registre paroissial (1631 à 1685) est écrit le relevé des curés ayant desservi la paroisse : Catalogus parochorum qui ab hominum memoria huic parochie prafiterunt (Liste des curés qui ont officié de mémoire humaine dans cette paroisse).

En premier dans cette liste on peut lire : « Johannes (Jean) STRAUB (1631-1635) curé de Stozheimb (Stotzheim). Les vieillards de cette époque se souviennent très clairement qu'après avoir occupé la charge paroissiale pendant trois ou quatre ans, il était parti pour subvenir aux besoins de la paroisse de St. Pild (St-Hippolyte) ».

Le curé Joachim REISCH (1635-1650) est ordonné au monastère (d'Ettenmünster), puis durant trente ans (à Stotzheim). Le monastère d'Ettenmünster avait aussi à cette époque (en attribution) la paroisse d'Epficensem (Epfig ?) qui leur était rattachée. Il servait où l'époque était associée aux nombreuses calamités pour sa famille, à l'Alsace et aux populations germaniques (guerre de Trente ans). Il mourut à Marckolsheim en 1651.

Acte de décès à Marckolsheim en 1651 de Joachim (Rish) REISCH ou Risch ancien curé de Stotzen (Stotzheim)

Monastère d'Ettenmünster

Le curé suivant sur la liste est Christophorus (Christophe) WEITRITT (1651-?). Le texte le concernant est un mélange d'allemand et de latin. On peut lire, en résumé, que WEITRITT est né à Lendel en Autriche (Lend dans le district de Zell am See) et qu'il était en rapport avec le très révérend (monastère) Ettenheimmünster. Le texte poursuit : « Dieu qui est le patron de cette église (a vu) qu'un certain homme qui adhérait à la secte luthérienne (adharebat secta lutherare) et qui habitait à Benfeld, quand la ville était encore fortifiée (démantelée vers 1650) avait été nommé dans notre paroisse. Il a présenté des lettres de recommandations (pour officier à l'église) (2) . Mais cet homme (le curé Weitritt) était un vrai curé catholique. Dieu l'élèvera. Après qu'il a, pendant un an, essayé d'apprivoiser la paroisse et même la personne du curé, il est parti pour Mittelbergheim, qui est devenu un lieu de culte luthérien. Nous remercions publiquement Dieu de nous avoir fait sortir de l'obscurité à la vraie lumière par la parole de l'évangélisation.  Oh ! comme c'est excellent. Oh ! Toi le précieux, détruit les (lupua) comme un loup ! ».

Après WEITRITT, le nouveau curé avait pour nom Henricus (Henri) MOLSHEIER. Il était originaire de Westerich (prusse). Archiprêtre du chapitre d'Andlau et de la paroisse de Zellweyler. L'archiprêtre du chapitre avait rattaché les paroisses de Zell(willer), de Saint-Pierre et Stotzen (Stotzheim), où il démissionna finalement et devint chanoine au collège de Luttenbach.

Vue de Stotzheim en 1909 (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)

Puis ce fut le tour de Philippus (Philippe) WIDMANN (1659-1665). « Après avoir géré la paroisse de Stotzen pendant quelques années, il quitta la paroisse et s'installa à Zellwiller et mourut finalement après la guerre avec l'armée française à Dachstein en 1679". Il était en compagnie de son frère à Stotzheim car nous pouvons lire de sa main : « Le 17 septembre 1661, protégé par les sacrements, a quitté cette vie pour le requiem final, le Révérent Mauritz (Maurice) WIDMAN, frère de l'enseignement allemand, enseignant et prêtre au monastère de Fuldenbacensi (Fuldenbach en Bavière) de l'ordre de Saint Benoît pendant deux ans prêtre dans la ville fortifiée de Kientzen (Kientzheim). Il a été enterré au pied du maître-autel ».

Puis ce fut la valse des feu-follets. Suivent Andreas MORSCH « qui servit pendant un an » (1665-1666), Carolus RAUSCH (1666) « qui ne considéra pas sa nomination assez sérieuse et qui déménagea au milieu de l'année », Nicolas KEMPF « qui est parti parce qu'il n'a pas non plus supporté la pression », Johannes GRELL (1666) d'outre-Rhin, « un homme d'un grand savoir, qui, alors qu'il avait à peine commencé (à découvrir le village), mécontent, nous quitta ». Et enfin Joannes FUNCK (1666-1679) de Treurisensis (Trèves). Après les trois autres, « il fut admis à la paroisse en 1666 à la fête de l'Annonciation. Il occupa la paroisse pendant douze ans et mouru de maladie pendant la guerre d'Andlau contre les français ».

Photo de 1909 : au fond à gauche le presbytère, à gauche ancien moulin (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)

Apparait enfin Bernard MUCKHIUS ou MUCKHI (1679-1685), originaire de Haslasensis (Haslach) près de la rivière Kintzig en Bresgau. Il était consacré de l'ordre des bénédictin du monastère d'Ettoris (Ettenhemmünster). Il fut nommé curé de Stotzheim du 5 juillet 1679  jusqu'au 4 avril 1685. Il administra également la paroisse de St Pierre. Le voilà notre chroniqueur !

Le registre des baptême débute en 1631 et se termine en 1685. Les informations sont rangées dans des cases bien délimitées. En plus l'écriture est la même. Comment est-ce possible ? L'explication la plus logique est que le dernier curé, Bernard MUCKHIUS, ait compilé les relevés de ses prédécesseurs. Etant curé durant la période allant de 1680, date de la première annotation climatique et astronomique et de la seconde de 1684, il a ainsi pu inséré ses propres commentaires. Bien lui a pris !

Tableau rédigé par le curé MUCKHI. Première case intitulée : enfant, puis parents, parrain, marraine et dernière date

Pour preuve il écrit lui-même : « J'ai réussi à insérer les noms de ces personnes dans ce livre car ils avaient été écrits sur du papier ancien rongés par les souris, afin qu'ils ne périssent pas complètement et tombent dans l'oubli ».

Avant de disparaitre, il a dû se remémorer ce bouleversant moment, ces sentiments de petitesse alors qu'il levait les yeux vers le splendide ciel étoilé des longues nuits d'hiver de l'année 1680. La vue magnifique de la comète tirant derrière elle ses présages imaginaires, l'a-t-elle poussé à louer le grand Créateur du ciel et de la terre ? Peut-être !👼

Notre curé chroniqueur Bernard MUCKHIUS, ne s'est pas contenté de relater la météo de l'hiver 1680, il a aussi grifoné un relevé pour l'hiver 1684. Curieux, curieuses ? Vous en saurez un peu plus dans le prochain article. 

(1) Pour un ecclésiastique, une comète ou étoile filante rappelle celle de Béthléhem. Elle est à la fois annonciatrice d'une bonne nouvelle : la naissance du Christ, et d'une mauvaise : le génocide de tous les garçons de moins de deux ans à Béthléhem et sa région par le roi Hérode. Elle peut s'interpréter aussi par un des signes du temps de la fin relaté dans l'évangile de Luc : « Car, comme l'éclair resplendit et brille d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi sera le Fils de l'homme en son jour ». Bible Louis Second

(2) Dans les registres de la paroisse protestante de Mittelbergheim on trouve le nom de Johan Phipipps von Dettlingen (famille noble de Basse-Alsace) wonhafft zu Stotzheim. Figure également le nom d'Alexandre d'Andlau qui introduisit la réforme à Valff en installant un pasteur luthérien à l'église St Blaise. En 1652 succède à Jean Philippe Koch à Mittelbergheim, le pasteur Alberto Daubelio Argent. 

 

Sources :

  • Archives départementales du Bas-Rhin
  • Registres paroissiaux
  • Traduction latine : communauté généanet

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.