Clémence HIRTZLIN la "Reine de l'automobile"

Dans mon village, Valff, la première personne à conduire une automobile était une femme. Le curé d'alors, du haut de sa chaire, a exprimé dans son sermon son sentiment partagé par de nombreux concitoyens : « Si les femmes se mettent maintenant à conduire des automobiles, où allons nous ? ». Lorsque j'ai abordé le point de vue de certains hommes du début du XXe siècle au sujet de la femme au volant, ma propre femme est montée en température. Le sujet méritait une enquête ! Une découverte surprenante allait pimenter mes recherches. Voilà donc le thème épineux que nous allons aborder au regard de l'histoire. Si en plus, on remet en doute la légende que la première femme pilote serait Camille du Gast, alors Mesdames, lectrices, mettez vous à l'aise, préparez vous une petite tisane, une musique douce, du parfum d'ambiance ... ça va stresser un peu !

Qui est la première femme pilote ?

Fin XIXe siècle. Les automobiles se multiplient sur les ... appelons cela routes. Comme une automobile coûte une blinde, Monsieur, qui a les sous, peut se payer un chauffeur. D'ailleurs le terme chauffeur est approprié puisque pour démarrer la bête il fallait littéralement « pré-chauffer » au rouge les bougies avec de l'acétylène puis entamer un corps à corps épique contre la machine avec la manivelle. Notre chauffeur en transe chauffait donc copieusement ! Arrivent des femmes pionnières qui veulent également se laisser aller au plaisir de la conduite. Cheveux et chapeau au vent elles aiment. La belle soumise du coin du feu s'émancipe. C'est l'angoisse chez les machos ! 

Camille DU GAST : première femme pilote automobile officieuse et amazone des courses

Camille DU GAST est reconnue officieusement comme la première femme pilote automobile sur route en France. Femme d’intérieur, elle est chanteuse lyrique et pianiste concertiste ; mais aussi femme d’extérieur, et même bien d’extérieur ! Pionnière du saut en parachute, elle fait partie des premières à s’affranchir des codes rigides de son époque.

Avec la duchesse d'Uzès, représentante du sexe « faible », elles furent parmi les premières femmes à obtenir le permis de conduire. Ah, ce fameux permis ! Créé par Louis LÉPINE en 1893, ce précieux sésame était initialement réservé aux hommes. Ce n’est qu’à partir de 1899 que les femmes purent officiellement recevoir ce « certificat de capacité ». La première lauréate féminine fut Anne d’Uzès de Mortemart, qui, ironiquement, fut aussi l’auteur du premier excès de vitesse jamais verbalisé. Ah, ces femmes !

Du 27 au 29 juin 1901, Camille DU GAST prend part à la mythique course Paris-Berlin. Elle termine à la 33e place. Surnommée « l’amazone aux yeux verts » par la presse, elle suscite jalousie et scandale. Lors de la course Paris-Madrid en 1903, elle échappe à un attentat et sauve un concurrent d’une mort certaine, sacrifiant sa place – une honorable 8e position.

Mais la reconnaissance n’est pas au rendez-vous : elle sera interdite de courses. Motif invoqué ? « Inexpérience » et « nervosité féminine »... Voilà comment l’audace féminine se heurte aux préjugés de son temps.

Camille DU GAST sur Panhard et Levassor en 1901

Hélène VAN ZUYLEN : pionnière oubliée de la course automobile

Avant Camille DU GAST, une autre femme s’est aventurée sur les routes en tant que conductrice : Hélène VAN ZUYLEN. En 1898, elle participa à la course Paris-Amsterdam, organisée par son mari, le baron Étienne VAN ZUYLEN VAN NYEVELT, premier président de l’Automobile Club de France.

Cette apparition féminine passa presque inaperçue à l’époque. Les journaux de la course ne consacrèrent que quelques lignes discrètes à cette comtesse au volant. L’automobile restait en effet un domaine réservé à une minorité — exclusivement masculine — et la présence d’une aristocrate derrière un volant ne dérogeait pas aux règles tacites de la bienséance sociale.

Toutefois, Emmanuel Piat, responsable de l’histoire et du patrimoine de l’Automobile Club de France, nuance le statut d’Hélène van Zuylen :
« Lors de la course de 1898, une épreuve dite "tourisme" était organisée en parallèle. Il ne s’agissait pas d’être rapide, mais de participer et, éventuellement, d’arriver à destination. Peut-on, dans ces conditions, considérer Hélène comme pilote de course ? »

Cette remarque soulève un débat intéressant sur la place des femmes dans les premières compétitions automobiles : étaient-elles de véritables pilotes ou simplement des participantes symboliques dans des épreuves moins compétitives ?

Quoi qu’il en soit, Hélène VAN ZUYLEN reste une figure clé, pionnière discrète mais essentielle dans l’histoire des femmes au volant.

Sans commentaires !

Journal « La vie au Grand Air » du 15 juillet 1898

Journal du 7 juillet 1898 

La baronne Van Zuylen passe la ligne d'arrivée à Amsterdam après qu'une rumeur avait laissé entendre qu'elle aurait eu un accident. Comment pourrait-il en être autrement ?                       Source: La locomotion automobile du 1er juin 1898

Une pionnière alsacienne au volant ?

Cocorico ? Non, plutôt clap clap ! (C’est le bruit de la cigogne qui claquette en Alsace.) La même année que la fameuse course de Camille DU GAST en 1901, l’Alsace peut aussi s’enorgueillir d’avoir sa propre « chauffeuse » ! Oui ! Elle s'appelle Clémence HIRTZLIN.

Membre active de l’Automobile Club d’Alsace-Lorraine — créé en 1899 sous le patronage du comte de Zeppelin Aschhausen, avec son siège à Strasbourg et un bureau à Mulhouse — Clémence partageait sa passion pour l’automobile avec d’autres fervents amateurs locaux dont Sophie Mélanie DE POURTALES de la Robertsau, également sympathisante de l’automobile.

L’association, présidée par le célèbre brasseur Max SCHUTZENBERGER de Schiltigheim, réunissait des passionnés qui faisaient avancer la cause de cette toute nouvelle discipline mécanique dans la région.

Clémence, en plus d’être une conductrice aguerrie, incarnait la modernité alsacienne à l’aube du XXe siècle, défiant, comme nous allons le découvrir, les conventions sociales de son temps.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k121778j/f1057.item

Extrait du journal « Le vélo » de décembre 1899

La locomotion automobile   janvier 1899

 

Clémence, la pionnière alsacienne.

Clémence, seule femme parmi 46 mordus de mécanique de l'association automobile d'Alsace-Lorraine, fait figure de pionnière. Tandis que les hommes discutent moteurs et cylindres, elle, elle participe activement aux courses. On la découvre au volant d’une Delahaye, lancée à toute allure lors du rallye Strasbourg–Colmar–Strasbourg. Son mari, quant à lui, préfère la tranquillité du paddock, en compagnie de sa propre « Benz ».

À cette époque, la France est le berceau de l’automobile moderne. En 1898, le pays compte déjà 600 usines, 120 000 ouvriers, et investit 100 millions de francs dans cette industrie florissante. Rien que cette année-là, 3250 "teufs-teufs" sortent des ateliers : un véritable bouillonnement mécanique.

Et en juillet 1900, l’Académie française s’en mêle. On débat passionnément : faut-il dire un ou une automobile ? La réponse, cocasse aujourd’hui, se fonde sur une logique bien de son temps : « Ce sont des hommes qui ont inventé le moteur, le font démarrer et remplissent le réservoir — ce sera donc un automobile ! »

Outre-Rhin, le genre ne pose pas de souci : Automobil est masculin. Les surnoms, eux, sont plus fantaisistes : on y croise des Töff-Töff, Kraftwagen, Schnauferle, das Aut, ou encore les affectueux Automoboberle.

Edition du 14 juin 1901 du Journal l'Auto

La reine de l'automobile

Clémence HIRTZLIN a participé à la course « Strasbourg-Colmar-Strasbourg » du 16 juin 1901 et comme nous allons le voir plus loin, elle était pilote bien avant cette date  !

 

Strasbourg–Colmar–Strasbourg : une course de légende

 

Le dimanche 16 juin 1901, l’Alsace vibre au son des moteurs pour la seconde course automobile de son histoire, après celle de juillet 1900https://histoiredevalff.fr/histoire/xvieme-siecle/749-la-course-automobile-du-22-juillet-1900?=WyJjb3Vyc2UiLDE5MDBd.

Initialement prévu via Mulhouse, le parcours final relie Strasbourg à Colmar aller-retour, soit 155 kilomètres d’audace mécanique sur routes encore peu adaptées à ces bolides naissants.

Parmi les 52 équipages engagés, on retrouve de sacrés noms. Les frères Richard et Eugène Benz concourent chacun sur une voiture Benz sortie des ateliers de Mannheim, au cœur du Bade-Wurtemberg. Ils ne sont autres que les fils du célèbre Karl Benz, l’un des pères fondateurs de l’automobile. Leur nom, associé plus tard à celui de Daimler, deviendra synonyme d’élégance et de performance sous la marque Mercedes-Benz à partir de 1926.

L’Alsace n’est pas en reste : Émile Mathis, enfant du pays et futur constructeur automobile de renom, s’aligne avec une De Dietrich 2 cylindres de 7,6 chevaux. Autre grand nom en lice, Henry Opel, l’un des cinq frères à l’origine de la mythique maison Opel de Rüsselsheim.

Côté local encore, Henri Jeannin, ancien champion cycliste devenu directeur d’une usine automobile à Strasbourg, membre du club d'Alsace-Lorraine, mise sur son moteur monocylindre de 5 CV conçu par Klingenberger de Berlin. Homme visionnaire, il participera hélas quelques années plus tard à Berlin, à la conception des destructeurs pulsoréacteur des fusées V1.

On note aussi la présence du constructeur Louis Jeanperrin et du pilote Léon Demeester. Ce dernier, alors en tête sur sa Gladiator, choisira avec un fair-play remarquable de laisser la victoire à son rival Morane, pilote Delahaye, qu’il avait involontairement gêné. Geste noble, devenu rare aujourd’hui.

Bref, en ce mois de juin 1901, l’Alsace accueille non seulement une course, mais surtout un défilé d’innovateurs, de passionnés et de pionniers qui écriront les premières pages de la légende automobile.

Voiture de course Benz de type 12 cv

Un départ au petit matin, sous le signe des éléments

Le coup d’envoi de la course est donné à 5h30 du matin, en plein cœur de Strasbourg. Les bolides s’élancent sur la route de Colmar, en direction de la Meinau, sous une pluie battante, des orages grondants, dans la boue et les crottins de chevaux. Le décor est planté !

L’horaire matinal n’a rien d’un caprice : il a été choisi pour éviter les embouteillages hippomobiles, les vélocipèdes hésitants, sans oublier les piétons distraits. Il fallait aussi ménager les susceptibilités ecclésiastiques : on craignait que les curés ne voient d’un mauvais œil leurs fidèles préférer applaudir au passage des Motorenwagen — ces diaboliques machines à pétrole — plutôt que d’aller sagement à la messe.

Entre prudence et discrétion, les organisateurs ont donc opté pour la lumière de l’aube et l’humidité du pavé, en espérant que les moteurs ne prennent pas l’eau avant Colmar…

Le règlement : discipline et précaution à l’ancienne

Pour assurer le bon déroulement de la course, l’organisation avait tout prévu. Des commissaires étaient postés tout au long du parcours, brandissant des drapeaux pour alerter les pilotes :

  • Un drapeau bleu signalait un danger à 100 mètres : virage serré, caniveau traître, descente périlleuse... prudence recommandée !

  • Un drapeau jaune annonçait quant à lui un passage à niveau fermé, un obstacle sur la route ou un désordre à venir. Dans ce cas, arrêt obligatoire.

Chaque véhicule devait embarquer deux personnes à bord, sauf exceptions pour les tricycles et quadricycles, plus légers.

Les tricheurs n’étaient pas les bienvenus : toute personne fournissant de fausses informations sur son identité ou sur son véhicule était purement et simplement éliminée.

Les réclamations ? Elles devaient être déposées immédiatement après la course, accompagnées d’une caution de 30 marks. Attention : si la plainte était jugée infondée, la somme était perdue !

La course avait lieu par tous les temps, soleil ou déluge. Les concurrents étaient tenus de se présenter 30 minutes avant le départ à la porte d’Austerlitz, pour vérification.

Les organisateurs avaient également banni de la catégorie III les voiturettes de course disposant d’une seconde place permettant à un passager d’actionner... un système à pédales. Eh oui, à chacun son moteur !

Les inscriptions se faisaient chez Monsieur Schutzenberger, 10 rue de l’Arc-en-Ciel à Strasbourg.

Enfin, le grand départ était donné route de Colmar, au lieu-dit Scharenmühle, dans une ambiance où l’huile et l’enthousiasme coulaient à flots.

Léon DEMEESTER sur Gladiator

Le triomphe de Delahaye, la performance de VARLET

Le tracé de la course traversait les communes de Plobsheim, Erstein, Sélestat, Marckolsheim, Neuf-Brisach, Colmar, avant de revenir à Strasbourg. Et pour les plus rapides, 155 kilomètres de route boueuse et cabossée furent avalés en 3 heures et 1 minute. Oui, à l’époque, cela semblait vertigineux : une moyenne de 52 km/h, avec une consommation « raisonnable » pour l’époque… seulement 34 litres aux 100 km !

C’est le Parisien Émile Amédée Varlet, ingénieur chez Delahaye, qui signe la victoire au volant de sa puissante 4 cylindres de 4,9 litres — la seule 4 cylindres engagée, et la plus redoutable du paddock avec ses impressionnants 20,4 chevaux (ce qui fait tout de même moins que notre bonne vieille 2CV Citroën...).

Varlet avale les 72 premiers kilomètres en 58 minutes (soit près de 70 km/h de moyenne !) avant de devoir, hélas, terminer la course… coincé en seconde vitesse, boîte bloquée ! Un exploit tout de même.

🏁 Classement par catégorie :

  • 1er : Émile Amédée VARLET (Delahaye)

  • 2e : SCARABISCH

  • 3e : KRAEUTLER de Mulhouse

  • Tourisme +400 kg : MORANE

  • Carburant alternatif (alcool/bioéthanol) : Demeester, en 3h36

  • Tourisme –400 kg : BLUM, JEANNIN, KAYSER, MATHIS, en 4h32

  • Motocycles :

    • KOECHLIN en 5h06

    • DENY en 5h10

Mais comme toute bonne course d’époque, les réclamations fusent : disputes sur les catégories, sur les temps... Il faut dire qu’entre les averses, les sabotages involontaires de chevaux vapeurs, et les technologies capricieuses, la route de la gloire est pavée d’incertitudes !

 

Légende : « Mme Clémence HIRTZLIN gagnant le second prix de la course Strasbourg-Colmar et retour », la locomotion automobile, 1901

Clémence, reine incontestée de la course

Tous n’ont pas eu la même chance. Les derniers mettront plus de 5 heures à rallier Strasbourg, certains abandonnant, éparpillés le long du parcours. Mais une participante sort du lot, et pas seulement pour sa performance.

Clémence, dossard n°16, est la seule femme engagée dans la course — autant dire un événement en soi ! Elle est acclamée dès le départ, applaudie tout au long du trajet, et fêtée à son arrivée comme une véritable héroïne.

À l’issue de son périple, bouclé en 4 heures et 5 minutes avec une moyenne de 40 km/h, elle est couronnée 1ère des dames (normal, certes… mais amplement mérité !). On la pare d’une couronne de lauriers aux feuilles dorées, ornée d’un ruban rouge et blanc, les couleurs de l’Alsace. Elle reçoit :

  • Un chèque de 125 Marks

  • Le prix de l’Automobile Club, doté de 300 Marks

  • Un superbe vase Terracotta de 80 cm de haut, gravé « Fleurs d’eaux » par l’artiste Simon de Paris, offert par M. Pollak, propriétaire des bains et de l’hôtel de cure de Badbronn Kestenholz

  • Un bouquet de roses remis en personne par Max Schutzenberger, président de l’Automobile Club et brasseur réputé

Clémence pilotait sa fidèle Delahaye 2 cylindres, 8,4 chevaux, une robuste machine d’1 tonne 100 qu’elle appelait tendrement « son Duc ». Elle pose fièrement pour une photo souvenir, bras dessus bras dessous avec le président et sous les applaudissements ! Pourquoi insistons-nous tant au sujet de l'accueil chaleureux alsacien ? La suite de l'article illustrera la raison.

Mais Clémence n’était déjà plus une inconnue : dans les cercles automobiles, on l’appelait affectueusement « La Reine de l’Automobile ». Et ce jour-là, elle confirma dignement son titre, sans accident, avec panache et sourire.

Publicité Delahaye de 1900 

Clémence HIRTZLIN, pionnière (et femme téméraire) des routes d’Empire

On ignore la réaction exacte des spectateurs médusés à la vue de ces drôles de machines pétaradantes et de leurs conducteurs intrépides — et surtout conductrices, en l’occurrence — que l’on appelait déjà à l’époque des « écraseurs de poules ». L’attraction a dû être renversante… et probablement pour une ou deux poules aussi ! Pas bien grave, dira-t-on : le dimanche, c’est le jour de la poule au pot…  Un curé, imbu d'humilité, a prêché du haut de sa chaire " Si les femmes se mettent maintenant à conduire, où va le monde ?"

Mais au-delà de ces anecdotes croustillantes, les archives permettent aujourd’hui d’affirmer haut et fort que Clémence HIRTZLIN fut bel et bien la première femme pilote automobile sur route dans l’Empire allemand — et la seconde en Europe, juste après Hélène VAN ZUYLEN qui était seulement une participante dans la classe "tourisme". Ce fait historique ne manquera d’ailleurs pas d’être souligné dans les colonnes du Strasburger Post à l’époque.

Dans un monde automobile naissant, largement dominé par les hommes, Clémence HIRTZLIN aura su prendre le volant — et sa place dans l’histoire.

"Frau HIRTZLIN, appelée "la reine d'automobile". Extrait du Strasburger Post du 5 mai 1900

En effet, la course Paris-Berlin, où Camille DU GAST participa, se déroula, du 26 au 29 juin, soit 10 jours après la course de Strasbourg et de Clémence.  Alors : « Hip Hip Hip, Clap Clap noch e monl ! », comme la cigogne ... Vive Clémence !

Affiches de Strasbourg 8 juin 1901

 

Clémence, l’enthousiasme d’un public et l’admiration d’un journaliste

 

Le lundi 17 juin 1901, le journaliste du Strasburger Neueste Nachrichten (ancêtre de nos DNA) ne tarit pas d’éloges sur la seule femme engagée dans la course : Clémence Hirtzlin. Contrairement en France, où la présence féminine au volant suscite souvent condescendance ou mépris, en Alsace, c’est une véritable ovation.

Dès le samedi, l’ambiance était électrique : tous les délégués de l’Automobile Club Alsace-Lorraine s'étaient mobilisés pour accueillir les participants sportifs à l’Hôtel Terminus. Parmi eux, Otto Schultz, vice-président du club et propriétaire des usines d’électricité de Strasbourg, l’ingénieur alsacien Camille Bourlet, et bien sûr Clémence Hirtzlin, déjà entourée de curieux et de passionnés.

Le hall résonna des klaxons et des “groin-groin”, les fameux cornets à poire. L’enthousiasme fut contagieux.

Le lendemain matin, c’est le baron von Molitor, émissaire berlinois et secrétaire général de l’Automobile Club d’Allemagne, qui donna le top départ. Celui-là même qui lancera, quelques jours plus tard, la mythique Paris-Berlin à laquelle participera la pionnière Camille du Gast.

Von Molitor saluera l’effervescence de part et d’autre de la frontière : 52 équipages, une ferveur commune, et un même amour du progrès. Il se dit particulièrement honoré d’avoir rencontré Mme Hirtzlin, dont la réputation d’ardente passionnée d’automobile l’a précédée. Avant de conclure par un vibrant « Auto Heil ! », en forme de bénédiction mécanique.

 

La course

 

Dès 4 heures du matin, des centaines de spectateurs s’amassent sur les trottoirs. Le départ est donné à une minute d’intervalle, selon les classes :

  • 1re classe : voitures de sport

  • 4e classe : motocyclettes

  • 2e classe : voitures de tourisme >400 kg

  • 3e classe : voiturettes <400 kg

Clémence Hirtzlin est engagée en 2e classe, parmi les voitures les plus robustes. Et comme le résume le journaliste avec admiration : « Son audace n’a d’égale que l’élégance avec laquelle elle mène sa Delahaye. »

Classement final

Töff-töff, fanfare et galanterie alsacienne

Même la Strasburger Bürgerzeitung s’enthousiasma pour l’événement, parlant du passage des "Töff-töff Kolonnen" – des colonnes de voitures pétaradantes – qui ont traversé nos campagnes au bruit joyeux des moteurs naissants. L’un des moments les plus cocasses ? Une improbable croisement avec une course cycliste : des chasseurs militaires légers, en tenue, pédalant vaillamment sur leurs vélos comme des lanciers du progrès. Vive le sport moderne !

Mais l’honneur du jour, une fois encore, reviendra à Madame HIRTZLIN, saluée avec ferveur tout au long du parcours, notamment à Sélestat et à Colmar, où les encouragements se sont transformés en véritables ovations.

 

Côté palmarès, les voitures lourdes ont vu triompher les constructeurs français, mais l’Allemagne décroche la victoire chez les voitures légères, grâce à l’Automobile Gesellschaft de Berlin. Leur moteur monocylindre conçu par Klingenberg s’est montré redoutablement efficace. Aux commandes ? Louis JEANNIN, directeur de la firme française d’automobiles et de motocycles à Strasbourg, qui défendait brillamment les deux camps !

Et que dire de l’accueil alsacien réservé aux femmes pilotes ? Exemplaire, chaleureux, respectueux. Des courbettes à tous les virages, des applaudissements à chaque arrêt. Oui, Clémence a conquis le cœur du public, bien plus sûrement que n’importe quelle pole position.

Courbettes. Clap clap. Noch e mol !

Publicité Delahaye vantant la première place de Clémence HIRTZLIN en 1901

Photographie prise à l'arrivée de la course par le photographe de la revue La Locomotion Automobile 1901

Après la course, les pilotes, encore couverts de poussière et d’huile, se retrouvèrent au restaurant “Bäckehiesel” pour un banquet bien mérité, animé par la fanfare du 126e Régiment d’Infanterie, dirigée par Monsieur HAEFELE. Le vin d’Alsace coule, les moteurs refroidissent et les esprits s’échauffent dans une franche camaraderie.

Les fondateurs de l'automobile club d'Alsace Lorraine en 1900 au Baeckehiesel. Au centre à droite, Clémence HIRTZLIN et HOESSINGER

Clémence à gauche sur la photo en 1900 [en savoir plus]

Clémence sur la route de Paris ?

C’est une nouvelle retentissante que nous livre le Strasburger Neueste Nachrichten du 3 mai 1900 : Clémence HIRTZLIN aurait participé à une course automobile entre Strasbourg et Paris ! Si la course elle-même reste à documenter plus précisément, un article évoque clairement son statut de pionnière dans le monde naissant de l’automobile.

Ce jour-là, les membres de l’Automobile-Club d’Alsace avaient organisé une promenade motorisée dans la campagne alsacienne. Leur périple les mèna de Strasbourg à Urmatt, via Entzheim, Dorlisheim, Mutzig, avant de se retrouver autour d’un déjeuner gastronomique à l’Hôtel de la Poste, bercé par la musique d’un piano… et les crépitements des moteurs refroidis.

À 15 heures, après café et tarte aux pommes, les « pétrolettes » reprennent la route du retour, direction Gressweiller, Boersch, Klingenthal, Ottrott et Obernai. Le parcours est tout sauf une partie de plaisir : les pentes atteignent jusqu’à 18 % ! Mais les vaillants véhicules grimpent courageusement à 7 ou 8 km/h, poussés parfois plus par la volonté que par les chevaux du moteur.

Et qui retrouve-t-on à la tête du cortège, arrivée première à Ottrott ? Nul autre que Mme HIRTZLIN, appelée dans l’article — noir sur blanc — « la Reine de l’Automobile ». Le journaliste évoque même sa participation à la course Strasbourg–Paris dans sa magnifique voiture. Preuve s’il en fallait encore que Clémence faisait déjà parler d’elle bien avant 1901.

Dans une touche savoureuse, le vice-président Max Schutzenberger, bloqué en route pendant trois heures (oubli d’ouvrir le robinet d’arrivée d’huile…), ponctue la journée d’un aphorisme technique devenu proverbiale :

« Schmier' mit Fleiss,
sonst laufen sich die Lager heiss »

(Graisse avec application, ou tes paliers chaufferont à l’ébullition !)

Et pour ceux qui douteraient encore de cette fameuse course Strasbourg–Paris, le journal Le Vélo en livre une mention dès le 17 novembre 1899, évoquant en encadré le projet d’une liaison motorisée entre les deux villes. Une ébauche de Paris-Roubaix motorisé, sans pavés mais avec déjà… des pionniers et une pionnière.

Clémence sur la route de Paris ? Un mystère automobile alsacien

Ce qui est certain, c’est que Clémence a bel et bien parcouru la distance Paris–Strasbourg en voiture. Cette affirmation est confirmée noir sur blanc par le Strasburger Post, qui écrit dans son édition du 1er avril 1901 que la pilote « a ouvert le cortège des voitures du défilé à travers Strasbourg lors de l’exposition automobile du 31 avril avec sa nouvelle et élégante voiture, avec laquelle elle a fait le trajet Paris–Strasbourg ».

[À lire aussi : La genèse de l’automobile en Alsace – Partie 3]

Un exploit pour l’époque, et une reconnaissance publique pour Clémence, dont la présence à cet événement ne fait aucun doute.

La course Paris–Strasbourg elle-même était annoncée depuis un certain temps, et Clémence y était inscrite. C’est ce que confirmait déjà le journaliste du Strasburger Neueste Nachrichten dans son article du 3 mai 1900, citant son nom parmi les pionniers attendus au départ.

Cependant, malgré ces annonces enthousiastes, aucune preuve formelle n’atteste que cette fameuse course ait effectivement eu lieu sous la forme prévue. Les archives sont muettes sur les résultats, les abandons ou les conditions de route. Est-ce un projet qui est tombé à l’eau ou dans l'huile ? Une épreuve transformée ?

À défaut de Paris–Strasbourg, une autre course a bel et bien eu lieu : un parcours de 90 kilomètres organisé dans la région, de Strasbourg à Kehl, puis Kappel, Rhinau, Bofzheim, Plobsheim, avant le retour vers Strasbourg. Une boucle tout aussi exigeante, où Clémence n'a pas participé, dans ce qui semble avoir été une épreuve de substitution. https://histoiredevalff.fr/histoire/xvieme-siecle/749-la-course-automobile-du-22-juillet-1900?=WyJjb3Vyc2UiXQ==

Mais l’écho laissé par le projet initial — et surtout, l’audace de Clémence à faire seule le trajet entre Paris et Strasbourg à une époque où la route était un défi — suffit à asseoir sa légende. Une chose est sûre : elle était prête. Et sa voiture aussi.

La locotion automobile du 2 août 1900

Extrait du journal Strasburger Neueste Nachrichten du 3 mai 1900

 

L'affaire de l'excès de vitesse en 1905

 

Ah, voilà une scène bien croustillante ! On dirait que Clémence n’a pas eu un accueil aussi chaleureux en Allemagne ! Cette fois c’est la police allemande qui se distingue par son autophobie et sa misogynie — un cocktail explosif. Et en plus, les journalistes de l’Auto Vélo ne manquent pas de relayer tout ça avec une caricature, histoire d’en rajouter une couche.

Les fameux casques à pointe, symboles parfois caricaturaux de l’autorité prussienne, étaient souvent utilisés dans ces caricatures pour souligner l’intransigeance voire la brutalité des forces allemandes, surtout face à une femme comme Clémence qui osait s’imposer dans un monde d’hommes. Ils n'auront pas l'Alsace et la Lorraine...

 

Reconstitution : Le duel au chronomètre de Kehl

Un dimanche matin lumineux à Kehl, sur la place centrale où le tram fait aujourd'hui sa halte, le gendarme Krebs, réputé pour son zèle rigoureux, est posté derrière un arbre, chronomètre en main. Sa mission ? Relever les infractions au code de la route avec la précision d’un officier d’état-major. Tsac, zac !

Le restaurant Zum Rehfuss — « au pied du chevreuil » — est à deux pas, tandis que la mairie (Rathaus) veille silencieusement sur la ville. Soudain, une voiture s’approche. Krebs observe, les yeux bien ouverts, perçants.  La voiture franchit la ligne imaginaire, et c’est là que le gendarme actionne son chronomètre...

La voiture file, en direction du Salmen, à une vitesse qui lui paraît excessive. Le chronomètre s’arrête au bout d’une minute pile, après que le véhicule ait parcouru une distance estimée entre 400 et 450 mètres.

Krebs s’avance alors, drapeau rouge à la main, pour stopper la conductrice : Clémence Hirtzlin.

— Madame, vous êtes accusée d’avoir dépassé la vitesse règlementaire, lui annonce-t-il d’un ton grave.

La controverse éclate rapidement. Lors du procès, une reconstitution minutieuse révèlera que la distance parcourue était en réalité de 470 mètres. Mieux encore, on fait appel à l’horloger local, Schalck, qui met en lumière un écart de six secondes entre sa montre calibrée et celle de Krebs.

Pour vérifier, on organise des essais et une reconstitution : différentes voitures s’élancent à toute vitesse sur ce même trajet, sous l’œil vigilant des gendarmes. Ils reconnaissent alors, sans ambiguïté, qu’une des automobiles roule exactement à la même vitesse que celle de Clémence il y a six mois.

Malgré ces éléments, Krebs maintient son accusation avec une obstination qui frise l’acharnement, son honneur est en jeu. La course contre le temps est donc loin d’être gagnée pour Clémence, prise au piège dans une mécanique où les chiffres, les montres et les règles semblent tourner contre elle.

« La reine de l'Automobile et le tribunal » titre du Strassburger neueste Nachrichten du 15 novembre 1906

Les procès : rappel des faits

Le soir du 1er juillet 1906, Clémence HIRTZLIN rentrait de Stuttgart, fièrement installée au volant de sa Panhard-Levassor. À son arrivée à Kehl, le destin la rattrape sous la forme du gendarme Krebs, guettant avec son chronomètre. Celui-ci la collectionne les procès-verbaux pour excès de vitesse, c'est un pro !

Devant les échevins badois, Clémence ne se laisse pas intimider. Calme, précise, elle démontre que son allure n’était en rien excessive : sa conduite était modérée, sa vitesse contrôlée. Le tribunal local l’acquitte, ne lui infligeant qu’une simple police.

Mais le ministère public, mécontent de ce verdict, décide de faire appel. L’affaire prend une tournure plus solennelle, portée devant le Tribunal régional d’Offenburg. Le tribunal, visiblement vexé, déploie un véritable dispositif : Landwehrs et Landsturms convoqués comme témoins, toute la Polizei, la prévôté, et la gendarmerie de Kehl, astiquée, casquée de leurs fameux heaumes à pointe, gantée de blanc, prête à en découdre.

Le juge tonne :
« Vous avez roulé 450 mètres en une minute, Madame, soit un excès manifeste de vitesse ! » ( 27 km/h alors que la vitesse tolérée en agglomération était de 12 km/h)

Clémence riposte avec force : partie de Stuttgart des usines Benz (Mercedes) à 10 heures du matin, elle avait subi un court-circuit sur sa voiture. Elle a donc ralenti, demeurant en seconde vitesse en traversant Kehl. La Panhard-Levassor ne pouvant pas, en pleine charge, dépasser les 18 km/h avec en prime une fuite au réservoir d'essence. Et encore moins en une minute, puisque, selon Kratzer, expert pour l’Alsace-Lorraine, la voiture aurait dû mettre une minute trente pour parcourir cette distance.

Le fabricant confirme même l’incident du court-circuit, renforçant la crédibilité des dires de Clémence.

Arrivent les experts, témoins et plaidoyers

Le tribunal est en effervescence quand deux super experts s’emparent du sujet brûlant du chronométrage. Leurs débats savants, techniques, se croisent et s’entrechoquent, semant un flou savamment entretenu.

Puis entrent en scène deux voyageurs qui suivent Mme HIRTZLIN à une centaine de mètres :

  • Le secrétaire général Zimmer

  • Le négociant Fetzer

Tous deux affirment, sans hésitation, que la conductrice ne dépassait guère les 12 km/h, la vitesse maximale autorisée en agglomération. Et pour couronner le tout, la voiture était endommagée, victime d’une fuite au réservoir, ce qui aurait forcément ralenti sa course.

Face à ces témoignages, le procureur se lève d’un pas décidé. Son argumentation est implacable :

  • Petit a) Les gendarmes badois sont infaillibles, garants de la loi et de l’ordre.

  • Petit b) Mme HIRTZLIN a roulé à 27 km/h, vitesse largement excessive.

Pour étayer ses dires, il brandit les calculs minutieux effectués à partir de la montre à gousset des forces de l’ordre et celle du fameux gendarme Krebs.

Krebs, dans son témoignage, évoque la désapprobation des habitants excédés par la poussière soulevée par les automobiles, rendant impossible l’ouverture des fenêtres. Une preuve de plus, selon lui, que les véhicules allaient trop vite.

Le pontonnier Zalbbrenner, appelé à témoigner, avoue n’avoir rien vu, mais lâche tout de même que les arrestations reposent sur la vitesse d’un cheval au trot — un trot jugé trop rapide, cela va sans dire.

Mais Krebs reste inflexible : « 450 mètres en 60 secondes ! »

Alors, le Wachtmeister Windt vient tempérer les choses. Il reconnaît que la montre du gendarme Krebs différait déjà des chronomètres utilisés lors des courses automobiles en 1901. Ce dernier explique même qu’il regardait sa montre d’un œil et la voiture de l’autre — un véritable exploit multitâche selon ses dires !

Enfin, l’avocat Dr Luniy, de Strasbourg, prend la parole avec un mélange d’indignation et de regret :
« Quelle gravité pour une affaire qui n’aurait jamais dû être prise en jugement... comme pour un double meurtre ! Tout ce tapage, ne serait-ce pas parce que Clémence... est une femme ? »😘

La salle se remplie de murmures grondants.

Le verdict et ses retombées

Le tribunal se retire de la salle chargée de tension. Puis, il revient avec une sentence qui fait l’effet d’un couperet :
Clémence HIRTZLIN est condamnée à payer 30 Marks, plus les frais !

Loin d’être abattue, Clémence recevra, dans les semaines suivantes, une vague de soutiens impressionnants. De toute l’Allemagne, et surtout d’Alsace, affluent chez elle une multitude de lettres de félicitations, pour son courage et son opiniâtreté face à ce procès inique et phallocentriste.

La presse automobile et locale s’empare de l’affaire, jetant l’opprobe sur la maréchaussée badoise, qu’elle compare à « une troupe de cerbères, à des sirènes barbues synthétisant tout ce qu’il y a de plus godiche et arbitraire ». Tsac, tsac !

Le journal Locomotion automobile conclut son exposé avec un cynisme tranchant :
« Le gendarme est infaillible ! Comedia e finita. Le procès HIRTZLIN est terminé ! »

Les articles critiques pleuvent comme une grêle sur le pauvre gendarme Krebs, qui détient désormais — paraît-il — le record des procès automobiles. Un record qui ne contribue guère à l’amitié alsaco-germanique, mise à rude épreuve par cette affaire.

Finalement, en 1906, en appel, la sentence sera allégée :
L’amende est réduite à 10 Marks, et surtout, l’accusation d’excès de vitesse sera abandonnée.

En 1902, le compositeur de musique Charles LEHMANN de Ribeauvillé consacrait déjà à notre championne une marche de son cru avec le titre « La reine des automobiles ». Dans le dernier acte de sa composition, il rappelle les affres et l'éventualité d'un accident de voiture. C'est peut-être pour cette raison qu'il a choisi de célébrer notre Clémence sur le rythme d'une marche ! Quel humour ce Charles ! 

Qui était Clémence HIRTZLIN ?

 

Portrait de Clémence HIRTZLIN (née EBERLE) et sa vie familiale

Clémence HIRTZLIN, née Clémence EBERLE en 1863, épouse en 1887 Albert HIRTZLIN, un homme d’origine modeste, fils d’un menuisier de Durlinsdorf, dans le Haut-Rhin. Albert se lance dans le commerce avec une épicerie en gros qui connaît un succès notable, notamment grâce à sa spécialité en fruits exotiques. Sa prospérité lui permet d’amasser une fortune suffisante pour devenir rentier à 56 ans.

Le magasin familial, initialement situé au 18 Kronenburgerring (l’actuel Boulevard du Président Wilson à Strasbourg), déménagera plus tard dans le nouveau Port du Rhin, symbole du dynamisme économique de la ville.

Le couple réside alors au 72, allée de la Robertsau, dans une maison construite en 1885, qu’ils ont acquise en 1901. Avant cela, ils avaient vécu au quai Kléber, cœur historique de Strasbourg.

Après le décès d’Albert en 1909, Clémence tente pendant plus d’un an de vendre leur voiture familiale, une Panhard-Levassor, preuve tangible de leur statut social et de leur modernité.

Dès 1899, Clémence fait déjà parler d’elle dans la presse locale : elle publie un article pour dénoncer l’imprudence et les dangers que représentent, la nuit, les conducteurs d’attelages. Cette prise de position révèle une femme soucieuse de la sécurité publique et engagée dans les débats de son temps.

 [En savoir plus ].https://histoiredevalff.fr/histoire/xxeme-siecle/716-les-premieres-automobiles-dans-la-region-de-barr-et-obernai?=WyJsZXR0cmUiLCJvdXZlcnRlIl0=

« Vends cause décès 7000 mark, Panhard-Levassor, 4 cylindres, 16 cv, double allumage, élégante carrosserie, mi-limousine, état presque parfait » . Après le décès de son mari elle revendra la voiture qui fut l'objet de l'excès de vitesse signalé plus haut.

Origines familiales et jeunesse de Clémence HIRTZLIN (née EBERLE)

Clémence naît le 19 juillet 1863, au 7bis Route du Polygone, dans un appartement modeste mais empreint d’une histoire familiale riche et fière. Son père, Callus EBERLE, est facteur, originaire de Staufen, dans le pays de Bade. Sa mère, Madeleine KIENTZ, est veuve d’un premier mariage avec Philippe Jacques MEY.

Le père de Clémence est un homme au parcours remarquable. Décoré chevalier de la Légion d’Honneur et de l’ordre d’Isabelle la Catholique d’Espagne, il reçut sa distinction française le 26 avril 1846 pour un acte de bravoure en Afrique à seulement 21 ans, lorsqu’il servait dans la Légion étrangère. Il fut également promu au grade de sergent, témoignage de son courage et de son engagement.

La famille EBERLE réside dans la rue du Polygone, où vivent Callus et Madeleine avec leurs enfants : Charles (11 ans), Émilie Emma (10 ans), Madeleine (7 ans, disparue avant 1866), Mathilde (5 ans) et Barbe (3 ans). En 1856, Eléonore et Dorothée avaient aussi été recensées, mais elles décèderont en bas âge, laissant un souvenir douloureux.

C’est dans ce foyer mêlant rigueur, bravoure militaire et vie modeste que grandit Clémence, ancrée dans des valeurs solides, avant de forger son propre destin hors du commun.

1898 Ventre d'oignons d'Egypte

Vie familiale et contexte historique des Eberle

En 1866, la famille EBERLE est recensée au n°20 de la rue du Polygone à Strasbourg. Callus — appelé aussi Charles — vit alors avec sa femme Madeleine et leurs enfants : Charles, 16 ans ; Émilie Emma, 15 ans ; Mathilde, 10 ans ; Barbe, 8 ans ; et la petite Clémence, âgée de 3 ans seulement.

Le temps passe, mais les racines de la famille restent profondément ancrées à Strasbourg, au cœur d’une époque troublée. En 1919, Gaston Lévy, petit-fils de Callus par sa mère Mathilde (la sœur de Clémence), témoigne dans une lettre de la répression subie par la famille en 1914. Victimes d’une perquisition pour leur attachement francophile, ils voient alors l’administration allemande leur détruire le diplôme honorifique de Callus — un symbole fort des tensions entre les identités françaises et allemandes dans cette région frontalière.

Côté famille HIRTZLIN, en 1871, les parents d’Albert, futur mari de Clémence, choisissent de s’installer en France, à Joncherey dans le Territoire de Belfort, marquant leur préférence nationale dans ce contexte compliqué.

Callus EBERLE, quant à lui, s’éteint en 1877, au n°30 de la rue du Polygone, laissant derrière lui un héritage d’honneur et d’attachement à ses racines.

Villa Clementia, 72 allée de la Robertsau. Le bâtiment abrite aujourd'hui des bureaux. Clémence revendra la villa en mars 1919. En 1926, le nouveau propriétaire Schmitt-Muller, lui redemandra le remboursement d'un trop payé d'impôt à la ville de Strasbourg pour l'asphaltage de la rue qui eu lieu en 1914 et qu'il avait payé lors de la vente. Il obtiendra gain de cause.

Acte de mariage en 1887 à Strasbourg, du catholique Albert HIRTZLIN et la fille du facteur protestant, Clémence EBERLE, née à Strasbourg

En 1918, veuve et âgée de 51 ans cherche une servante (alsacienne) pour l'aider dans sa villa

Pierre tombale du couple HIRTZLIN au cimetière St Urbain à Strasbourg

La Reine des Automobiles

(Marche composée par Charles Lehmann, 1902 — paroles imaginées)

Couplet 1 :
Sur la route aux larges pavés,
Fière avance notre reine,
Clémence, au volant guidée,
Par le vent et la chaîne.

Refrain :
Marche, marche, la reine file,
Au rythme sûr des chevaux d’acier,
Mais prudence au bout du style,
Car la vitesse peut tout briser !

Couplet 2 :
De Paris à Strasbourg,
Son bolide fend l’air clair,
Le moteur chante d'un grondement sourd,
Sous le ciel bleu d’été clair.

Refrain :
Marche, marche, la reine file,
Au rythme sûr des chevaux d’acier,
Mais prudence au bout du style,
Car la vitesse peut tout briser !

Pont musical (instrumental)

Couplet 3 :
Que l’éclat de tes exploits,
Soit lumière et avertissement,
Car la route, amie parfois,
Peut devenir tourment.

Refrain (final) :
Marche, marche, la reine file,
Au rythme sûr des chevaux d’acier,
Mais prudence au bout du style,
Pour que la reine garde sa couronne d’or !

 

Après cette ode à la femme conductrice revenons sur terre !

 

Femmes au volant, médisance au tournant !

 

1906 Les machos 

Gaston Labadie-Lagrave et son verdict éclairé et référent Homo sapiens assumé, au sujet des femmes au volant

L’homme de lettres et conférencier Gaston LABADIE-LAGRAVE, un spécialiste auto-proclamé des femmes, cela va de soi, conclu en 1906, que l’avenir des femmes dans l’automobile est tout simplement voué à l'échec.

Plutôt que de paraphraser ses propos, reproduisons l’intégralité du texte.

Mesdames les lectrices, préparez-vous une bonne lichette de tisane, et installez-vous confortablement…

Femme au volant, danger au tournant, vraiment ?

La réalité

En 2005, les femmes ne représentaient que 27 % des retraits de points sur le permis de conduire et étaient 11 fois moins condamnées que les hommes pour des délits routiers. Deux ans plus tard, en 2007, pour un même nombre de kilomètres parcourus, les conductrices présentaient trois fois moins de risques d’être tuées et 1,7 fois moins de risques d’être blessées que leurs homologues masculins.

Pourtant, la même année, le taux de réussite au permis de conduire restait notablement inférieur chez les femmes : 58 % pour les garçons contre seulement 48 % pour les filles.

Mesdames, ce paradoxe vous a peut-être tarabustées, asticotées, voire insupportées…
Patience, patience ! Comme le disait André de Pronovost :
« La patience est presque de l’amour ! »

Citations de Camille DU GAST

  • « L’automobile n’est pas un jeu d’homme ou de femme, c’est une affaire de courage, d’adresse et de volonté. »

  • « On me traite d’audacieuse, mais c’est seulement la passion qui me guide. Que l’on me juge sur mes actions et non sur mon sexe. »

  • « En voiture, je ne suis ni femme ni homme, je suis pilote. »


Extraits d’articles d’époque

Le Petit Journal (1901)
« L’amazone aux yeux verts, Madame Du Gast, a su tenir tête aux meilleurs conducteurs masculins, démontrant que le courage n’a pas de sexe. Sa présence en course scandalise certains, mais émerveille les autres. »

L’Auto-Vélo (1903)
« Madame Du Gast, en sauvant un concurrent d’un accident fatal, a prouvé que l’audace féminine dépasse les clichés de fragilité. Pourtant, elle se voit injustement interdite de compétitions, victime des préjugés patriarcaux. »

(1) Extrait du journal "Le Temps Course Paris Berlin" du 1er juillet 1901, Gallica

 

Dates clés

  • 18 juillet 1863 : naissance de Clémence EBERLE 
  • 1887 : Clémence épouse Albert HIRTZLIN
  • Mai 1900 : Clémence est déjà connue sous le surnom de « Reine de l'Automobile »
  • 1901 : acquisition de la villa Clémentia
  • 16 juin 1901 : course Strasbourg-Colmar-Strasbourg
  • 1902 : le compositeur Charles LEHMAN lui dédié une marche
  • 1905 : l'affaire de l'excès de vitesse
  • 1909 : décès d'Albert HIRTZLIN
  • 1919 : vente de la villa Clémentia
  • 1923 : litige juridique au sujet d'un impôt fiscal lors de la vente de la villa 
  • 1936 : décès de Clémence

 

(2) La vitesse maximale autorisée fut établie selon les critères suivants: 12 km/h en agglomération, ce qui représentait la vitesse d'un cheval au trot, et 30 km/h hors agglomération, vitesse d'un cheval au galop. 

Sources :

  • Gallica
  • Fonds privés

« Le chauffeur est, de loin, la partie la plus dangereuse de l’automobile », Roland BARTHES

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.