Photo années 1930 Rue Principale, rue Meyer, à gauche, travaux agricoles

 

Moissonneuse-batteuse « Heywang »

Depuis des temps immémoriaux, les paysans recueillaient leurs grains de blé et autres céréales après les opérations de fauches, mises en gerbe, battage et dépiquetage.

Récoltes des gerbes de blé. Alsace. Fond Blumer archives de Strasbourg

 

Ces travaux agricoles consistaient à séparer l'épi (les grains de blé de'Weize, par exemple) de la tige (la paille, alsacien, s'Streu ) et de la balle (enveloppe du grain, d'Sprei). Pour séparer la balle du grain, il fallait battre les gerbes, généralement avec un fléau. Les agriculteurs écrasaient les gerbes sur des planchers, directement sur la terre battue ou au mieux, des dalles ou des pavés en pierres, soit avec un traîneau, un rouleau ou les sabots d'un cheval. Il s'en va dire que l'on pouvait facilement retrouver des grains de sable dans la farine, ou bien d'autres choses... La technique la plus courante était le battage au fléau. Condition physique obligatoire !

Battage au fléau. Image Gallica

Les temps modernes

L'ère des machines mécanisées


1882 Matériel et machines exportées par l'Allemagne

 

Le journal Strasburger Post relate en 1883 que l'établissement Frick à Kehl a investi dans une nouvelle scie à vapeur qui sera bientôt accompagnée d'une nouvelle Dreshmaschine (batteuse).

Publicité LANZ de 1885

Et les premiers accidents, rien que pour l'année 1894 !

1894. Le petit garçon du tailleur Marx de Battendorf (Haut-Rhin) était si ébahi par le travail d'une machine à battre qu'il s'en approcha au point de tomber sous les roues, il est décédé sur place.

A Farschwiller en Moselle, un homme a voulu décharger sa nouvelle machine à battre du waggon de transport, l'engin a basculé de sa charrette, l'a écrasé et grièvement blessé.

A Niedermagstadt (Pfastatt, Haut-Rhin) une jeune fille a vu ses habits engloutis par le mécanisme de la machine et fut tirée vers le broyeur. Par bonheur, le conducteur a pu désacoupler la batteuse.

Dorlisheim. Le jeune Schulz de 19 ans a été happé par le bras par la batteuse. Son bras a été arraché et haché. 

Mittelhausbergen : En graissant sa machine allumée, le propriétaire de la batteuse D.L. a eu la blouse prise dans le mécanisme. Projeté a terre, il souffre de graves blessures à la tête et au bras.

VALFF Mémoires d'André VOEGEL

« Au début du siècle dernier, Joseph RIEGLER possédait une machine à vapeur qui servait à actionner une batteuse. L'entrepreneur se déplaçait tous les ans à Kertzfeld pour y battre le blé puis se rendait à Valff pour servir les clients locaux. Appelé familièrement «  d'I'leier (en allemand Einleger, celui qui dépose les gerbes à l'intérieur de la machine) pour ce travail, Joseph Riegler employait les saisonniers Eugène BONNET, Séraphin SPECHT, Eugène PETER et Xavier LUTZ. Il cessa son activité vers 1930.

Entreprise de battage de Joseph RIEGLER de Valff (batteuse « Lantz » entraîné par une machine à vapeur). Photo prise en 1930 à Kertzfeld

Il existait une deuxième entreprise de battage : celle gérée par Emile ANTZ et son frère Victor. Leur batteuse était également entraînée par une machine à vapeur. Leur clientèle se trouvait à Niedernai et à Goxwiller. Ils avaient aussi des clients à Valff. Leur « i'laier » préféré s'appelait Charles ANTZ. En 1935, ils remplacèrent leur machine à vapeur par un moteur électrique. Cette entreprise s'arrêta en 1939.

Ces machines à vapeur, équipées d'un volant impressionnant, étaient conçues sur le principe mécanique des locomotives dont le sifflet à vapeur fractionnait le temps de travail. Le foyer était alimenté par d'énormes briquettes. Il fallait deux heures de préchauffage pour mettre en marche la batteuse. En 1942, Joseph VOEGEL (d'r Jerriseppel) créa sa propre entreprise de battage. Il battait le blé dans l'annexe du restaurant au Soleil avant de construire un hall à la sortie du village à l'angle de la rue du vignoble actuelle. Les petits exploitants amenaient leur blé sur place. Il y avait souvent de longues files d'attente. Après cette première période de battage suivait le battage à domicile pour les exploitations plus importantes. Il avait comme « i'leier » expérimentés : Eugène GAUTSCH, Joseph LUTZ et Pierre FUCHS. En 1950, Joseph VOEGEL céda la succession à son fils André et l'entreprise cessa son activité vers 1960.

Ernest DOTTER habitait à Meistratzheim (d'r Schwingele). Il exploitait également une batteuse à entraînement électrique. Il desservait une importante clientèle à Valff. Au début, il exerçait son activité devant la propriété d'Auguste JOST, avant de s'installer définitivement dans son propre hangar dans le « Breitweg ». Ses « i'leier » connus étaient Eugène BONNET et Camille HIRTZ. Pour des raisons de santé, Ernest DOTTER cessa son activité en 1958. En 1954, Paul VOEGEL acheta sa première moissonneuse-batteuse. Au début, beaucoup de paysans hésitèrent à utiliser cette technique moderne, craignant la perte d'une partie de leur récolte, mais aussi la détérioration de leurs champs après le passage de la lourde machine, surtout sur terrain mouillé. Les petites parcelles de notre ban étaient peu rentables et pratique pour un engin aussi coûteux. C'est pourquoi Paul VOEGEL se déplaçait davantage à Hipsheim, Limersheim ou Hindisheim où il y avait déjà de grandes parcelles de blé à récolter et où le mûrissement de la moisson était plus précoce qu'à Valff.

Les remembrements rassemblèrent les petites parcelles en surfaces plus importantes. 

Battage de blé chez Emile ROSFELDER (n°256) avec Robert ROSFELDER, François GRIMM et Albert ROSFELDER. Photo de 1955

En 1956, René WEHREL s'est acheté une batteuse « Dechenreiter ». Pendant deux ans, il battait le blé dans sa cour, puis sous le hangar d'Ernest DOTTER. En 61, il acheta sa première moissonneuse-batteuse fabriquée par « Heywang » à Bourgheim. Dans les années suivantes, son parc de machines s'agrandit et dans les années 90, l'entreprise posséda 4 moissonneuses batteuses. Le meunier Edouard HERRMANN récoltait également avec une batteuse, mais son activité resta limitée. Quelques exploitants agricoles, pour rentabiliser leur récolte, décidèrent d'acquérir leur propre batteuse. Ils rentabilisèrent leur investissement en se regroupant avec leurs connaissances. On peut nommer, Florent SCHULTZ, Joseph JORDAN ou Xavier VOEGEL, ainsi que les associés Florent LUTZ, Ernest et Eugène SCHULTZ.

En 1928, la commune a fait installer sept prises de courant sur les poteaux de l'éclairage public pour faciliter le raccordement électrique des batteuses. Avant cette date (et même après) certains utilisateurs branchaient les moteurs directement sur les fils de haute tension avec un crochet fixé au bout d'un manche à balai… La sécurité n'était pas la priorité ! Le compteur électrique était installé à l'intérieur du chariot à moteur.

Une journée de battage

Parlons un peu du déroulement d'une journée de battage. Il incombait au propriétaire de réveiller les personnes qu'il avait engagées pour le battage. En principe, la mise en marche de la batteuse était prévue pour six heures du matin. Avant de rejoindre le poste attribué, le café était accompagné d'un petit verre, ou deux, de schnaps, c'était la coutume ! Puis, l'équipe se mettait en branle ! La répartition des postes était bien organisée. Ils y avaient ceux qui, adroitement, balançaient les gerbes sur la batteuse ; deux personnes debout sur la batteuse, ouvraient les gerbes, les passaient aux « i'leier » expérimentés qui les enfournaient dans l'énorme mécanique. Ceux qui maniaient les énormes bottes de paille devaient être costauds et encore plus costauds devaient être ceux portaient les sacs de grains, certains de 100 kg (doppelzantner), sur le dos, parfois jusqu'au grenier ! Les moins bien lotis avalaient toute la journée la poussière des ivraies « Spreyer ». Il arrivait qu'un approvisionnement excessif provoquait le blocage de l'engin et faisait sauter la courroie d'entraînement. Les ouvriers profitaient alors pour respirer un peu d'air frais à l'extérieur de la grange. Entre-temps, les filles de la maison se transformaient en « Wi'drunyer (porteuses de vin) » et allaient désaltérer les gorges desséchées... non sans se faire lutiner au passage, normal aussi ! Pour se donner bonne conscience, les taquineurs, pour se justifier, se rappelaient entre eux, le proverbe :

Empressement et stress montaient également en cuisine où, tous les jours de la récolte, les femmes et maîtresses de maison, cuisinaient pour les vaillants travailleurs, la traditionnelle « Fleischsupp » (pot au feu) suivie des non moins traditionnels « Kenjele mit Nüdla » (lapins aux nouilles) ; puis le « Mensterkas » (fromage de munster) et pour terminer la brioche ou pâtisserie maison « Mereballe ou Quatchekueche » (tarte aux mirabelles ou aux quetches) sans oublier le bon café bien noir, le « Chicorécanfi ou le Canffiwansser » (café à la chicorée ou l'eau de café, un café du reste du matin, allongé avec beaucoup d'eau pour l'après midi). La charcuterie, notamment les saucisses chaudes, était réservée pour le petit déjeuner.

Battage de blé chez Alphonse SIMON (n°214) avec Florent RIEGLER, Florent BIERO, Eugène SPECHT, Oncle FRITZ, Lucien DEVILLE, Joseph LUTZ, Antoine SCHAETZEL, Antoine VOEGEL, Fernand JORDAN et Alphonse SIMON. Photo de 1961

Le travail ne s'arrêtait que lorsque le contenu de la grange était vidé. Si le propriétaire était riche, le battage reprenait après le déjeuner. Dans ce cas, on ne manquait pas le « z'Nacht Assa » (repas du soir) qui clôturait cette journée harassante. Il me semble qu'on servait du jambon le soir. Vers la fin du battage, on s'occupait avec la chasse aux souris, voire des rats. Les rongeurs avaient élu domicile dans les granges aux si bonnes provisions providentielles. Le tableau de chasse était souvent impressionnant. 

La fin de journée consistait à déménager les deux énormes machines (la batteuse et le chariot du moteur) chez un voisin. On tirait en chœur, au cri de « Han alli ! ». Même s'il fallait recommencer tôt le lendemain, les « guetnacht » (bonne nuit) se souhaitait dans une ambiance conviviale. Les paysans étaient soumis à ce régime pendant une quinzaine de jours, l'entraide était primordiale. Assez rapidement, la vieille machine à vapeur a cédé la place au gros moteur à gasoil ; puis vint le temps des batteuses électriques, en panne à peu près tous les deux jours… relayées par les moissonneuses-batteuses modernes.

Du coup, nos solides et généreux paysans n'ont plus eu l'occasion de se retrouver à 12 ou 15 autour d'une bonne table. Ces journées de dur labeur, dominées par la gaieté au travail, des blagues douteuses et la fraternité corporative, étaient le temps de la franche camaraderie et du dépassement de soi. [en savoir plus : Le « Owe Marik », le rendez-vous du soir].

Les temps ont bien changé… Le progrès a du bon, mais a aussi, malheureusement, contribué à faire disparaitre bien de valeurs, si rares et précieuses !

Moissonneuse-lieuse « Heywang »

Mémoires d'André VOEGEL né en 1925

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.