Un vieux militaire se promène paisiblement dans une allée paisible de Paris. Ses pensées l'emportent avec nostalgie à Valff, son pays de naissance, quand il jouait avec ses voisins devant la maison n°128 de la rue Principale. Il se remémore le presbytère et de son locataire, le curé LEYBACH, de l'école, juste à côté, et de l'instituteur ... LEYBACH aussi, le neveu du premier, de ses jeux d'enfants dans la cour de récréation, la rivière, ...

Curieux et attentif, nous nous asseyons avec lui sur un banc ! Son regard s'illumine, puis il se met à nous raconter : « Vous connaissez l'Alsace ? Je suis né là-bas ! » murmure-t-il. « Aujourd'hui c'est allemand, quelle misère ! Je me demande ce que le prochain XXe siècle va nous réserver et quand la France pourra récupérer ses territoires, j'ai bon espoir ! »

S'apercevant de notre intérêt, il poursuit : « C'est si loin …  tout ça ! Ma vie vous intéresse ? ». « Voilà ! Mon grand-père a rencontré ma grand-mère dans la Marne où ils sont décédés. Mon père Antoine Jean est aussi né là-bas, à Mareuil-sur-Ay, en 1791. Il a rencontré ma mère Françoise HEIM et ils se sont mariés à Valff où ils ont été aubergistes. J'ai vu la lueur du jour, le 19 mars 1824. Quelques années après ma naissance, nous avons déménagé au 143. Je ne connais pas la raison, mais mon père a gagné son pain à partir de là comme fabricant de chandelles. Nous étions pauvres ! Ma sœur cadette de deux ans, Françoise, et mes petits frères, Antoine et Félix, devions aider puis nous avons déménagé et mes parents sont revenus à Valff dans leurs vieux jours. Mon père a été nommé l'appariteur du village. Ils habitaient au n°150 chez ma sœur Françoise. Qu'allais-je faire de ma vie ? ».

Le 11 avril 1845, François Joseph REIBEL s'engage volontaire dans l'armée française. « J'ai été pris au 17ᵉ régiment d'Infanterie légère. Le 1ᵉʳ mars de l'année suivante, j'étais caporal, deux ans plus tard, sergent, sergent fourrier puis sergent major ! J'ai même connu le duc d'Aumale, le fils du roi, qui devient notre colonel à 19 ans en 1841 ! ».

« En 1859, ma sœur Françoise s'est installée à Rambouillet. Elle travaillait comme cuisinière chez REY Louis Ferdinand, directeur des contributions indirectes qui a été son témoin de mariage. Elle y a rencontré Louis PARIS, maître cordonnier. Il était veuf avec une fille, Sophie. Il a séduit Catherine, en lui promettant de lui faire les plus belles chaussures des filles de Rambouillet ... je rigole ! Ma sœur s'est mariée et j'ai été témoin à son mariage. J'étais alors sous-lieutenant en garnison à Maubeuge ».

Acte de mariage en 1859 de Louis PARIS et Catherine REIBEL Signature de François REIBEL, témoin

« En 1855, l'infanterie légère a été convertie en unité de lignes. Nous avons pris le nom de 92ᵉ régiment d'Infanterie de lignes. C'est le 16 octobre 1856 que j'ai été promu sous-lieutenant. Le 31 décembre 1863, lieutenant et enfin, le 17 juillet 1870, capitaine, en pleine guerre franco-prussienne.  J'ai combattu non loin du sol de mes ancêtres, en Haute-Saône, à Villersexel où nous avons héroïquement repoussé les prussiens ! ».

Mes campagnes

« Ah ! Si tu aimes voir du pays, engage-toi dans l'armée, mon gars ! Dès 1860, je me suis retrouvé en Afrique où j'ai même commandé un détachement. Notre rôle était d'organiser des opérations de pacifications. À part 2 ans, j'ai continuellement servi sur ce continent en Algérie jusqu'à ce qu'on nous appelle en métropole pour cette foutue guerre de 1870 ! ».

 

Distinction

« On m'a remis la Légion d'honneur ... » puis il se tût. 

« À l'heure de la parade, le 3 décembre 1871, nous LECLAIRE Marie Antoine, inhumé à Colmar, colonel, commandant du 92ᵉ régiment d'infanterie de ligne, après avoir fait prendre les armes à la troupe, avoir fait avancer de front de bataille REIBEL François Joseph, capitaine au 92ᵉ régiment d'infanterie de ligne, nommé chevalier de la Légion d'honneur. Nous lui avons remis ensuite son titre et ses insignes, en lui donnant l'accolade, en prononçant la formule : "En vertu des pouvoirs que nous avons reçus, nous vous faisons chevalier de la Légion d'honneur" ».

Fait à Lyon les jours, mois et an que dessus.

Le revenu moyen du peuple en 1870 était de 800 francs. Le traitement de chevalier de REIBEL soit 500 francs/an, s'ajoutait à sa pension de militaire qui était environ de 2000 à 2600 francs, revalorisée avec les ans. Afin d'assurer une retraite confortable, les officiers étaient (assez facilement) nommés chevaliers de la Légion d'honneur, ce qui était le cas souvent en fin de carrière comme pour REIBEL.

La pension de chevalier de François s'élevait à 250 francs, payables tous les semestres. La date de changement de lieu de payement de la Côte d'Or en Seine et Oise correspond avec son mariage à Rambouillet.

Extrait de la carte des versements de pension de François Joseph. Dernier tampon enregistré en date du 1ᵉʳ semestre 1886

Ma retraite

« Après ma demande de mise à la retraite, je me suis installé quelque temps du côté de Dijon, puis j'ai déménagé en Seine et Oise puis dans le département de la Seine. C'est tout naturellement que j'ai participé financièrement aux frais de restauration du Palais de la Légion d'honneur, ils nous l'avaient incendié en 1871, les sauvages ! ».

Jean REIBEL, deuxième cité, sans lien avec François Joseph, plus-tard commandant, né à Strasbourg, possède une rue à son nom dans cette ville. Il a été décoré par la Reine d'Angleterre.

En 1872, alors que ma sœur habitait, avec son mari et sa fille Sophie Louise, à Rambouillet, dans la rue Nationale (anciennement rue Impériale) au n°57, notre père Antoine, rentier, c'est installé chez eux et vivait ses derniers jours. Il nous a quittés en 1874.

Mariage

« Aujourd'hui, j'habite à Neuilly-sur-Seine, j'ai 74 ans. Je me suis marié avec une veuve, elle s'appelle Esther ... Esther Augustine AUMASSON de Rambouillet. Elle était dentelière avant.  Nous vivons au 196 de l'avenue du Roule ». François avait-il déjà connu Esther lors du mariage à Rambouillet de sa sœur Catherine en 1859 ?

Récapitulatif des mariés dans les registres de Rambouillet. Mariage enregistré le 11 novembre 1875 (43 ans plus-tard, jour pour jour, le 11 novembre 1918 sera signé l'armistice et la restitution de l'Alsace Lorraine à la France) Parmi les témoins a signé son beau-frère Louis PARIS

Il poursuit. « Que pensez-vous de l'affaire DREYFUS qui fait grand bruit en ce moment ? Il est alsacien comme moi, il est de Mulhouse ... »

Alfred DREYFUS

Fin de carrière

François Joseph REIBEL décède le 25 octobre 1898 à Neuilly-sur-Seine à minuit trente dans son domicile n°136. (N°136 avenue de Roule, au registre des dénombrements de 1896, 78 à celui de 1891) Esther le suivra en 1900.

Recensement à Neuilly-sur-Seine en 1891

Acte de décès de François Joseph REIBEL

Acte de décès d'Esther Augustine AUMASSON

Ceci est une fiction. Certains éléments recueillis ont été possibles grâce à l'aimable collaboration de notre cher Mike FREYDER des États-Unis dont les ancêtres sont originaires de Valff et qui est en lien de parenté éloigné avec la famille REIBEL. Nous tenons également à remercier particulièrement Evelyne WEISER qui nous a partagé les informations de décès. 

Extrait de la carte des versements de pension de François Joseph. Dernier tampon en date du 1ᵉʳ semestre 1889

Sources :

  • Archives nationales
  • Gallica
  • Généanet
  • Leonore
  • Wikipédia

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.