La danse de Saint-Guy

Allons danser ! Connaissez-vous les paroles du refrain « Entrez dans la danse » de Gildas ARZEL ? « Entrez en confiance, entrez dans la danse, sans peur, mais sans espérance, mais entrez dans la danse ». La danse peut-elle tuer ? Oui ! C'est arrivé à Strasbourg en 1518.

Contexte

1517, Martin LUTHER placarde sur la porte de l'église de Wittenberg ses 95 thèses qui allaient alimenter la révolte des paysans appelée « Bundschuh ». En 1525, des idées d'égalité allaient mener au massacre de milliers de paysans. À partir de 1517, le désir de liberté s'était propagé dans toute l'Alsace. Les prémices de cette catastrophe trouvent aussi son terreau dans la tourmente climatique. En 1514, les pousses gèlent dans le sol. L'été suivant, il pleut sans interruption et le fourrage pourri dans les granges. Incapable de nourrir leur bétail, les paysans sacrifient leurs cochons, vaches et moutons. Dans plusieurs villages, les habitants retournent leur colère contre les juifs. À Mittelbergheim, leurs maisons furent mises à sac et incendiées. Nous n'avons pas de documents concernant le sort de juifs de Valff, les premières sources de leur présence datent d'un siècle plus-tard, mais Valff a de tout temps accueilli cette communauté, pourvu qu'ils payent leurs impôts !

1748 Impôts à payer au seigneur d'Andlau par les juifs de VALFF. 12 florins par famille

Partout en Alsace, les juifs sont emprisonnés et faussement accusés de profaner l'hostie. À Strasbourg, on arrêta aussi les tziganes. Comme souvent, il faut des boucs émissaires. L'été suivant n'est pas meilleur, mais cette fois, c'est la canicule qui détruit les récoltes. Le froment, l'orge, le blé, les choux et les navets sèchent sur pied. Dans les collines autour d'Obernai, la chaleur assoiffe même les vignes. Le peu de vin récolté est d'une qualité exceptionnelle, mais la quantité est dérisoire. Le mécontentement gronde, malgré les pénuries, les religieux imposent avec force le payement de la dîme et ordonnent la censure des écrits séditieux. À Rosheim, les paysans se soulèvent. Le prix des denrées flambe. L'ambiance est explosive. Une peur morbide envahie la population… Dieu… Satan… superstition… croyances… angoisses... Qu'est-ce qui nous arrive ?

C'est alors que l'impensable se produit !

Le 14 juillet 1518, la femme désespérée, TROFFEA, jette son enfant mort du haut du pont du Corbeau directement dans l'eau de l'Ill... Sans explications, elle engage dans la foulée, une danse improvisée sans musique. Elle commence à tourner, tourner... bientôt rejointe par une autre femme, puis une suivante et finalement, c'est un groupe d'une cinquantaine de personnes qui se met à déambuler dans les rues, à danser, gesticuler et tournoyer. Le groupe danse inexorablement, les pieds nus en sang, le jour, la nuit, le tout dans une folle hystérie contagieuse. Les observateurs sont médusés. Certains danseurs finissent par tomber de fatigue, mais après un petit somme, se relèvent et reprennent leur transe frénétique.

Un jour, deux jours, trois jours… Ils vont finir par se calmer ? Des musiciens se joignent à cette belle pagaie, cette fois-ci, engagés par les autorités. Elles espèrent ainsi pouvoir maîtriser et arrêter la frénésie. Si ce beau monde danse, il oubliera ses malheurs.

Le peuple danse ? Alors tout va bien ! Après 10 jours, les morts se comptent déjà par dizaines ! 

Grotte de Saint Vit

C'en est trop, il faut agir ! Et si le phénomène était d'origine démoniaque ? Des rumeurs circulent...

Place au pèlerinage et à la repentance ! Les responsables religieux emmènent tout ce beau monde en direction de la grotte de Saint Vit près de Saverne. Elle est connue pour ses guérisons bizarres, pourquoi pas ? C'est un drôle de cortège qui démarre. On les habille les malades, de chausses rouges bénies, on les fait tourner en cercle autour de l'autel pendant que les religieux les aspergent d'eau bénite. Une messe… et beaucoup seront guéris !  Miracle !

https://c.dna.fr/societe/2022/07/12/la-grotte-saint-vit-un-lieu-remarquable-de-l-alsace

Thomas MURNER, théologien originaire d'Obernai, relata l'événement comme suit : « Une étrange épidémie a eu lieu dernièrement. Elle s'est répandue dans le peuple de telle sorte que, dans leur folie, beaucoup se mirent à danser et ne cessèrent, jour et nuit, sans interruption, jusqu'à tomber inconscients. Beaucoup en sont morts ».

Fresque romane du 12ᵉ siècle de l'église Saint-Blaise à Valff représentant des animaux mythiques et démoniaques

Essai d'explication

Cette étrange maladie, attribuée à l'époque au diable ou à Dieu selon l'interprétation personnelle, serait apparu au Vᵉ siècle dans les couvents et chez les ermites. On recensera des manifestations ressemblantes dans toute l'Europe et jusqu'au XVIIIᵉ siècle. Dans le milieu médical, cette maladie est appelée vulgairement « Danse de Saint-Guy ». Cette expression est passée dans le langage courant. On considère cette maladie comme une pathologie neurologique influencée par le psychisme et le désespoir, qui pousse les victimes à des mouvements incontrôlés et involontaires. Une hystérie collective en somme ! Un phénomène similaire a été observé chez certains soldats des tranchées de la Première Guerre, qui sous un stress intense ont été victimes de convulsions incontrôlées. 

Alors ! si une envie incontrôlée de danser vous prend, pensez à arrêter à temps !

https://www.youtube.com/shorts/FAL1chFJtaY

PS : l'auteur Jean Teulé y consacre son dernier livre « Entrez dans la danse »

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.