Garnert et ancien cimetière derrière l'église Ste-Marguerite (1930)
Matin du 11 juin 1824, le cultivateur de la rue Principale, Florent LUTZ, se rend dans sa grange pour retrouver son satané domestique. Ce dernier s'était fait oublier depuis trop longtemps. Antoine GREMMEL, son nom, est originaire de Bischoffsheim. Son père s'appelle Mathias. Il est décédé. Sa mère Hélène HOFFMANN s'éteindra l'année suivante en 1825 à Bischoffsheim. N'aura-t-elle pas supporté ses malheurs ? Que s'est-il passé ?
Le cultivateur Lutz avait embauché Antoine comme domestique. C'est avec le mariage de son oncle avec une fille de Valff qu'il est venu dans le village. Il semble que ces derniers temps, selon les déclarations de LUTZ, Antoine était d'humeur mélancolique. LUTZ reste figé quelques secondes avant de se précipiter. Mathias est pendu à une poutre dans la grange. Décrochez le corps, vite ! Mais il est trop tard. Le corps sans vie s'affale sur la paille…
Florent LUTZ court avertir le maire Etienne ANDRES. Ce dernier informe les autorités compétentes et c'est une délégation composée du juge de paix d'Obernai, Joseph Aloïse Léger COUDRE, du greffier et d'un chirurgien, du maire ANDRES, de l'adjoint François Michel SAAS et du sergent de la garde DIEHLMANN de Valff qui se rend auprès du corps d'Antoine. On constate que la dépouille est disposée la tête vers l'ouest et les pieds vers le couchant. Le chirurgien constate le décès et après audition de Florent LUTZ et quelques témoins, le juge autorise l'inhumation. On authentifie la cause de la mort : excès de mélancolie qui a amené le jeune homme à mettre fin à ses jours ! Point.
L'affaire est réglée. Mais attardons-nous sur le contexte. D'après l'église, le péché de suicide est considéré comme un péché criminel. Il était constaté comme un crime de lèse-majesté à l'encontre du divin. Sous l'Ancien Régime, il arriva que les autorités fissent un procès au cadavre, écroué pendant le temps de la procédure, au grand dam des autres prisonniers incommodés par les odeurs de la décomposition du corps. La sentence consistait à traîner le corps sur une claie, la tête en bas le long d'un caniveau, puis le corps était pendu et exposé durant 24 heures et ses biens confisqués ! Cette ineptie disparut après la Révolution et l'on jeta les corps dans un trou sans autre forme de cérémonie dans le coin du cimetière réservé aux païens ou aux non baptisés.
Rapport d'expertise du juge d'Obernai
Qu'en est-il du cas du jeune Antoine GREMMEL ? Le juge, après avoir déclaré la mort par suicide, autorisa l'inhumation. La procédure sera enregistrée le lendemain. Aucun témoin n'osera mettre sa signature sur l'acte. Superstition ? Le curé LEYBACH ne mentionnera même pas le décès dans ses registres. L'affaire est traitée de la même manière que pour les criminels. Le curé, si brave homme qu'il soit, sûrement réellement touché par la mort de ce jeune, était lié par ses vœux d'obéissance. Il aurait créé un précédent et aurait soulevé les foudres de l'évêque.
Peine de cœur ? Dépression ? Abattement ? Solitude ? N'a-t-il pas supporté la perte de son père et la séparation avec sa mère ? Qu'est-ce qui a pu pousser ce jeune garçon a cette extrémité ? Il emportera la réponse dans la tombe. Sa mort déshonorante entraînera vraisemblablement aussi le décès par excès de honte, l'année suivante, de celle de sa mère. La maladie de dépression ne fut vraiment étudiée puis reconnue qu'au milieu du XXe siècle.