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« L'an 1830, le 12 octobre, huit heures du matin à Valff en la maison mortuaire du décédé barbier, Mathieu WIGGENHAUSER est comparu maître SCHLOSSER pour la vente aux enchères publique de tous les effets et biens ». C'est ainsi que commence l'acte notarié du notaire SCHLOSSER d'Obernai à l'adresse du receveur des Domaines et de l'Enregistrement. Que pouvait bien posséder un barbier rural en 1830 ? Nous allons le découvrir et même dénicher quelques perles. Comment se passait une passation d'héritage ? Nous allons tout vous expliquer.

Mathieu WIGGENHAUSER est décédé le 12 juillet 1830 à 58 ans. Il avait épousé Catherine Ursule RISCH. Son père était originaire de Dambach et avait exercé le métier de chirurgien barbier à Valff. Le fils du décédé, du prénom Mathieu également, décidément, s'essayera d'abord au métier de cordonnier vers 20 ans puis barbier comme son père. Ils habitaient au n°67 de la rue Thomas. Après le décès de Mathieu père, sa veuve Catherine et sa fille Reine se retrouveront seules, surtout après le départ de Mathieu pour l'armée. Reine fut mise sous tutelle auprès du père du mari de sa sœur, capitaine de l'armée à la retraite. La deuxième fille Thérèse, tricoteuse, s'était mariée à Mathis MARTZ. Catherine et Reine travailleront comme journalières. A son retour, Mathieu s'installera non loin de là, au n°71. 

Rue Thomas en 1934

Mais revenons à notre vente aux enchères. Le règlement d'adjudication d'un article pour un commerçant ou un étranger stipulait « payement au comptant ». Pour les habitants de Valff, ils auront jusqu'au 1er janvier de l'année suivante à condition que le prix du produit soit supérieur à 1 franc, en dessous, c'est au comptant aussi. Pour les frais d'adjudication de terres, il faut rajouter 5 centimes par franc et remettre la somme entre les mains de Guillaume KLEIBER, aubergiste au n°57, chez qui se fait la vente, pour frais de bouche et de repas, qu'il remettra aux vendeurs et au commissaire priseur. La vente se fera en langue française et allemande et à l'extinction d'une ou plusieurs bougies. La vente aux enchères des terres a eu lieu à l'auberge de Guillaume Kleiber le 27 décembre. Pour la vente des biens personnels de la famille, dans la maison WIGGENHAUSER, le 12 octobre, le prix était majoré de 1/10e.

Exemple : la vente d'un champ au Cappelfeld de 5,67 ares, proposé au prix de départ à 100 francs fut emporté par Jean KRIEG après l'extinction de plusieurs bougies pour la somme de 170 francs. Après que deux bougies se soient successivement éteintes après sa dernière enchère, le lot lui fut adjugé. 

Retournons maintenant à la maison WIGGENHAUSER. C'est le grand jour de vente aux enchères des affaires du défunt barbier Mathieu. Et c'est parti !

Biens propres au défunt

George MOSSER de Valff est commissaire priseur, Blaise VOEGEL, superviseur. Une chemise est adjugée à Blaise ROSFELDER pour 2 francs 60 (environ 10 euros). Les 11 chemises du défunt sont adjugées respectivement par Blaise ROSFELDER, Martin MARTZ, à Jean SCHNEE, George SAAS, Antoine BURCKHARD et une dernière à la veuve RISCH, qu'elle adjugera pour 1 franc 60, peut-être pour garder un souvenir de son mari. Puis vient le tour du chapeau, d'un habit drapé de bleu que le fils Mathieu s'adjugea pour 5 francs, un gilet rayé jaune, un gilet en velours, un gilet bleu, une culotte de velours à Sigismond ROSFELDER pour 1 franc 70, un habit de drap bleu, deux paires de bas à Xavier et Joseph KORMANN pour 2 francs 60, une paire de soulier à Florent Neff pour 2 francs 40, plus deux autres paire de souliers, un mouchoir pour 75 centimes à Antoine BURCKHARD et 3 autres mouchoirs à Nicole WEISS pour 60 centimes.

Respirons un peu ... un bonnet de nuit Pellico, deux taies de lit, 4 taies de traversin. Passons aux choses sérieuses : un alambic avec chapiteau à Abraham LEHMANN pour ... 1 franc 50, des « bouquins » 40 centimes, un vieux coffre 4 francs 10, un tonneau à Blaise VOEGEL pour 14 francs, un autre à 7,50 et un à 3,80. Maintenant c'est au tour des instruments du chirurgien. Rappelons que le barbier cumulait aussi le travail de chirurgien et de dentiste. Le père du défunt pratiquait cette spécialité [à lire : Jean Georges DRELLER, chirurgien barbier à votre service !].

Un mortier à pilon, 6 francs 10, une seringue 3 francs 10 et ... une chaise percée adjugée à Mathieu WIGGENHAUSER pour 50 centimes (c'est pas cher, bonne affaire !), deux dévidoirs 75 centimes, un bénitier 1 franc 55, un tableau, une planche à pâte, un râteau à charbon, un chandelier, deux oreillers, un traversin, 3 essuie-mains pour 1 franc 25 centimes, une serviette 2 francs, une vieille armoire 2 francs 80 seulement et un pot en fer de fonte 2 francs 60.

Ecomusée d'Alsace

Les meubles de la communauté

Total général 

Remarques

Les héritiers devaient enchérir parmi héritage pour partager équitablement entre chaque membre. Par exemple, le fils, Mathieu, a enchéri pour 242 francs 35, plus 12 francs 30 de frais. Martin MARTZ, le gendre, époux de Thérèse WIGGENHAUSER pour un total de 65 francs 80. La veuve Catherine RISCH pour un total de 103, 70 francs. Parfois en comparaison de la valeur des choses, on pourrait penser que le prix enchéri par la famille était modéré, ce qui sous-entendrait que les enchérisseurs, hors famille, ne s'engageaient pas par respect. Parfois, c'est pourtant le contraire.

Il est surprenant que certains biens semblant bon marché comme la vaisselle, le linge, certains outils ou même du bois de construction à 75 centimes et surtout les meubles, une armoire à 2 francs 80, un coffre 4 francs 10. Par contre tout ce qui est le fruit de la culture monta dans les prix comme un sac de pomme de terre à 9 francs 50 ou un sac de méteil pour 23, 50 francs. Curieusement l'alambic en cuivre n'est parti qu'à 1 franc 50. La génisse à 70 francs et le cheval à 16 francs 50.

Autre constat : où sont donc passés les instruments de barbier ? Pas de blaireau, pas de brosses, ni de peignes, de ciseaux ou de rasoirs, de cuir à aiguiser et pas de fauteuil non plus ! Possible que le père ai transmis tout son matériel avant de mourir ou alors le fils l'aurait-il mis de côté ? Il apparait comme exerçant le métier de barbier après le décès de son père et cela jusqu'à sa mort en 1886. La meilleure affaire a quand même la chaise percée, non ! Pour 50 centimes vous ne l'auriez sûrement pas laisser passer ? Une telle opportunité ne se refuse pas ! 

Le montant total de la vente sera partagé en part égales entre la veuve et les trois enfants. C'est ainsi que chaque part sera distribuée plus ou moins équitablement. Le notaire termine par ces mots : « Constat de tout quoi a été dressé le présent Procès Verbal à Valff, en la maison mortuaire, le jour, mois et an, en présence de George MOSSER, crieur public et de Blaise VOEGEL, cultivateur, les deux demeurant à Valff, tous soussignés avec les parties et le notaire, lectures et interprétations faites ». 

Sources : Archives départementales du Bas-Rhin