Après s'être rendu maitre par la violence de l'Autriche en 1938, puis de la Tchécoslovaquie, Hitler s'en prend à la Pologne. A la conférence de Munich, le 30 septembre 1938, entre Hitler, Chamberlain et Daladier, la France et l'Angleterre ne réagissent ni à l'annexion de l'Autriche, ni au démembrement de la Tchécoslovaquie. Souvenirs d'André VOEGEL.

30 septembre 1938. On pense avoir sauvé la Paix. DALADIER est reçu en grande pompe et sous les acclamations de la population à son arrivée à l'aéroport en provenance de Munich. Une année plus tard, le 3 septembre 1939, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne lors de l'agression de la Pologne. En trois semaines, la Pologne est envahie par les armées allemandes et russes, par des milliers d'avions et de blindés. Le 10 mai 1940, une violente attaque allemande s'engage de la frontière néerlandaise à l'Alsace. Quarante jours plus tard, l'aventure était terminée. L'armistice est signée le 22 juin dans le wagon historique de Rethondes, dans la forêt de Compiègne. La glorieuse armée française baissait la tête comme l'aigle de Napoléon ler à Waterloo, le 18 juin 1815.

J'avais 15 ans à cette époque et je suivais attentivement les événements politiques et militaires soit à la radio, soit sur le terrain même. Nous nous trouvions en effet dans la zone d'affrontement possible, à proximité de la ligne Maginot. Cette situation particulière me permet donc de raconter certains événements de la période appelée « la drôle de guerre ». La mobilisation générale a été portée à la connaissance de la population par radio et par son de cloche par l'appariteur local. Les premières affiches commençaient à fleurir sur les murs pour annoncer le rappel sous les drapeaux d'une certaine catégorie de réservistes, portant sur leur fascicule de mobilisation un certain chiffre. Les jours suivants, d'autres catégories de réservistes devaient rejoindre leur unité en emportant des vivres pour trois jours (d'où la blague de cet alsacien, qui maîtrisant mal la langue française, se réjouissait de pouvoir emmener des « Wiwer » (femmes en alsacien).

Dans la même foulée du recrutement des réservistes, les chevaux furent recensés et passaient au conseil de révision comme les conscrits. L'officier vétérinaire cantonal et d'autres gradés procédaient au recensement et fixaient le prix des animaux déclarés « bon pour le service ». Le recrutement des chevaux présentait un coup dur pour les agriculteurs qui n'avaient plus de moyens de traction pour les machines, les charrues, etc... Heureusement, les hostilités n'ont duré que quelques semaines. A propos du recrutement de chevaux, l'officier vétérinaire, qui n'était autre que le Dr Amé d'Obernai, posait aux personnalités présentes la question suivante: « Connaissez vous la différence entre le brun (les nazis) et le rouge (les communistes) ? Eh bien, il n'y en a pas ! Si vous chier dans le rouge il devient brun, les deux sont de la m... ». 

Entre-temps, environ 180 communes alsaciennes situées près de la frontière ont été évacuées, soit environ 350 000 personnes. Les évacués ont été accueillis en Dordogne, Haute-Vienne, Charente et dans les Landes (des familles originaires de Strasbourg ont été massacrées à Oradour su Glane). Les bêtes sont lâchées dans la nature pour leur donner une chance de survie. L'administration a réquisitionné des hommes non incorporés ainsi que quelques militaires qui se sont rendus à vélos dans les villages évacués pour rattraper les bêtes lâchées. Ils les ont ensuite ramené à pied via Valff aux l'abattoirs de Barr et d'Obernai. L'opération s'avéra même dangereuse parce que les bêtes étaient déjà devenues à moitié sauvages, surtout les taureaux. Très vite le village changea de visage. Les cours, les maisons, les granges furent réquisitionnées par l'armée et la population subi le cantonnement de troupes.

Evacuation des familles de Strasbourg

Le 6ème génie a pris ses quartiers dans le haut-village avec troupes et matériel. Une section était stationnée dans notre grange. Avec le recul, et après avoir eu la mésaventure d'être incorporé de force dans l'armée allemande, j'ai pu comparer le matériel de guerre des deux côtés. Je me pose encore actuellement la question comment la France pensait vaincre l'Allemagne en lui déclarant la guerre le 3 septembre 1939. Le matériel du génie datait de la guerre 1914/18, mal entretenu, une troupe indisciplinée, des mitrailleuses à refroidissement par eau. La supériorité écrasante des troupes du Reich, une marée de blindés modernes, une armada d'avions derniers cris, une troupe disciplinée et motivée n'a pas pu échapper à nos responsables politiques et chefs d'armées. La ligne Maginot n'était de loin pas encore terminée. Estimaient-ils que le courage indomptable et légendaire du soldat français serait suffisant pour endiguer les marées de chars et d'avions de l'adversaire ? J'ai encore en mémoire des slogans publiés par les médias : « Et nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » ou encore « Et nous sècherons notre linge sur la ligne Siegfried ! ».

Les mobilisés font bombance dans les auberges, mènent une vie joyeuse et s'en foutent royalement de la guerre. Pendant tout leur séjour, je n'ai jamais vu la troupe à l'exercice, tout au plus un peu de terrassement de tranchées antiaériennes. Par contre les activités sexuelles allaient bon train, il fallait bien sûr consoler, adoucir, le chagrin des femmes et filles esseulées. Dans leurs plans de bataille, nos chefs militaires ne voyaient en l'Alsace qu'un terrain d'affrontement avec les armées du Reich et n'ont pas imaginé une seconde que la même tactique des allemands en 1914/18 pouvait se répéter en engloutissant d'abord la Hollande et la Belgique. L'armée allemande a attendu que la déroute de notre armée soit complète avant d'attaquer l'Alsace par le Rhin. Ce n'est que le 15 juin, quelques jours avant l'armistice, que les premières vagues d'assaut de la Wehrmacht traversèrent le Rhin dans le secteur Schoenau - Marckolsheim - Neuf-Brisach. La résistance de nos soldats fut acharnée. Beaucoup de blockhaus de la ligne Maginot étaient défendus par des alsaciens dont certains résistèrent jusqu'à la mort. Mon frère Joseph fit partie de ces vaillants soldats français qui s'obstinèrent à ne pas se rendre. Je vois encore aujourd'hui cette armée française fuyant l'inébranlable Wehrmacht vers les contreforts des Vosges. Par colonnes entières, ces soldats délabrés passèrent le village sans ordre, à pied, à cheval, en vélo ou en poussant une petite charrette. C'était une débâcle désolante. De nombreuses années encore après la guerre, les alsaciens appelaient encore les français : des « Hansebock » (les lièvres) car ils avaient déguerpi à la vitesse grand V avec les oreilles basses ! 

Le 17 ou 18 juin 1940, Valff est investi par l'armée allemande. Un motocycliste, seul, mitraillette en bandoulière, est entré dans le village et s'est arrêté devant le restaurant au Soleil s'informant de l'adresse du Maire. Venant de Westhouse, une colonne de camions, véhicules à traction animale convergèrent vers le village. Chaque véhicule était recouvert d'un drapeau à croix gammée pour être reconnue par la Luftwaffe. Une partie de la colonne s'arrêta dans le village et pris ses quartiers, le reste poursuivi sa route vers d'autres villes et villages. La population était absente, muette, consternée. Voilà que l'Alsace allait une nouvelle fois changer de nationalité, pour la troisième fois en moins de 25 ans ! La propagante de l'Allemagne vis à vis de l'Alsace n'était pas d'y faire son entrée en conquérant ... mais en libérateur ! C'est à ce niveau que les conquérants s'étaient trompés, personne n'est venu pour les acclamer.

Le soir venu, les vainqueurs se devaient de fêter leur victoire. Notre voisin qui tenait le restaurant au Boeuf, s'est vu son local submergé de soldats de la Wehrmacht qui consommèrent bière et vin sans modération. Me mêlant à cette foule de soldats, j'ai eu ce jour, mon premier contact avec cette armée venant d'au delà du Rhin. L'adolescent que j'étais, a été très impressionné par le moral et la discipline et de leur matériel de guerre. Ca changeait de ce que j'avais vu quelques jours auparavant avec le 6ème génie ! Plus tard, quand j'ai été moi-même mêlé au conflit avec mon incorporation de force dans la Wehrmacht, j'ai encore mieux  compris pourquoi la défaite de l'armée française avait été si foudroyante.

Quelques jours plus tard, l'armistice fut signée, l'occupant nazi intégra les provinces d'Alsace-Lorraine dans le Grand Reich et la France abandonna une nouvelle fois notre belle région. Adolf HITLER demanda une soumission inconditionnelle de toute la population. C'était le début d'une vie de misère.

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.