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Revue de presse du côté de Saverne. Le vendredi 28 novembre, toute l'Alsace est en émoi. Ce qui vient de ce passer dans cette ville est tout simplement scandaleux ! Les répercussions de cet acte odieux seront débattus jusqu'au Reichstag à Berlin.

Edition du 7 décembre 1913

Les faits

Vers 19 heures, quelques jeunes officiers du 79e régiment d'Infanterie de grenadiers rentrent d'une séance d'entrainement de gymnastique et d'escrime quand quelques jeunes de la ville lancent des quolibets à l'attention du lieutenant VON FORSTNER.  Un article du journal l'Alsace avait dévoilé qu'il aurait laissé dans sa couche après des manœuvres sur le terrain, un souvenir d’insalubrité honteuse chez un habitant à Hatten. Ils l'interpellent en lui lançant : « Bettschisser, Wackes » (déféqueur et voyou). Pour connaitre le contexte général, cliquez ici. Réaction instantanée des militaires : le lieutenant SCHADT, accompagné de 4 soldats avec casques à pointe et armes, déboulent de la caserne et arrêtent en pleine rue un pauvre passant innocent accompagné de sa femme en train de se rouler une cigarette. Roulement de tambour ... et 80 autres soldats surgissent et se positionnent en deux rangées sous le commandement de l'illustre Oberst VON REUTER.

Autre roulement de tambour et les armes sont chargées avec des balles de guerre ! Un petit attroupement de curieux se forme. Les militaires arrêtent un jeune garçon et une fillette du collège voisin et cassent quelques vitres. Un civil a le malheur de rire et les militaires empoignent un homme ... mais se trompent de personne ! Le résident LEVY habitant au deuxième étage de la maison devant laquelle s'est déroulé la scène a le malheur de demander quelle est l'origine de ce vacarme ? Il est aussitôt arrêté ! Sa vieille mère de 80 ans est choquée en voyant des baïonnettes se pointer dans sa direction. De peu son coeur allait lâcher !

Peloton allemand raillé par des gamins dans les rues de Saverne

C'est l'engrenage ! La colonne avance au pas de l'oie direction la rue Principale. Les militaires investissent les maisons et arrêtent les badauds qui ne s'effacent pas à leur passage : le journaliste du « Zaberner Wochenblatt » est le premier de la liste. Le procureur du tribunal de Saverne KLEINBOHMEN qui rentre à pied chez lui ?...embarqué. Il aurait osé dénoncer l'illégalité des arrestations ! Dans la foulée même sort pour son assistant ! Deux autres juges qui s'offusquent ? Embarqués ! Un sourd muet ? Embarqué ! Des femmes et des enfants ? Embarqués. En tout 29 personnes passeront la nuit dans une cave à charbon de la caserne du château ! sans boire ni manger ! Le maire KNOPFFLER, malade, téléphonera illico au haut commandement de Strasbourg. Le samedi, les militaires continuent leurs rondes répressives armes au poing. Le dimanche, ils grossissent encore la liste des pensionnaires du cachot avec  5 ouvriers et un jeune de 14 ans.

Lieutenant VON FORSTNER en 1913

Mardi 2 décembre à Dettwiller. Un groupe d'ouvriers reconnait le lieutenant von FORSTNER et le brocarde de « Bettschisser ». Instantanément, il fait déployer ses hommes. On arrête le cordonnier BLANK qui dit s'être trouvé là par hasard et qui n'a rien à voir avec le groupe. A cause d'une jambe handicapée, il n'avait pu s'enfuir. FORSTNER lui assène un coup d'épée sur la tête et lui occasionne une plaie longue de 5 cm jusqu'à l'os.

Les conséquences

Les juges de Saverne se déplacent à Strasbourg pour rencontrer le Gouverneur. Informé, le ministre de la guerre VON FALLENHAHN se rend en audience chez l'Empereur. Dans de nombreux lieux d'Alsace s'organisent des rassemblements spontanés de protestation. La presse allemande est informée et diffuse l’événement. Le député THUMAN de Guebwiller écrit au chancelier Théobalt VON BULOW. Le ministre de la guerre répond qu'il faudrait excuser la jeunesse du lieutenant VON FORSTNER qui n'a que 20 ans ! 

L'affaire est débattue devant le Reichstag. Le ministre de la guerre essaye de justifier son armée. Il parait que Oberst VON REUTTER partirait à la retraite. Le 79e régiment d'infanterie de grenadiers est transféré à Bitche et Haguenau. Les auteurs des quolibets attendent leur jugement. On interdit les œuvres philharmoniques d'auteurs français. Trois soldats alsaciens HENK, BLELLH et SCHEIBEL sont condamnés à 6 et 3 semaines d'arrêts pour avoir fuité aux journalistes des informations lors de la répression. L'opinion allemande est partagée. Les officiers incriminés à Saverne retirent finalement leur plainte. Dix officiers de réserve alsaciens se font rayer de la liste des réservistes. VON FORSTNER serait également aux arrêts. Affaire à suivre ...

Noël au ciel avec les bottes SALAMANDER

Edition du 21 décembre 1913

Edition du 28 décembre 1913

Suite de l'histoire des incidents à Saverne. Le lieutenant VON FORSTNER est devant le Conseil de Guerre. Pour ses agissements à Dettwiller et son coup de sabre sur la tête du cordonnier BLANK, il est condamné à 43 jours de prison. Il reconnait que lors de l'arrestation mouvementé du cordonnier BLANK, il lui aurait dit : « Attends mon gars, maintenant on va te viander ! ». La cause est que le cordonnier se serait débattu et il invoque la légitime défense. BLANK affirme qu'il se trouvait là tout à fait par hasard, qu'il était retenu par 5 soldats et marchait sur le chemin de l'usine LEVY où il travaille. Il craignait de devoir payer 10 pfennigs d'amende pour son retard, c'est pourquoi il courrait si vite ! 

Oberst VON REUTER témoigne qu'il avait donné l'ordre de faire usage de leurs armes à tous ses officiers pour toute injure. Il est du droit et l'obligation de défendre l'honneur d'un officier Prussien Allemand. Il avait ordonné une intervention énergique. VON FORSTNER sera acquitté en appel ! On apprendra plus-tard que le Kronprinz avait envoyé au colonel VON REUTER une dépêche sans ambiguïté : « Nur fest drauf ! » (tapez dur ! ).

Le lieutenant VON FORSTNER décédera sur le front de l'Est deux ans plus-tard. Pourtant avant la guerre, en janvier 1914, il fera encore parler de lui pour avoir violenté une jeune fille de moins de 16 ans. Quand au colonel VON REUTER il sera nommé Lieutenant Général. Il décèdera en 1941.

Tout ce que l'on pouvait acheter en cadeaux pour les enfants en 1913

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