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L'étude des cas recensés de naissances dites « fille ou fils naturel » ou « illégitime » en opposition à la mention «né en légitime mariage» nous transfert dans le monde de ces jeunes filles désespérées dont l'erreur consistait à avoir fauté par amour ou par faiblesse. Qui étaient-elles et que nous apprennent les statistiques ?

Pour comprendre leur histoire, il faut remonter à la source et saisir la mentalité d'une époque qui ne pardonne pas à une femme de donner naissance à un enfant sans être mariée. La jeune femme qui déroge à cette norme est dès lors considérée comme une déviante, pire, une pécheresse, et porte seule le fardeau de l'intolérance de la société. Par contre le Roméo concepteur qui a pris la poudre d'escampette ou le mari infidèle aux yeux de velours sera considéré par le reste de la gente masculine comme un séducteur pardonnable.

A Valff, les registres paroissiaux contiennent des mentions de naissances illégitimes ce qui n'empêchaient pas les curés de l'époque de faire baptiser les nouveaux nés. Au 19ème siècle, on recense environ une quarantaine de naissances par an. Selon les années s'y trouvent entre une à cinq naissances illégitimes. Ces naissances étaient déclarées à l'autorité communale par les sages femmes dont l'une s'appelait Scholastique PFLEGER (1780 - 1842) et avait le titre de sage femme jurée. Elle habitait à la mairie qui se situait à l'époque à l'emplacement de l'école actuelle au numéro 184.

 

Photo de la rue principale de Valff en 1912 à l'occasion du passage de l'Empereur d'Allemagne, Roie de Prusse, Wilhelm II

Avant 1760, la formation était faite « sur le tas ». C'est l'ère des matrones, qui sont cependant nommées sage-femmes jurées dans les actes. Voici un extrait de « qui sont nos ancêtres » :

« Appelées bonne mère ou matrone, la sage femme inspirait volontiers de la crainte que du réconfort à la future mère. Choisie, voire élue, parmi les femmes âgées ou mères de familles nombreuses, elle avait simplement appris son métier sous la houlette d'une consoeur. Une des seules condition à l'exercice de la profession était d'avoir prêté serment sur les évangiles.

Dès qu'elle débarquait dans une maison, elle choisissait le lieu d'accouchement, faisait asseoir la parturiente et lui faisait réciter ses prières – un préliminaire obligatoire ,puisqu'en ces temps là nombres d'entres elles mouraient en couches. Elle vérifiait ensuite les linges, faisait remplir des bassines d'eau chaude et apporter le lit ou la paillasse devant la cheminée, afin de garantir à l'accouchée chaleur et lumière.

Après quoi notre matrone, à la campagne se précipitait dans la cour de la ferme. Elle y saisissait la première poule passant à sa portée pour lui tordre vaillamment le cou, et préparait un bon bol de bouillon à sa cliente, tout en se versant à elle un bon verre de gnôle. Alors elle rejoignait le groupe des femmes, parentes et voisines réunies près du lit, pour caqueter avec elles, se réservant dans le cas où le travail n'avançait pas assez vite, d'envoyer un homme atteler une charrette pour y faire monter la future mère et la faire promener par les chemins caillouteux, histoire d'accélérer les choses ... 

On ose à peine énumérer sa panoplie de crochets et outils en tout genre, ni le matériel qu'elle apportait avec elle (pelle à feu, tisonnier, crochets de balance) panoplie inquiétante et qui en dit long sur ses techniques. 

Elle n'hésitera, en effet, ni à « parfaire » le visage du nourrisson, ni à user de chantage et de harcèlement, afin de s'acquitter pour le mieux du rôle d'inquisiteur impitoyable qu'elle se voit reconnaître par les prêtres ou les juges face aux mères célibataires qui avaient « fauté ». A celles ci notre bonne mère saura toujours arracher, au moment le plus critique, le nom de leur séducteur pour mieux pouvoir le faire dénoncer et poursuivre. Ces habitudes de notre matrone (qui doit son nom à la mater latine, la mère) sont à l'origine du sens courant que ce mot à reçu au fil des siècles ».

Scholastique PFLEGER devait être une bonne sage femme puisqu'en 1826 une jeune fille-mère donnera le prénom de Scholastique à sa fille.

« Les accoucheuses traditionnelles n’ont pas fait d’études et la plupart sont illettrées. Elles se contentent de transmettre leur façon de faire, leurs petits secrets, tant vilipendés par les chirurgiens mais suffisants pour les accouchements ordinaires. Toutefois, la matrone reste bien impuissante en cas d’incident. Parfois, au terme de longues souffrances de la parturiente, elle doit se contenter d’extraire l’enfant mort par morceaux, avec des crochets. Une pratique secrète consistait aussi à « pincer le nez » des enfants mal-formés ou non viables afin d'abréger les souffrances de l'enfant et des parents ». (Extrait : Les métiers d’autrefois, Archives et Culture).

En 1813 : pas de naissance illégitime,  en 1814 : un cas, 1815 : rien , en 1816 : un, puis de 1817 à 1818 : 14 naissances ! La version ancienne de l'amour est dans le pré ! Que s'est-il passé ? Un indice nous est transcrit le 7 novembre 1817 à la naissance illégitime de Hedwige JERINECK. L'heureuse maman s'appelle Barbe BONNEGARDE (BAUMGARD), 24 ans, de Valff dont le père était musicien. Un certain Joseph JERINECK reconnait l'enfant. Il est soldat citation « au régiment de son Altesse duc de REINER, neuvième compagnie présentement cantonné en cette commune lequel a déclaré se reconnaître le père », et le maire de préciser que le père a signé par une croix. Faites l'amour pas la guerre, voilà le mot d'ordre ... mission accomplie !

Les habitants des villages de cantonnements devaient fournir « la chandelle et le couvert » ,donc héberger et nourrir les soldats. S'il se trouvait une jolie fille au domicile, la vigilance des parents ne pouvait rien face au génie militaire de nos vaillants soldats. Hedwige (l'enfant de Joseph JERINECK et Barbe BAUMGARD) mourra célibataire à 46 ans après avoir donné naissance à Urbain ...également de père inconnu. Puis il y a les vocations familiales ; telle la famille K. Le père, Joseph, tisserand, a deux filles : Marie Anne et Catherine. Marie Anne accouchera célibataire en 1818 et 1825, Catherine en 1823. Vu que c'est marrant, elles accoucheront chacune en 1826 et 1828 et pour finir Catherine clôtura la série en 1835. La fille de Marie Anne, Balbine fera de même en 1865 à 37 ans. Marie Anne décédera en 1832 à 36 ans, célibataire comme Catherine et comme Balbine. Qui aurai osé les épouser ?

Joséphine R. accouchera de 6 enfants de pères inconnus. L'amour, toujours l'amour et sans allocations familiales ...

On ne trouve que rarement des filles dites de  « bonne  famille » dans la catégorie des filles-mères. Cela veut-il dire qu'elles étaient plus chastes ? Ce n'était sûrement pas le cas des filles de « bonne » famille des villages et villes des environs qui venaient accoucher, elles ... à Valff !

Le gros des troupes se recense curieusement dans les rangs des parents artisans : tisserands, tailleurs ou cordonniers. Les filles mères sont en général journalières ou servantes et certaines sont veuves. Leur âge est relativement élevé et se situe autour de 25 et jusqu'à 43 ans pour une veuve en 1857. La faiblesse naissait dans la pauvreté et la solitude.

La plus jeune mentionnée est Franziska, servante de 17 ans. Figurent également quelques filles juives de pauvre condition. Souvent un ou les deux parents sont décédés. Mais on trouve aussi des raretés comme Walter Charles né en 1875 de Maria WALTER, comédienne de Pfaffenhoffen avec comme témoin un certain Adam ANTON, acteur. 

Puis en 1877, Philippine SCHUMACHER, comédienne de Lyon mis au monde Anna, de père inconnu. Valff était-il devenu la pouponnière de la jet set de l'époque ?

Le 23 août 1858 est fait acte de naissance d'Auguste SCHWAGEL, enfant trouvé a Valff à 6 heures du matin par Louis SPECHT, cultivateur. Père et mère inconnus. Mais d'où vient le nom de Auguste SCHWAGEL ? Il n'y avait pas de SCHWAGEL à Valff à cette époque ... dans les commérages murmurées certaines révélations se transmettaient aussi ... 

Auguste mourra le 19 novembre 1858 à Strasbourg, 4 rue du Bain aux Plantes, à l'age de 2 mois et 27 jours. Avait-il été adopté ? Voilà encore un point commun: les enfants illégitimes souffraient d' une mortalité infantile élevée.

L'esprit étant ardent et la chair faible, on retrouve le même problème dans les villages et villes des alentours. Le curé d'Erstein, par exemple, fit pression en 1907 sur son conseil municipal afin que soit annulé le messti annuel ! Argument avancé: les naissances illégitimes et le relâchement des moeurs. La résistance charnelle est inversement proportionnelle au degré d'alcoolémie ...

Durant les années 1800 dans les registres d'État civil, le nombre des naissances déclarées par une mère célibataire est de 190, sur ce chiffre seuls 67 seront reconnus par le père naturel ou par un beau père à l'occasion du mariage avec la mère ; 53 mourront en bas âge, 70 disparaissent dans la nature. Une mère reconnu « comme étant née d'elle » en 1888 ... un enfant né en 1887. Puis en 1897, lors de son mariage, un autre enfant « né de son sein » ... en 1891 !

Mais :

Certaines femmes honteuses quittèrent le village. D'autres affrontèrent l'ignominie... pendant que de nombreux géniteurs jouirent paisiblement d'une vie dite ... « honorable ».

« L'amour voit les roses sans les épines »

Proverbe allemand