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« In der Not isst der Bauer die Wurst auch ohne Brot ». Ce proverbe allemand se traduit par « Quand il y a des problèmes, le paysan mange la saucisse aussi sans pain ». En clair, on fait moins le difficile quand tout va mal.

Le pain a été de tous temps l'aliment de base des hommes. Des traces de pain sans levain ont été trouvées sur plusieurs sites datés de 3000 avant Jésus Christ. On attribue généralement l'invention du pain au levain aux Égyptiens. Les Grecs développent le métier de boulanger et confectionnent plus de 70 variétés de pain.

La croûte des gueux

Au Moyen Age, de nouvelles techniques apparurent (notamment avec les invasions barbares) : le collier d'attelage, la charrue à roue (sans doute d'origine slave) et le fléau à battre. Après les mortiers et pilons à main et les moulins actionnés par des animaux vint l'ère des moulins à eau puis ceux à vent. Parallèlement à l'évolution technique, la répartition des céréales en Europe subit de profonds bouleversements en quelques siècles : peu à peu le seigle et l'avoine, qui supportent mieux les sols pauvres, remplacent l'orge et le froment. Dans le courant du IXème et du Xème siècle, l'utilisation de ces céréales rustiques et résistantes se généralise. Mais malgré ces changements, les simples manants peinaient durement pour gagner leur croûte. On peut même dire que c'était une vraie galère de se procurer du pain au Moyen Age quand on n'était pas fortuné. Souvent les fours et les moulins appartenaient aux seigneurs et les paysans devaient payer une redevance pour avoir le droit de les utiliser. Selon les régions, le four à pain était un privilège du Seigneur dont il tirait profit en prélevant une taxe sur chaque cuisson appelée banalités (Brotsteuer) :

Lexique du pain

Du blé au pain

Il fallait d'abord transporter ses grains jusqu'au moulin. Là, on attendait pendant des heures que le meunier termine son boulot. Ensuite, il fallait rentrer chez soi avec sa farine, pétrir sa pâte et se remettre en route direction le four : une véritable épopée rendue souvent plus désagréable encore par des meuniers peu aimables qui mettaient parfois du sable dans la farine ... Pendant que les paysans trimaient pour mériter leur pain, les Seigneurs festoyaient. Une des petites gâteries qui a fait les beaux soirs des dîners chics jusqu'au XVIIème siècle : le tranchoir, un pain en forme d'assiette sur lequel on déposait un morceau de viande et qu'on mangeait à la fin du repas, quand il était bien imbibé du jus de la viande (histoire du pain).

« Les Seigneurs rougiroient de manger du même pain que leurs gens. Il faut que ces derniers ayant le bon et bien nourrissant, et que les maîtres mangent un pain léger et gâté avec du lait. Aussi quelle différence dans l'embonpoint et la santé ! Le pain suffit aux premiers ; les autres dévorent les viandes et les ragoûts avec une avidité, dégoûtante, si l'on n'étaient habitué à ce spectacle de mal-propreté et de gloutonnerie, qui ne cesse que lorsque l'estomac fatigué leur permet à peine de goûter un peu de ce qu'ils dévorent. Je ne sais pourquoi dans des temps de disette, ou même de cherté, on ne commence pas par interdire la pâtisserie, borner l'amidonnerie, supprimer la tannerie à l'orge ; puisque du pain et de la bière sont de première nécessité, tandis que la pâtisserie est un superflu indigeste » (extrait de Économie Rustique, 1769).

Economie rustique de 1769

Le talmelier

Les premiers boulangers, ou talmeliers, apparaissent dans les villes entre le VIème et le VIIème siècle mais, jusqu’à la fin du XIIème, ils sont obligés de cuire au four banal et de payer une redevance au seigneur propriétaire du four. A cette époque, le mot « boulanger » n'existait pas - dérivé du picard « boulenc » (« qui fabrique des pains en boule »), il est entré dans l'usage au XVème siècle. On parlait des « fourniers » (de « four ») ou des « pesteurs » (du latin « pistor »).

Leur profession était réglementée par l'autorité royale. A partir du XIVème, ils ont suivi comme les autres artisans les lois du compagnonnage. Une ordonnance prescrit aux boulangers « d’avoir toujours à leur fenestres ouvroirs et charrettes, des balances à poids légitimes et leurs pains marqués de marques particulière ». Leur tenue est également réglementée. Les compagnons doivent être continuellement en chemise, en caleçon et en bonnet, dans un costume tel qu’ils soient toujours en état de travailler et jamais de sortir ... Les fraudeurs s’exposent à des peines sévères et sont battus à la verge, mis au pilori ou précipités d’une charrette sur le pavé (le saut du tombereau !). Ils étaient tenus de suivre une formation auprès des maître boulangers du pays. Au terme de leur apprentissage, les aspirants compagnons passaient une sorte d'examen : ils devaient confectionner une pièce décorative appelée « chef-d’œuvre », et la soumettre à l'approbation de douze jurés nommés par le Grand Panetier ...

Au XVIIIème siècle, le métier de boulanger est très fermé. Pour passer maître, il faut avoir vingt-deux ans accomplis, être de religion catholique, présenter un certificat de bonnes vie et mœurs et n’être atteint d’aucune maladie contagieuse. Il faut avoir trois années d’apprentissage, trois années de compagnonnage et exécuter un chef-d’œuvre qui consiste à convertir en diverses sortes de pâtes et de pains une quantité définie de farine. Des contraintes techniques et financières s’ajoutent si l’on n’est pas fils de boulanger.

Le prix du pain

Pendant des siècles, le prix du pain était constant selon les pièces de monnaies en circulation. Au début du XVIIème siècle on achetait des miches d'un denier, d'un Pfennig, d'un Creutzer, d'un 1/2 Batz et d'un Batz. Selon le prix des céréales, c'est le poids du pain qui augmentait ou diminuait. Ces tarifications faisait la différence entre le pain de froment (Simmelbrot), le pain bis (Bollbrot), le pain de seigle (Rockenbrot) et le pain de ménage (Schwartzbrot ou Hausbrot). A la différence des villes, les paysans des campagnes pétrissaient eux même la pâte à la maison et l'apportait à cuire chez le boulanger du four banal. Pour le reconnaître après cuisson, certains y mettaient une marque reconnaissable.

En 1700, le pain de 500 grammes valait environ 0,15 livre (3 euros). Pendant la guerre de Trente ans (années de 1633 à 1639 ) le blé augmenta de 300%, le méteil, l'orge et le seigle de 320% et l'avoine de 220 %.

La révolution laissera espérer une libéralisation des taxes mais, dès 1803, la profession est de nouveau réglementée et le pain taxé. Il le restera jusqu'en 1863 où Napoléon III supprimera la taxe alors appliquée de façon détournée. Pour le canton de Barr, dont dépendait Valff pendant les premières années de la révolution, le prix du pain fut fixé comme suit : 2 deniers en monnaie de cuivre pour la livre de pain blanc, 10 deniers la miche de pain bis blanc de 6 livres, le pain dit de ménage composé de 2/3 de froment, 1/3 de seigle, 1/6 de seigle et 1/6 d'orge à 3,5 deniers les 3 livres et 6,6 deniers les 6 livres.

En 1847, le maire Jordan réglemente par arrêté communal le poids des pains autorisés à la vente : dorénavant la grande miche pèsera 3 kg, la petite 1,5 kg et les pains de luxe en forme de torches laissés au choix du boulanger.

La boulangerie communale de Valff

La première mention de la boulangerie communale est faite dans le registre de renouvellement de biens de 1668. On peut y lire : « Das Gemeine Becken oder Ofenhaus, stehet an der allmend oberseit Nidermünstergut, unten die Wiege anstoss uf und neben der allmend. Ist aig ». Traduction : la boulangerie ou four communal ; en haut, possession de Niedermünster, en bas, la balance, devant et à côté, les communs (route) ; appartient à la commune. Aujourd'hui il s'y trouve la maison n°201, rue principale, en face du garage VOEGEL.

Le 31 octobre 1779, le Schulteiss de Valff, Bläss DIEHLMAN, fait une requête auprès de la Régence afin de trancher un litige qui oppose Jean Jacques WILLMAN, boulanger de la boulangerie communale et « quatre mutins » menés par Jean Georges BAUMEIR, boulanger et aubergiste et François Joseph HABERER, également boulanger à Valff. Une réunion est organisée à l'auberge de la veuve de feu François Joseph NEFF où se tiennent ordinairement les assemblées du conseil municipal.

Le prévôt explique au greffier que leurs ancêtres ont, depuis plusieurs siècles, utilisés un four banal où tous les habitants sans exception étaient tenus de faire cuire leur pain de ménage. Cet établissement a toujours été d'une grande utilité. Une des raisons du four est que la consommation de bois aurait quadruplée si chacun avait cuit son pain individuellement. En plus, les habitants sont dépourvus de forêt en bien propre et le bois est cher. Un autre avantage est la crainte d'incendies car les toits des granges et des écuries sont couverts de chaume. La boulangerie communale a été depuis des temps immémoriaux louée à des boulangers qui se sont bien acquittés de leur devoir. Il leur est par contre interdit de cuire un autre pain que du pain de ménage. Le boulanger actuel à écopé d'une amende pour cette raison.

Dans la commune il y a un autre boulanger qui lui, est tenu par parité à ne cuire que du pain blanc. Or celui ci porte plainte contre le premier en affirmant qu'un boulanger est largement suffisant dans la commune, que la consommation de bois serait encore moins grande s'il n'y avait qu'un four, et que si le boulanger du four banal cuisait mieux le pain des habitants, ceux-ci ne bouderaient pas son fournil. Le greffier tentant d'argumenter en faveur du boulanger Willman exploitant du four banal, demande aux bourgeois et habitants de délibérer. Les uns refusent d'être mêlés à cette histoire et les autres veulent laisser les choses en l'état. S'en suit un tohu-bohu général au point que le greffier, furieux, prend ses cliques et ses claques et quitte le village. Peut être les habitants s'étaient-ils souvenus du proverbe alsacien : « Mieux vaut pain en poche que plume au chapeau » (Besser Brot em Sack als Fader am Huet).

Il semble que le décès du boulanger WILLMAN en 1784 sonna également le glas du four banal. Les comptes de la commune de 1788 ne font plus mention de la location d'un four communal. Il mourut à l'âge de 36 ans. Le sort de BAUMERI ne fut pas meilleur, il décéda un an avant WILLMAN à 49 ans. En 1793, la location du four banal rapportait à la commune 30 livres annuel (environ 600 euros).

Annotation d'un plan de la boulangerie communale présentée à la vente pour cause de ruine en 1843 (maison en face du garage Voegel dans la rue Principale)

Le pain de seigle

Autrefois, chacun cultivait son champ de seigle. Le pain de seigle était cuit en grande quantité au four communal, à raison de deux à trois fournées par année. Il avait la particularité de se conserver très longtemps, aligné sur des râteliers conçus à cet effet. Une partie servait de « léché » pour le bétail.

Témoignage de la vie d'autrefois :

« Pour le goûter des bergers, lorsque le pain de seigle était encore frais, l’oncle découpait tout autour de celui-ci la croûte ... croustillante à souhait ! Quant au reste, il faisait le bonheur du Rappe, du Fuchs ou du Schemmel ... (noms donné aux chevaux en rapport avec leur couleur). Sec et dur comme un caillou, il était encore bon ! Coupé à la hache, il éclatait en morceaux. Arrosé de lait, de café ou de chocolat chaud, il constituait notre déjeuner. On l'imbibait aussi dans la soupe pour le ramollir ... Le pain blanc était un luxe réservé aux malades ».

Liste des premiers boulangers de Valff

Une analyse de la vie de ces boulangers montre que le métier permettait peut-être de manger ... son pain quotidien mais non de vivre vieux !

« Pain de vieillesse se pétrit pendant la jeunesse »

Proverbe auvergnat