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Conformément à l'ordonnance du 8 mai 1941, le Gauleiter Robert Wagner instaure en Alsace le RAD. Les premiers incorporés dans l'Arbeitsdients est la classe 1922-42 en octobre 1941. Retour sur le Reichsarbeitdienst (RAD), service de travail obligatoire, grâce aux mémoires d'André VOEGEL. Suite de la partie 1.

Mon incorporation de force dans la Wehrmarcht

Si l'annexion de l'Alsace était de fait, par contre elle ne l'était pas en droit ce qui posait un sérieux problème à l'occupant. Dès les premiers jours d'occupation, HITLER avait bien compris que la grande majorité de la population ne se soumettrait pas. Le 8 août 1942, Adolf HITLER convoqua dans un bois à quelques lieues au nord de Vinnitsa Ukraine l'administrateur civil d'Alsace, le Gauleiter WAGNER, le responsable des questions alsaciennes LAMMERS, ainsi que des hauts fonctionnaires et généraux. Il fallait régler d'importantes questions militaires et aborder le problème de l'incorporation des Alsaciens, Lorrains et Luxembourgeois. Le 25 août 1942, le Gauleiter Robert WAGNER, en vertu des pouvoirs que lui avait conférés le Führer, publia la terrifiante ordonnance de l'incorporation des Alsaciens et des Lorrains dans la Wehrmacht. Dès le 12 octobre, les premiers alsaciens prenaient le chemin des casernes allemandes. Normalement ma classe (1925) était programmée pour mai 1943. Pour des raisons expliquées dans le § RAD, j'eu droit à un sursis.

De retour du RAD le 15 février 1944, je devais rejoindre la Wehrmacht le 24 février. L'incorporation des recrues donnait souvent lieu à des manifestations hostiles. Le train qui nous conduisit à Strasbourg subit lui aussi d'importantes détériorations : vitres cassées, lanières en cuir coupées, portes enfoncées, graffitis hostiles ... Les premiers départs en 1942 avaient été marqués par des démonstrations musclées anti-allemandes, mais également de la part de la population civile excédée par ces mesures violant les Droits Internationaux. Robert WAGNER pris alors des dispositions pour éviter que de telles manifestations ne se renouvellent plus.

Arrivés en gare de Strasbourg, nous avons été pris en charge, à même le quai, par des soldats allemands. Les militaires nous escortèrent, toujours sans sortir de la gare, vers Kronenbourg le long des lignes ferroviaires situées à quelques 1000 m en bordure d'un bunker près des remparts de Strasbourg. Un train spécial nous attendait à cet endroit, aucun civil n'y avait accès. Les incorporés qui avaient tous subi une instruction paramilitaire au RAD, et donc rompus à la discipline nazie, se montrèrent moins rétifs. Répartis dans différents wagons suivant la destination finale, nous quittions notre Alsace natale sous bonne escorte d'hommes de la Wehrmacht ... particulièrement agréables. Il y avait de quoi ! Mes valises étaient pleines de lard fumé, de jambon, de pain blanc ainsi que de bouteilles de vin d'Alsace ! Nos accompagnateurs dégustèrent donc avec nous ces mets délicats pendant le reste du voyage.

Revue militaire place de la gare à Strasbourg

J'ai été affecté à la Stamm-Kompanie Pionier Ersatz Bataillon 14, à Weissenfels an der Saale, à environ 40 km au Sud-Ouest de Leipzig. C'était un Bataillon du Génie. Pendant environ 3 à 4 semaines, nous avons été soumis à un intensif entraînement militaire. Avant de rejoindre le 14e bataillon de réserve stationné en Pologne, nous devions prêter serment « Für, Führer, Volk und Vaterland » (pour le Führer, le Peuple et la Patrie). Après le serment à la RAD, c'était la deuxième fois. On peut facilement imaginer notre motivation, nous, jeunes Alsaciens pour ce moment glorieux ! On me donna le numéro matricule 3468 St.Kp : Pi:E.B. 14, gravé sur une plaquette métallique portée autour du cou.

Visite médicale

Le 17 mars 1944, nous avons quitté Weissenfels dans des wagons à bestiaux en direction de la Pologne: destination : Gora-Kalwaria, situé à environ 30 km au sud de Varsovie. Quelques jours avant le départ, j'ai été victime d'une rage de dent avec abcès et inflammation de sorte qu'il m'était impossible de manger la moindre chose. Ausculté par le médecin militaire, je dus me présenter chez un dentiste de la ville qui a procédé séance tenante, à une extraction sous anesthésie générale. Toutefois l'anesthésie ne devait pas être totale, car j'entendais tout ce qui se disait sans avoir la possibilité de réagir. C'est dans ces conditions que le dentiste commença son travail, sans que ma dent ait été désensibilisée. Après avoir souffert atrocement, j'ai perdu connaissance, mais ma dent était extraite et j'ai pu à nouveau manger correctement.

Le jour suivant, nous partîmes pour la Pologne. Nous quittions l'Allemagne pour ce pays occupé par les Allemands. Les habitants très courageux ont énormément souffert du joug allemand. Très tôt, une résistance s'était spontanément organisée en ville, mais surtout en campagne dans les immenses forêts de ce pays. Sur les bas-côté du parcours ferroviaire, nous croisions souvent des locomotives et des wagons de la Reichsbahn dynamités par les partisans. Ces combattants de l'ombre s'étaient donné pour mission de faire sauter les convois militaires et d'approvisionnement à destination du front de l'Est. Pour mieux préserver les locomotives, les Allemands avaient inventé un système de protection qui consistait à pousser devant la locomotive, 2 ou 3 wagons vides qui sautaient au contact du plasticage. Les partisans trouvèrent vite la parade en posant des charges explosives à retardement. Au fur et à mesure que nous avancions à l'intérieur du pays, les destructions se faisaient de plus en plus importantes. Notre convoi du être en plus protégé contre les attaques de l'aviation à l'aide des batteries antiaériennes à canons quadruples.


Après quelques jours de voyage, heureusement sans encombre, nous arrivâmes à Varsovie, capitale de la Pologne. A chaque arrêt du train dans une gare importante, la Croix Rouge allemande nous servait nourriture chaude et boissons. Au bout de plusieurs jours, nous atteignîmes enfin notre destination finale : Gora-Kalwaria situé à 30 km au Sud. C'était au bord de la Vistule, un lieu de pèlerinage dédié à la Sainte Vierge.

Le monastère et sanctuaire de Kalwaria

Le camp militaire, dont les casernements étaient en bois, se trouvait un peu en-dehors de la ville dans une forêt de pins. Derrière les bâtiments, s'étendait à perte de vue un terrain d'exercice sablonneux et partiellement recouvert de pins d'une hauteur maximum de 2 à 3 m. Le jour suivant de notre arrivée, l'entraînement commença de suite, intense, dur et varié. L'entraînement spécifique des troupes de Génie portait aussi bien sur le maniement des armes comme la carabine, les mitrailleuses MG 34 et 42, le placement de mines de toutes sortes, les techniques d'artificiers, la construction de ponts, le maniement de lance-fusées, le combat de nuit ou encore l'initiation au combat anti-partisans. A cette époque, le lance-fusées antichar Raketenwerfer 43, appelé « petite poupée » (Puppchen) venait tout juste de faire son apparition.


Deux jours par semaine, nous nous exercions à construire des ponts et pontons sur la Vistule. Dès 6 heures, c'était départ de la caserne pour traverser la ville et nous diriger sur le terrain d'entraînement au bord du fleuve, à environ 4 à 5 Km. Construire un pont était un exercice très pénible. Il fallait porter les pontons à dos d'hommes par-dessus un remblai disposé en talus de plus de 2 m pour les mouiller ensuite dans la Vistule. Les sous-officiers instructeurs étaient de « vrais salauds ». Ils nous faisaient subir des exercices monstrueux, inhumains et dégradants. Le Commandant de compagnie était un capitaine mutilé de guerre, fanatique nazi mais très bon cavalier. Entre nous, le petit nombre d'Alsaciens de notre compagnie, se promettait en secret un avenir sombre pour ces instructeurs ... si des fois l'avenir nous gratifiait de la chance et l'honneur de nous retrouver ensemble au front ! 

L'adjudant de compagnie avait entre 15 et 20 années de service dans la Wehrmacht. Il faisait partie de cette petite armée de 300.000 soldats allemands autorisée par les alliés le 6 mai 1919 au traité de Versailles. Il était souvent en état d'ébriété même pendant le service. Tous les matins, « son boulot » consistait à réunir la compagnie sur la place de rassemblement, à dresser la liste des présents, malades et absents, à contrôler l'état vestimentaire des soldats, à aligner la compagnie, à la présenter au capitaine et faire son rapport. Il arrivait parfois que le capitaine soit en retard et qu'il lui fallait donc meubler le temps. Tout ce qu'il avait trouvé était de multiplier les répétitions d'alignement. A cette occasion, il employait un vocabulaire militaire vraiment sublime. Je citerai quelques unes de ses expressions favorites qui ne manquent pas de piquant :

A l'occasion de la revue des armes et qu'il décidait que le canon du fusil n'était pas nettoyé à son goût, ou simplement pour "emmerder' le troupier, il ne pouvait s'empêcher d'employer une de ses citations préférées. En regardant à travers le canon il hurlait : « Mensch haben Sie schon mal ein Damenklosett gesehen » (Homme, avez-vous déjà vu des toilettes pour dames ?)


En fait pour les officiers nazis, les hommes de troupe non gradés n'étaient que de la vulgaire chair à canon. A l'instruction on leur faisait subir toutes les bestialités possibles et impossibles sans aucun égard pour la dignité humaine. Je pense que cette façon d'agir faisait partie intégrante de la mentalité de l'armée allemande. Mon père, qui avait été incorporé dans l'armée du Kayser en 1914-18, m'avait toujours dit : « Dans l'armée allemande, la dignité d'un homme commence à partir du grade de lieutenant ». J'ai effectivement pu constater que ce précept reflétait la pure vérité.
Pour une raison dont je ne me souviens plus, je dus un jour, en compagnie de 2 ou 3 camarades me soumettre à un exercice disciplinaire avec armes et bagages (« Nachexerzieren »). A une heure fixée, nous avions eu l'ordre de nous présenter au bureau de la compagnie où notre fameux sous-officier nous prit en charge. Heureusement pour nous, il ne devait pas avoir envie de travailler ce jour là, car après nous avoir intimé le garde à vous, il nous commanda d'une voix autoritaire et malicieuse : « Quand j'aurai compté jusqu'à trois, je veux voir un nuage fuyant ... et le premier d'entre vous devra déjà regarder par la fenêtre de la chambrée ». L'exercice disciplinaire était terminé.

Un jour, après la levée des couleurs, une délégation d'officiers se présenta pour recruter une dizaine de soldats. Je fis partie des élus. J'ignore encore aujourd'hui les critères qui ont prévalu à ma sélection. Toujours est-il que sur le moment, j'ignorais totalement à quelle sauce j'allais être mangé. Le groupe une fois constitué, on nous informa que nous étions destinés à participer à un stage de formation au lance-flamme. De prime abord, je n'étais pas vraiment chaud ! Mais pour l'instant, j'étais arraché à ce milieu infernal, mon stage devant se tenir dans un autre camp militaire.


Stage au lance-flammes

Dès le lendemain nous quittâmes à pied le camp de Gora-Kalwaria pour un autre situé à une cinquantaine de kilomètres. C'était un immense lieu d'entraînement dont je ne me rappelle plus le nom. Toutes les unités de l'armée de terre étaient représentées. Des incorporés de force alsaciens avaient laissé des traces de leur passage à l'aide de graffitis parsemant les murs des WC comme : « Vive la France », « A bas les boches ». Tous les désignés pour l'instruction au lance-flamme ont été affecté dans le même baraquement. Par rapport à Gora-Kalwaria ... c'était la vie de château !

Chaque baraque était reliée à une centrale radiophonique diffusant de la musique à longueur de journée. Le réveil du matin se faisait en douceur avec de la musique légère, pas de sifflets ni de commandements « gueulé » comme d'habitude. Après le petit déjeuner (café - marmelade - pain noir), nous sortions vers 8 heures du camp. On se retrouvait sur le terrain de manoeuvre destiné à l'instruction théorique et du maniement au lance-flamme. La théorie se pratiquait en principe à l'ombre de grands arbres à l'abri de regards indiscrets. On nous autorisait à discuter, à fumer et même à dormir. Les séances de l'après-midi se passaient au même rythme que celle du matin. A partir du samedi midi, la formation était terminée. Le dimanche, nous étions autorisés à assister à la messe, aller au cinéma ou sortir du camp. Seule obligation : être au minimum deux et armés. Au bout de deux semaines de formation, je reçu l'ordre de réintégrer mon unité à Gora. Ce retour coïncida avec la fin de ma période d'instruction. J'avais 19 ans.

A suivre ...

Source : Mémoires d'André VOEGEL

Récit complet des mémoire du malgré-nous André VOEGEL :