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Dans cette nouvelle série d'articles consacrés aux « non rentrés » des malgré-nous de Valff, intéressons-nous à l'histoire de Joseph Eugène VOEGEL, victime Valffoise tombée, disons « au champ d'honneur ».

De nombreux Alsaciens-Lorrains « Malgré-nous » durent sacrifier leur jeune vie à la grande souffrance de leurs parents et de leur famille. Mais certains comme Joseph Eugène VOEGEL laissèrent aussi derrière eux une veuve et des enfants. C'est ainsi que le 5 août 1947, Alice SCHALLER; épouse de Joseph Voegel, habitant au 2 rue de Verdun à Sélestat d'après la fiche de l'administration, aurait dû recevoir la triste nouvelle : son mari, père de ses deux enfants était mort. La nouvelle n'arrivera jamais. Erreur de l'administration, fausse adresse, jusqu'à leur mort la famille restera dans l'attente.

Joseph Eugène VOEGEL est né à Strasbourg le 10 janvier 1918 . Il était le frère d'André (auteur du livre « De Valva à Valff ») et d'Emile VOEGEL, fils de Joseph Marie Alphonse et d'Anne Willmann de Saasenheim. Ils habitaient au 112 rue des Flaques.

Jeunesse et carrière de Joseph VOEGEL (d'après le recueil de mémoires d'André VOEGEL)

Joseph en uniforme français vers 1938 (Photo prise à Strasbourg devant la gare centrale)

Mon frère Joseph est né le 10 janvier 1918. Il était l'aîné de 3 frères et 7 ans plus âgé que moi. En fait, mes souvenirs à son égard sont assez restreints. Dès son jeune âge, il a quitté le foyer familial pour faire des études. Après son passage à l'école primaire de Valff, vers 11 ans, il poursuivit son apprentissage au collège St Etienne de Strasbourg. Le collège était une école privée appartenant à l'épiscopat. Les frais d'écolage et d'internat étaient élevés et mes parents n'avaient pas la possibilité de faire face à des dépenses de cette importance. C'est le curé du village de Valff, Henry FALLER, qui prit en charge ces frais. Henry FALLER était de Kaysersberg et issu d'une famille de riches viticulteurs. C'est lui qui proposa à mes parents la poursuite des études de Joseph, l'élève étant doué. Même avec recul de plus de 60 ans, je voudrais rendre hommage à la générosité de cet homme d'église.

Abbé André FALLER (1873-1836)

Joseph a 11 ans (premier à gauche, rangée du milieu)

De son séjour à Strasbourg, je n'ai que le souvenir d'une visite à l'internat (le Klepperle). Je sais seulement qu'il n'a pu voir sa famille que très rarement en dehors des grandes vacances. La discipline était de rigueur et les contraintes multiples et accablantes. Pour une raison que j'ignore, quelques années après, il quitta le collège de Strasbourg pour le collège Ste Marie à St Hippolyte dans le Haut-Rhin. D'après ce que j'ai pu comprendre bien qu'étant jeune, mon frère ne s'est jamais intégré dans cette nouvelle communauté. Il se sentait repoussé, non accepté et supportait très mal  l'ambiance intransigeante et sectaire. L'ancien maire de Valff était originaire de St Hyppolite, peut-être est-ce grâce à lui et du curé Faller qui décéda en 1936 que mon frère fut admis dans cette institution.

Mes parents lui rendaient visite de temps en temps. Parfois on m'autorisa d'être du voyage. C'était une vraie expédition ! En vélo nous nous rendions à Goxwiller pour prendre le train pour Sélestat, puis un autre train en direction de Colmar pour descendre à Guémar, puis il fallait attendre le bus pour finalement achever les derniers mètres à pied. Le soir, le même cirque se déroulait dans le sens l'inverse. Les délais des correspondances entre les différents modes de transport nous permettait de nous ennuyer copieusement ! Vu les circonstances mes parents ne se décidèrent que rarement de lui rendre visite.

Ancien collège Ste Marie à St Hyppolyte

Malgré leurs préceptes chrétiens, une discrimination de la part des religieux était instaurée entre les élèves riches et les élèves pauvres. Nous considérions cette différenciation et catalogage choquant de la part du corps clérical. Mes parents en faisaient l'expérience à chaque visite. Dès l'accueil , les religieux ciraient les pompes des parents généreux. Les miens étaient ignorés. Vu leur situation matérielle modeste, il leur était difficile de faire des dons soit à l'oeuvre, soit aux professeurs soit pour la chapelle. Cette constatation n'était certainement pas motivante pour un élève et le bulletin de Joseph s'en trouva affecté.

A 17 ans Joseph arrêta ses études et rentra à la maison. J'imagine que cette situation, cet échec, a du causer bien des soucis à mes parents. Plus encore qu'aujourd'hui tout le monde était sensible au qu'en-dira-t-on, à la « Vox Populi ». On pouvait compter sur les doigts de la main, les enfants qui, à cette époque, pouvaient poursuivre leurs études. On considérait d'une façon générale que tous les étudiants qui poursuivaient des études secondaires se destinaient à la prêtrise. En général on les plaçaient dans des instituts religieux privés.

Nous sommes en 1935, une crise économique sévit en France, le chômage s'installe avec ses conséquences fâcheuses. Joseph ne trouva pas d'emploi et se vit contraint à rejoindre la maison et aider son père dans les champs. A 18 ans, il s'engagea dans l'armée. Il fut admis au 172e Régiment d'infanterie à Strasbourg. Nous le trouvons dans les années 1937/38 sur la ligne Maginot à Gambsheim. Il y fait la connaissance d'une fille du nom d'Alice SCHALLER, se marie, et sera bientôt père d'un fils du nom de Jean-Paul. Plus tard, il aura un deuxième fils qu'il appela Gérard, j'en suis le parrain.

Bunker de la ligne Maginot, pont de Gambsheim

Pendant les années de crise et la drôle de guerre 1939/40, son unité fut transférée plus au sud du Bas-Rhin du côté de Marckolsheim où il s'installe avec sa famille dans une maison à Sundhouse. A l'approche du conflit mondial, les habitants de Sundhouse furent évacués en Dordogne du côté de Sarlat. Sa femme et son fils aîné firent partie du lot. Au début de la guerre, mon frère nommé sous-officier, commandait une casemate près de Sundhouse. Il eu l'occasion de me raconter sa reddition aux allemands : il croyait fermement à la victoire de l'armée française. Le slogan de l'époque était " Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ". Lorsque après quelques jours de résistance à l'ennemi qui avait encerclé son bunker il reçut une première sommation, il refusa catégoriquement. Grâce à leur armement puissant et à leur protection bétonnée, ils purent infliger aux allemands de nombreuses pertes. Pourtant, les événements se précipitèrent très vite. N'ayant plus aucun contact radio avec son commandement hiérarchique qui s'est soit barré, soit avait été fait prisonnier, il consenti à se rendre. Après un énième ultimatum, les allemands menaçaient maintenant d'attaquer la casemate au lance-flamme !

Casemate au lieu-dit Nachtweid à Sundhouse

Après sa reddition, nouvelle angoisse. L'officier allemand en charge du camp de prisonniers demanda de voir le responsable de la casemate de Sundhouse. Il était furieux et menaçait d'exécuter Joseph pour n'avoir pas obtempéré dès la première sommation. Son refus et sa résistance aurait causé la mort de plusieurs soldats allemands ! Finalement, il fut transféré dans un autre camp où il sera plus-tard libéré avec d'autres Alsaciens - Lorrains. Démobilisé, il rejoignit sa famille en Dordogne.

Rentré à Sundhouse, une nouvelle étape de sa vie commença. Très vite, il trouva un emploi à Sélestat dans l'entreprise de construction KILLY Frères. Très vite il s'adapta à sa nouvelle situation. Employé au bureau au départ, il gravit rapidement les échelons et se vit confier un poste de responsabilités sur les chantiers. Ce travail lui plaisait énormément, à tel point, qu'un jour il me confia, ainsi qu'à mon frère Emile, qu'après la guerre nous ouvririons ensemble une entreprise de construction (Hoch und Tiefbau) tout comme chez Killy Frères.

Le 25 août 1942, le Gauleiter Robert WAGNER décréta l'incorporation des Alsaciens - Lorrains dans la Wehrmacht. A plusieurs reprises, l'entreprise KILLY le déclara indisponible, ce qui lui permit d'échapper provisoirement à l'incorporation. Compte-tenu de ses connaissances dans le bâtiment, les allemands refusèrent de surseoir à son appel. Il dut rejoindre l'organisation Todt (organisation créée par les allemands pendant la seconde guerre mondiale pour construire des bunkers, des routes, des ponts etc ...). Malheureusement, mon frère ne put se maintenir dans ce corps, la Wehrmacht ayant un besoin impérieux de soldats.

Le comble de l'histoire est qu'il a été immédiatement été nommé au grade de sous-officier (Unteroffizier). Il fut chargé d'instruire les appelés. On peut facilement imaginer son indignation, une situation absurde, un paradoxe ! Militaire de carrière dans l'armée française et passer sous-officier chez l'ennemi, du jamais vu ! Tout comme mon frère, j'ai été envoyé sur le front de l'Est. Nous avons perdu contact les uns des autres.  Après la guerre ma mère m'a confié que d'après ses lettres, il n'aurait pas été mêlé au combat. Son dernier message date de juin 1944. Son adresse était la Feldpostnummer 59938 D. Mon frère n'a jamais été déclaré mort ou disparu par les autorités militaires.

Pendant toute sa vie, mon père caressa l'espoir de revoir son fils avant de mourir. Malheureusement son voeu ne sera pas exaucé. Je pense qu'entre-temps il a pu revoir son fils, ainsi que sa femme, ma mère, et qu'ils sont tous réunis dans l'éternité. 

Fiche signalétique du soldat Joseph Eugène VOEGEL. Les informations auraient été soit disant été transmises, d'après la fiche, à l'épouse en 47, puis transcrites en 1950 par le maire de Sundhouse avec la mention « Mort pour la France ». Pourquoi la famille et ses enfants n'ont-ils pas été mis au courant de cette information ?

La ville détruite de Vitebsk en 1944

A Vitebsk en Biélorussie, les Allemands avaient mis en place un ghetto juif. Des massacres ont lieu à partir de 1941. En 1943, les tortionnaires brûlent les restes des victimes pour cacher les traces de leurs méfaits aux forces russes en progression. 1944. L'opération Vitebsk-Orcha est le premier choc de l'offensive russe en Biélorussie qui débuta à partir du 22 juin 1944. Son nom de code : opération Bragnation. L'armée allemande est refoulée dans cette région Biélorusse. Selon les sources soviétiques, 18 000 soldats allemands seraient morts et 10 000 faits prisonniers à Vitebsk. 

La poche de Vitebsk

 Cimetière allemand à Vitebsk en 1944

Vitebsk aujourd'hui

Lorsque André VOEGEL a écrit ses mémoires en 1999, il n'avait pas connaissance des archives du Service Historique de la Défense du ministère des armées à Vincennes. Dans ces archives se trouve la fiche signalétique de Joseph Eugène VOEGEL. On peut y lire : mort à WITEBSK, Russie, le 1er juillet 1944. Cette information ne lui sera communiquée qu'à l'âge de 85 ans, trop tard pour se déplacer sur les lieux et lui rendre un dernier hommage.

Sources :