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Blida en Algérie

Un domestique sans le sou, un expatrié, un maire, des militaires distingués, des conspirations politiques : quel pourrait être le point commun entre ces désignations ? un nom de famille : ROSFELDER.

Pour bien comprendre la saga de cette branche de ROSFELDER originaires de Valff, commençons par un peu de généalogie. Le nom de famille ROSFELDER, écrit avec un "S" ou deux selon les rédacteurs, est associé au village, aussi loin que l'histoire locale le permet. Ce nom apparaît dans les archives dès 1592. Durant la guerre appelée « guerre des évêques », la ville d'Obernai accueille des réfugiés des villages alentours et certains de Valff. Comme rien n'est gratuit, même par hospitalité chrétienne, ces réfugiés devaient allonger une redevance appelée « Wartgeld » à régler après le jour de la présentation de la Vierge Marie ! Dans la liste comptable figure les noms de Vix ROSSFÄLDER, veuve, et Vix ROSSFELDER, fils. Puis en 1629 c'est le nom du jeune Nick ROSFELDER qui défraye les chroniques, qui avec 25 compères de Valff est emmené manu militari  direction la prison de Benfeld pour s'être révolté contre la seigneurie au sujet des corvées.

Des actes notariés mentionnent également des citoyens ROSFELDER, comme par exemple Hans et sa femme Élisabeth, qui en 1637, vendent un champs dans le Lutzelfeld à Jorg BÖHLEREN de Bourgheim ainsi que de nombreuses autres terres durant cette même année. Il semble qu'ils aient eu des soucis financiers puisque dans un autre acte ils reconnaissent devoir « trois Pfund Pfennig » au Heimburger de Heiligenstein.

Le renouvellement des biens de 1668 indique la répartition de sept familles ROSFELDER différentes habitant le village. Ces différents registres  mentionnent des noms, comme par exemple celui de Bastian ROSSFELDER (en bas à gauche) qui cultive les terres de Phillip Frantz Christoph VON WEINGARTEN en 1668.

A partir de la fin du XVIIe siècle c'est au tour des registres paroissiaux de permettre d'établir une généalogie. Apparaissent les noms de ROSFELDER Anne, épouse de KLEIBER Sébastien en 1686, Mathias époux de ILLER Anne Catherine en 1687, Jean époux de GRIMM Marguerite en 1689 ou encore Jean, époux de Marie ROSFELDER en 1690.

C'est dans la famille de Blaise et Marie EBEL qui se marieront le 10 mai 1723 que nous suivons la descendance. Leur petit-fils s'appelle André. Il voit le jour le 28 janvier 1809. Il est le fils de George Michel, agriculteur et d'Anastase LUTZ, une petite famille modeste. Il habite avec ses 8 frères et soeurs. Pour survivre, les adolescents travaillent comme garçons de ferme et les filles comme domestiques. André a 20 ans quand il est appelé sous les drapeaux. Le 26 février 1830 il se présente au bureau de recrutement à Obernai. Il est neuf heures du matin. En scrutant la salle, il reconnaît l'adjoint au maire SAAS de Valff entouré de 8 autres maires représentants les villages du canton. Lorsque vient le tour d'André de piocher dans l'urne, il retient son souffle ! Il sait que selon le numéro qu'il tirera, il fera partie du contingent. Numéro 135 déclare à haute voix le sous préfet SCHULMEISTER représentant la patrie ! Bon pour le service ! André ne sait s'il doit se réjouir ou pas. Une nouvelle vie va se présenter à lui. Il ne le sait pas encore : ce numéro va bouleverser toute son existence !

Le nom d'André ROSSFELDER avec à gauche le n°135 de son tirage

Lettre du sous-préfet attestant du bon déroulement du tirage à la mairie d'Obernai en 1830

André est incorporé le 8 décembre 1830 dans une unité d'Infanterie. Nous n'avons que peu d'informations concernant son service. Son nom réapparait en Algérie en 1834 alors qu'il sert dans le 34e Régiment d'Infanterie de ligne, corps expéditionnaire d'Afrique. En 1831, maman Anastase disparaissait également. André loin des siens n'a plus de racines en Alsace. Deux de ses frères ont aussi choisi la même voie militaire [à lire Vincent ROSFELDER, chevalier de l'Ordre de la Légion d'Honneur]. 

La transmission familiale rapporte qu'André aurait rempilé à la place d'un conscrit appelé sous les drapeaux : un certain Jean David DEGREGE d'une famille aisée de Seine Maritime et futur médecin. André sert donc pendant 7 ans en Algérie avant de se laisser séduire par une autre proposition alléchante : exploiter des terres offertes par l'Etat français. L'administration propose aux volontaires des lopins arides, mais qu'à cela ne tienne ! Plus de 17 convois de colons venus de France et d'ailleurs peupleront la jeune colonie algérienne en 1848, on espérait 12000 colons, 100000 volontaires s'inscriront. Des concessions sont distribuées sous le nom encourageant de « colonisation ouvrière ». 42 villages seront créés.

André obtiendra des parcelles en 1852 et 1858 à Pontéba au nord de l'Algérie. Auparavant il avait épousé le 17 mars 1847 à Dalmatie, une jeune allemande originaire de Birkenfeld près de Trèves, région proche du Luxembourg et département français créé par le Directoire en 1793 appelée Mont-Tonnerre. Caroline NORBACH lui donnera 4 enfants : Charles , Louis, Joseph et Sophie. Elle vivait avec sa famille à Blida, ville de garnison. Peut-être André y a-t-il servi dans l'armée dans cette ville. Une des preuves de sa présence est l'acte de baptême à Blida  de Charles, né le 7 mai 1847. Ils habitent à Dalmatie. Le nom de famille d'André y est orthographié ROSVETS et son épouse LORSBASCH. Décidément les noms allemands restent un mystère pour les francophones ! C'est donc à Pontéba près d'Orléansville à 170 km de Blida que nous retrouverons André. Fils d'agriculteur, il ne lui était pas difficile de s'adapter, enfin, il faut l'espérer. La terre est sèche et aride et les conditions de vie austères. Le nom Ponteba avait été choisi en mémoire d'une victoire de Napoléon en Italie ; tout un programme ...

1848, c'est l'armée qui supervise l'implantation. A Pontéba, les colons découvriront des baraques de 80 mètres de long et 6 mètres de large construits par les militaires qui leur serviront de dortoir, des tentes, une route défoncée, une rivière boueuse, pas un arbre, des collines nues, les premières impressions sont plus que mitigées. Ils le seront encore plus quand le capitaine BESSE du 16e de ligne égosillera le programme : réveil au tambour à cinq heures. Trois heures en été, départ en escouade pour le travail aux champs, les récalcitrants seront privés de nourriture... Le capitaine fera le rapport suivant : « Colons bien soumis ! ». Le bruit court qu'à El Affroun, un autre village de colons, le lieutenant du village s'autorise le droit de cuissage ... ; alors à Pontéba on ne se plaint pas, on collabore. Naissance en 1850 de Louis , fils d'André et de son épouse Caroline.

Plan de Ponteba, aujourd'hui appelé Oum Drou

A Pontéba s'activent 321 habitants dont 78 concessionnaires sur 121 parcelles de 2 à 10 hectares. On construit des routes, bâtit des hangars, un puits de 16 mètres, une forge, une école, une boulangerie, un presbytère, une infirmerie, des maisons, un fossé d'enceinte. On ensemence 260 quintaux de blé et 95 quintaux d'orge, on plante 2200 arbres et 2000 pieds de vignes. Les conditions de vie restent pourtant médiocres : nourriture peu abondante, on mange peu de légumes et essentiellement que du riz et des haricots, le pain est passable et le vin est aigre. Pour le confort, des caisses de biscuits servent de lit, on bricole avec les restes, les enfants vont à l'école mais préfèrent l'école buissonnière, le courrier est distribué, au début on subit quelques coliques et de petits bobos, la chaleur, le froid, les insectes, les mauvaises récoltes, le réveil au tambour... Puis on pleurera la mort de 2 enfants, un noyé et la malaria ; quelques colons songent à partir surtout ceux originaires des villes ! La population tombe à 248 habitants puis à 188 en 1850. En avril on termine la construction de l'église, l'abbé BERTHOT s'installe, le docteur DOURS visite les malades, quelques arabes renforcent les effectifs. Les colons s'occupent de leur petit cheptel : vaches, boeufs, poules, chèvres et quantité de cochons.

1852. On recense 958 hectares plantées dont 268 en blé, 134 en orge et 235 en fourrage. L'armée se retire, on élit le premier maire, Pierre PAULIN. On redistribue les parcelles vacantes : André ROSFELDER aura les siennes. Il s'installera définitivement en Algérie. C'est en 1852 que la famille Rosfelder s'agrandit encore, c'est la naissance de Joseph qui concentre toute l'attention. Le 29 septembre Joseph pousse ses premiers cris. Il n'est baptisé que le 14 novembre. Les curés ne font leur tournée en temps espacé. Du coup, le nom de famille de Caroline s'écrit maintenant ORPASCH. Celui d'André est bien écrit. Le parrain s'appelle Rhin, souvenir, souvenir.

En 1856, naissance de Sophie Caroline. Un des descendants de notre petite famille sera nommé maire et décoré de la Légion d'honneur, un autre sera écrivain, scénariste, résistant et rebelle, un autre encore, homme de lettres et de sciences, engagé volontaire et médaillé militaire, directeur du centre de géologie marine, condamné à mort par contumace pour son rôle dans l'attentat manqué contre le Général de Gaulle ... et ce n'est qu'un maigre résumé !

A suivre dans la partie 2 ...

Sources :

Remerciements particuliers à Monsieur Jean-Paul ROSFELDER pour son aide à la recherche malgré une lourde peine, à Monsieur SICRE pour ses recherches émérites.