Après avoir fait connaissance de la vie à Cincinnati de Félix SAAS (à lire : Félix SAAS, l'histoire d'un pionnier), attardons nous un instant sur celle de Jean George et de sa famille. Avec l'aide de nos correspondants aux Etats-Unis, Tom O'BRIEN et Mike FREYDER, il nous a été possible de déterrer quelques facettes surprenantes.

Comme nous l'avions relaté dans le premier épisode, Jean George est peintre dans un atelier de fabrication de coffres-forts à Cincinnati dans l'état de l'Ohio. Mais avant de découvrir son travail relatons brièvement sa généalogie. La tentation est de déduire que ce George pourrait être le frère de Félix. Il est le troisième enfant de la famille François Joseph et Madeleine HIRTZ. Sa soeur Catherine a vu le jour le 6 décembre 1817 et Félix, le 1er janvier 1820. Jean George naît comme les précédents en plein hiver le 20 janvier 1822. La maison natale est le n°174 de l'époque dans la rue de l'Eglise.

Toute la famille a quitté Valff avant le recensement de 1836

Est-ce lui le ce George qui est recensé  à Cincinnati ? Un G. SAAS est passager sur le navire JESSIE en 1849, la même année que la date supposée de la traversée de Félix.

Nous verrons plus loin que la déduction est erronée. Grâce à des documents complémentaires nous pouvons affirmer que George est une toute autre personne. Mais qui est-ce ?  Le recensement à Valff de 1861 nous dévoile la composition d'une autre famille SAAS. C'est celle de George et Ursula STEIN. Ils s'étaient mariés en 1846. Ursula est originaire de Meistratzheim. George est journalier. Comme indiqué sur ce recensement, ils habitent au n°220 de la rue principale. En 1866 leur maison sera occupée par la famille WEYL Moïse marchand d'étoffe, Rebecca sa femme et leurs enfants Ernest Isaac et Adèle. Les SAAS ont quitté Valff.

Jean George est le fils de Joseph et de Catherine ANDLAUER. George est né le 4 octobre 1816. Ursula a 9 ans de moins que lui et a vue le jour en 1825. Sa mère était décédée le jour de leur mariage, tout comme le père de George.

Le voyage

On déniche la trace de la petite famille sur le bateau BORUSSIA en 1865. Là encore, comme dans de nombreux autres documents, les prénoms, les âges ou le sexe des enfants sont approximatifs. On reconnait Geo pour George, un U pour Ursula, un W pour William, Cath pour Catherine, E pour Eugène et la jeune Thérèse née en 1861, mais Marie Anne l'aînée a disparu (comparez le tableau de recensement plus haut et la liste des passagers ci-dessous).

Le navire BORUSSIA reliait régulièrement Hambourg à New-York. Pour le voyage dont faisait partie la famille SAAS, il transportait 632 passagers. Le bateau propulsé par de puissants moteurs à vapeur affichait fièrement 1987 tonnes.

Le navire Borussia

Cincinnati, Ohio

Autre preuve : c'est bien la famille George et Ursula qui ont rejoint Félix et son épouse Marie WASSING à Cincinnati. Pour preuve un extrait du journal local. Ursula décéda en 1909 à Cincinnati. Félix pourtant présent sur l'acte était déjà décédé depuis 1897. Sur l'acte Ursula est veuve et séjourne au 711 Central avenue. Son nom est suivi de wid pour widow (veuve). Notez, en passant,  que le journal indiquait déjà des numéros de téléphone. Cette société de téléphone a été créé en 1878, trois ans seulement après l'invention du téléphone par Alexander Graham BELL. Les choses vont vite au pays de la démesure ! A Valff il faudra attendre le milieu de la première moitié du XXe siècle pour qu'un téléphone sonne chez un particulier. 

Dans cet autre extrait George était encore en vie. Il habite au 632 Race Street.

Bâtiment à gauche : 632 Race street Cincinnati, logement de la famille de George SAAS

Le logement appartenait à la Lyric Piano Compagnie. En 1869 la famille habitait au 531 Cycamore Street.

La société Macneal & Urban's a été créée en 1890. Avec la présence d'autres grandes marques de fabricants de coffres-forts, Cincinnati était connue pour être « la capitale des coffres-forts ». George peignait ces blocs d'acier. Nous ne pouvons dire encore s'il était seulement responsable de la peinture générale ou des ornements décoratifs finement réalisés.

L'usine Mc Neal & Urban ainsi qu'un coffre réalisé par l'entreprise (peint par George ?)

En 1873, la famille loge au 496 Race street. George est maintenant qualifié de safe maker c'est à dire fabricant de coffres-forts. 1885. A partir de cette date, changement de patron et changement de logement : George travaille pour la  concurrence depuis 1883 à la Hall's Safe and Lock Company. 1880. George, Ursula et Mary sont enregistrés, George a 66 ans et est spécialisé comme safe enkker (dessinateur sur coffre-fort). Ursula 56 ans est femme au foyer (hause keeper) et Mary (32 ans) femme au foyer et épicière.

On a la bougeotte chez les SAAS avec  re-déménagement ... dans la même rue. C'est au 478 de la Race Street en 1886 et pour de bon et la der des ders au 632 en 1887 jusqu'au décès de George. 

Est-ce George qui a orné ce coffre ?

1896. Ursula est veuve. Les yeux de George se sont éteints depuis le 28 février 1896. Elle est relogée et changera encore plusieurs fois de résidence jusqu'à son décès le 28 septembre 1909 à l'âge de 82 ans. Sa dernière adresse sera une résidence à l'arrière du n° 1714 ... toujours et encore dans la Race Street.

Pierre tombale de George SAAS. On devine la date de naissance du 4 octobre 1816 et la date de son décès le 28 février 1896

Et les enfants ? Que sont-ils devenus ? On connait Mary. Vous vous souvenez de la petite Marie Anne ? N'avait-elle pas disparu sur le Borussia qui amena la famille en Amérique ? Elle est mariée et son mari périra d'une mort violente ; et William ? et Catherine ? Eugène ? Thérèse ? ... Mais ceci est une autre histoire.

Sources :

  • Documents collectés par Tom O'BRIEN et Mike FREYDER. Mille remerciements pour leur aide
  • Adeloch et Ellenbach
  • Archives départementales du Bas-Rhin

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.