L'appel du nouveau monde, comme ici le Brooklyn Bridge (1900)

Destins croisés des périples vers le nouveau monde des descendants de la famille BLOCH. Cette première partie nous raconte l'histoire de Sara.

Moïse BLOCH est un juif résident à Valff. Il est fils d'Aron (né vers 1690) lui-même fils d'Elias (né vers 1675). Moïse a épousé Rannel GRANNEL. Les BLOCH sont négociants et marchands de chevaux et bestiaux comme beaucoup de juifs à cette époque. Moïse décède le 25 septembre 1793. Sa sépulture est transportée et inhumée au cimetière juif de Rosenwiller. Au passage du péage de Bourgheim établi par les protestant du pays de Barr pour enquiquiner les catholiques de Valff et Zellwiller qui l'ont bien cherché au passage, la famille juive doit se dédouaner d'un Schilling pour pouvoir transporter le défunt à destination. La même somme que pour le prix fixé pour un tonneau de hareng ou une charrette de sel (1) !

Tarif des marchandises à payer au poste de péage de Bourgheim

Tarif du poste de péage de Goxwiller : au centre (item pour un juif que l'on transporte. Passage : 1 Schilling)

Les fils de Moïse s'appellent Lazar (1750-1839) qui a épousé Marie BLOCH, Samuel (1750 -1759) époux de Marie BLOCH et Salomon (1761-1808) qui a épousé Rosine. Certains descendants de chacun de ces 2 fils émigrerons en Amérique. Ce sont l'avenir et les vies diverses, les destins et la finalité différente de ces émigrés BLOCH que nous allons vous faire découvrir. En espérant que vous allez suivre, les noms et les prénoms étant sensiblement les même, il y a moyen de s'emmêler les pinceaux.... Bon ! attardons nous maintenant sur la vie de Sara BLOCH.

Sara BLOCH

Comme souvent, les aléas de la vie déterminent votre avenir. Ainsi fut-il pour la jeune Sara BLOCH. Pour simplifier, disons qu'elle est la descendante de Moïse (cité plus haut) puis de Salomon puis de Moïse Mickael et finalement de Salomon, marchand de grains et boucher à Valff, qui a épousé Jeannette KLEIN de Fegersheim. Quand je vous disais que c'était pas gagné ! 

Etat des membres de la Garde Nationale (1849) : BLOCH Salomon est marié, sans enfants

Elle naît, fille aînée d'une fratrie de 5 frères et soeurs, le 16 janvier 1852 à Valff, rue principale n°135 ou 136. Sa mère Jeannette décède lorsque Sara a 11 ans. Etant l'aînée elle aide tant bien que mal à élever ses frères et soeurs durant les derniers mois de la vie de sa mère.

Acte de naissance de Sara BLOCH

Après le décès de Jeannette, son père se remaria rapidement avec Sara WEILER de Muttersholtz qui a déjà 34 ans. Elle était célibataire et... illettrée. Sara supporte mal la nouvelle femme de son père qui tombe rapidement enceinte. Les conflits se multiplient. Pour mettre fin aux disputent récurrentes, son père décide de l'envoyer à Muttersholtz. Il y a de nombreux juifs dans cette commune et les BLOCH y ont de la famille. Elle servira comme domestique dans la famille de Raphael BICKART, marchand de bestiaux qui est de la famille, du côté de sa grand-mère paternelle. Sara grandit et le rêve d'une vie meilleure ne la quitte plus. De nombreux juifs ont déjà quitté l'Alsace pour le Nouveau Monde. Elle veut aussi tenter sa chance, finalement, qu'a t-elle à perdre ?  De plus, son petit frère Léopold est partant avec elle... et elle a rencontré un certain Abraham BLOCH, séduisant et charmeur durant son séjour à Muttersholtz... Il lui a promis de la rejoindre. Une vie meilleure semble lui ouvrir les bras ! Vive l'aventure !!!!

En octobre 1868, Sara et Léopold se rendent à Hambourg. Avec les économies de Sara, ils survivent jusqu'en décembre, date à laquelle ils embarquent sur le SS Allemania, direction l'Amérique ! Ah ! l'Amérique ! Les rêves les plus fous sont autorisés !  Sara a 18 ans, Léopold en a 12. Ce sont encore des enfants. Le voyage est un calvaire. Entassés au milieu de personnes malades, accablés par les odeurs pestilentielles, les bagarres fréquentes, la nourriture médiocre et les tempêtes d'hiver, la traversée est harassante. Le 11 janvier 1869, ils sont enfin en vue des premiers immeubles de New-York.

Sara y sera rejointe deux ans plus-tard en 1871 par une vieille connaissance de Muttersholtz : Abraham BLOCH. L'amour, toujours l'amour. Abraham a embarqué sur le navire « Rhein » (2). Elle l'attendra fébrile sur le quai de New-York. Il arrivera avec 6 autres copains émigrés, tous de Muttersholtz, âgés entre 16 à 24 ans. Abraham et Sara se marieront la même année et s'installent à Brooklyn. Le bonheur semble lui tendre la main. Mais le bonheur, comme le malheur, parait-il, n'a pas de frontières. Leur premier enfant mourra des conséquences d'une extrême pauvreté. Ils n'aurons plus d'autres enfants.

Dans les registres de recensement de 1880 on découvre qu'ils habitent à Brooklyn, 27 Kings, New York. Abraham est employé dans une boucherie, tout comme son frère Issac qui a rejoint le couple et habite maintenant avec le couple. Sara est femme au foyer. En 1890, ils vivent à nouveau seuls. En 1971, émigre à 17 ans sur le navire « Köln Main » la petite soeur de Sara. C'est Clara née en 1854. Elle épousera Emile Paul BERNHEIM en 1874. Issac, le demi-frère de Sara a également émigré, s'est marié mais est aussi resté sans descendance. Abraham un autre demi-frère a pris le même chemin. sa fille, Carrie, enseignante à Hempstead est elle, restée célibataire.

Le 13 décembre 1889 décède à New-York un jeune de 24 ans. Son métier est conducteur (de tramway ?). Il s'appelle Emmanuel, semble célibataire et est reconnu être le fils de Sara et d'Abraham BLOCH. Il serait né vers 1865 en France. Un fils illégitime donc ! Aucun document ni à Valff ni à Muttersholtz ne mentionne sa présence. Il a du rejoindre l'Amérique après 1880 une fois adulte. Son nom ne figure pas parmi les passagers des navires de traversée, ni de sa mère ni de son père. La grossesse de Sara aurait-elle pu être une autre raison du départ de Sara de Valff ? Elle aurait accouché à 15 ans. Aucun document ne nous permet de retrouver le lieu de naissance d'Emmanuel. Abraham s'est éteint en 1923. Sara décède le 21 avril 1935 dans une maison de retraite à New-York. Un cancer du sein, une pneumonie terminale et une insuffisance cardiaque auront eu raison de son existence tourmentée. Elle n'aura jamais revue sa terre natale ! (3). Après le décès en 1890 de son père Salomon à Valff, sa veuve Sara WEILER ne survivra que grâce aux indemnités de la Caisse des Indigents de la commune. Elle sera classée dans la rubrique : endettée, maladive et très pauvre. Elle décédera en 1914.

L'appel du Nouveau Monde ne se termina pas bien pour tout le monde ... Vous en aurez la preuve dans une deuxième partie de cette série. Nous en apprendrons un peu plus sur le destin chaotique du frère de Sara qui l'accompagna dans son rêve américain : c'est Léopold. Histoire à suivre ...

Nota :

  • (1) : Archives de la ville de Strasbourg, archives du Bas-Rhin et archives de la mairie de Valff.
  • (2) : Un voyage a bord d'un transatlantique en 3ème classe coûtait environ l'équivalent de 2000 euros d'aujourd'hui. Des entreprises américaines qui manquaient de main-d'oeuvre engageaient des passeurs en Europe. Elles avançaient aux volontaires les frais du voyage. La somme payée à crédit était épurée peu à peu avec le travail effectué dans l'entreprise.
  • (3) : Informations recueillies d'après des recherches effectuées par Robert Teitelbaum, un descendant de Léopold.

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.