Fabrique de cigares à l'épicerie MARTZ dans la rue Thomas en 1908

En Alsace, le tabac est mentionné pour la première fois en 1618 via son pionnier Benjamin MAUCLER à Bischwiller. En 1620, un nommé Tobert KONNIGSMANN en planta entre Bischheim et la Robertsau. Dans la plaine d’Erstein elle trouva dès le XVIIe siècle une terre de prédilection. Le tabac alsacien était même celui préférés des acheteurs suisses. L'alsace, la Franche Comté et la Flandre seront épargnés par le monopole d’Etat en vigueur depuis 1674 sous Louis XIV qui pouvait aller aux contrevenants jusqu'à risquer la peine de mort.

En 1753, le tabac avait rapporté à la province 4,5 millions de livres - soit 30 % des marchandises en sortant - loin devant le vin et le chanvre. En 1812, la superficie de culture de tabac pour le Bas-Rhin se situait aux environ de 5000 hectares. On sème des espèces de graines de Hollande, de Flandre, du Lot et Garonne etc. L’annexion au Reich de 1871 à 1919 sera néfaste aux tabaculteurs (perte de 70 % de la production) mais reprendra sous la gouvernance française.

Séchoir à tabac à Kerzfeld en 1936

Et à Valff ?

La première trace écrite remonte à l'année 1754, date à laquelle l'abbesse d'Andlau demande la dîme sur le tabac et ou un fait-divers truculant témoignera de l'habituelle culture de la plante. Le préfet LEZAY-MARNESIA (1769-1814) encourage en 1832 la construction de séchoirs et accorde la somme de 1200 francs pour le cultivateur qui construira le plus beau séchoir du département. Les plants qui sont les plus prometteurs sont le grand Asiatique et le grand Virginie.

Pourtant pour les planteurs le ciel s'assombrit. Après un rapport accablant au sujet de villages soupçonnés de fraude et de culture non déclarée, le préfet liste ceux où la culture sera interdite à tous les habitants non agriculteurs autorisés et dont le séchoir se ferme à clé. Dans l'arrondissement de Sélestat, 16 communes seront concernées dont Epfig, Valff, Bischoffsheim, Rosheim et St Pierre. Des colporteurs traversant les Vosges, achètent en douce du tabac illicite dans les communes. La contrebande de produits prohibés et le trafic de stupéfiants ne date donc pas d'hier. En 1832, le sous-préfet de Sélestat transmet au maire de Valff une liste de cinq cultivateurs frappés d'une interdiction temporaire de planter du tabac pendant deux ans à savoir : Mathias HIRTZ, Madeleine KLEIBER, Blaise RIEGLER, Florent WERCK et Michel JORDAN. C'est du beau !

Rendement et prix du tabac séché

Année

Rendement/quintal

Prix au quintal

1836

13

 

1862

20

 

1876

16,4

41 Mark

1879

21,4

50,8 Mark

1881

26,8

69,5 Mark

1886

24,1

74,2 Mark

1890

20,7

68,7 Mark

1895

30,9

76,7 Mark

1898

24

78,9 Mark

Culture en hectare 

En 1836 il y avait 84 ha cultivés à Valff, production qui aura son maximum de 90 ha en 1866. En 1900 la production avait chuté à 11 ha puis s'est lentement rétablie après la première guerre pour atteindre 35 ha en 1922. Les années de gloire de la culture du tabac seront les années depuis la fin de la deuxième guerre jusque dans les années 70. A partir de cette période le prix de rendement ne cessera de baisser et les superficies diminueront inexorablement. Aujourd'hui, il ne subsiste qu'un seul producteur externe qui plante 6 ha de tabac. Il est loin le temps où les producteurs avaient l'obligation de dresser devant chaque parcelle une plaquette signalétique précise. Tout dépassement de quota était sanctionné par l'intervention du contrôleur du syndicat du tabac qui mettait la main à la houe et déracinait les jeunes plans excédents.

Les hangars à séchoirs

Le premier agriculteur de Valff ayant profité de l'opportunité de l'offre de prime d'installation du gouvernement pour un séchoir à tabac, est Florent ROSFELDER (au n° 68 de l'époque) en 1864. Dans une lettre de soumission, il signe en tant que premier exploitant autorisé par l'état, de promettre de rembourser la prime offerte si, dans les cinq ans après le versement de la somme, il ferait, sans autorisation, une transformation ou un changement de la destination du séchoir et s'il cessait, dans les cinq ans, de cultiver du tabac soit volontairement ou par interdiction d'approvisionnement à la manufacture impériale.

Fait divers

12 mai 1754. Jean Michel WALTER, 26 ans, gardien des oies à Valff, est pris sur le fait de vol de feuilles de tabac. Le soir à 21 heures, sachant que le cabaretier Jean Thiebaut LUTZ est occupé par une vente aux enchères de bois dans son établissement, s'introduit dans son séchoir à tabac. Surpris par le fils de l'aubergiste, il est traîné par les cheveux dans l'auberge avec encore comme pièce à conviction, à la main une ficelle remplie de feuilles de tabac. Après jugement, Jean Michel WALTER sera condamné par le Conseil Souverain d'Alsace de Colmar :

  • A être battu et fustigé nu de verges par l'Exécuteur de la Haute Justice dans le carrefour et lieux accoutumés de Valff (en l'occurrence devant l'école des filles à l'endroit où se trouvait la maison communale)
  • Brûlé au fer rouge sur l'épaule gauche de la lettre V (initiale pour Voleur)
  • Banni pour 3 ans de la Seigneurie d'Andlau et tous ses villages
  • De garder toujours sur lui sa sentence de condamnation
  • Payer 20 livres d'amende au profit du Seigneur et 99 livres pour les frais de justice
  • Etre emprisonné pendant un mois au pain et à l'eau ...

1810. Le maire BURGSTAHLER est accusé de prélever aux producteurs pour son usage personnel une partie du tabac à livrer à la manufacture pour son usage personnel. Il sera démis de ses fonctions de maire en 1812.

Juin 1836. Florent WUCHER, un agriculteur de Valff relate dans ses mémoires comment il fut victime d'un grave accident [en savoir plus : Florent WUCHER, fragments d'une vie, épilogue]. Le malheur s'est déroulé à la hauteur du pont de pierre en haut du village. Florent marchait entre deux chevaux tirant une carriole chargée d'une cuve remplie d'eau pour arroser les pieds de tabac. Lorsque le cheval rua, il fut projeté à terre. En tombant sous la charrette, son pied gauche passa sous la roue. Le fémur se retrouva broyé en 6 morceaux et le tibia en 3 ! Florent gardera le lit pendant 18 semaines et subira trois opérations dans d'insupportables souffrances et sans anesthésie. Florent ne pourra déposer les béquilles qu'à la Pâques de l'année suivante. Les frais d'honoraires au Docteur MEYER s'élèveront à 150 francs et ceux au chirurgien Philippe BERGER à 100 francs. La somme totale des dépenses se montera à 800 francs. 100 francs en 1830 était l'équivalent à 250 euros d'aujourd'hui.

3 septembre 1931. L'agriculteur A. LEYBACH a fait une drôle de découverte en récoltant son tabac. Il découvrit, caché sous un tas de feuilles de tabac, un vélo de femme. Ce dernier avait été volé à l'aubergiste E. SCHMITT du restaurant Au Tilleul. Une plainte à la gendarmerie a été déposée, c'est pour cette raison que le voleur s'est peut-être débarrassé de la pièce à conviction. 

Crédit photos :

  • Fond BLUMER
  • Archives de Strasbourg

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.