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Moissonneuse-batteuse « Heywang »

Depuis le début du siècle, Joseph RIEGLER possédait une machine à vapeur pour actionner sa batteuse. Il se déplaçait tous les ans à Kertzfeld pour le battage du blé dans cette localité et revenait à Valff pour ses clients locaux. Comme « Iilèger » il occupait Eugène BONNET, Séraphin SPECHT, Eugène PETER et Xavier LUTZ. Joseph RIEGLER cessa son activité vers 1930.

Entreprise de battage de Joseph RIEGLER de Valff (batteuse « Lantz » et machine à vapeur). Photo prise en 1930 à Kertzfeld

Il y avait une deuxième entreprise de battage dans le village gérée par Emile ANTZ et son frère Victor. Leur batteuse était également entraînée par une machine à vapeur. Eux, par contre, se déplaçaient à Niedernai et Goxwiller. Ils avaient par ailleurs leurs clients à Valff. Leur « Iileger » préféré était Charles ANTZ. En 1935, ils remplacèrent leur machine à vapeur par un moteur électrique. Cette entreprise s'arrêta en 1939. Ces machines à vapeur, équipées d'un volant impressionnant, étaient une sorte de locomotive rurale dont le sifflet à vapeur scandait les temps de travail. Le foyer était alimenté par d'énormes briquettes. Il fallait deux heures de préchauffage pour mettre en marche la batteuse. En 1942, Joseph VOEGEL (d'r Jerriseppel) créa une entreprise de battage. Il battait le blé dans l'annexe du restaurant au Soleil avant de construire un hall à la sortie du village à l'angle de la rue du vignoble actuelle. Les petits exploitants amenaient le blé sur place. Il y avait souvent de longues files d'attente. Après cette période de battage sur place commençait le battage à domicile pour les exploitations plus importantes. Il avait comme « Iileger » expérimentés : Eugène GAUTSCH, Joseph LUTZ et Pierre FUCHS. En 1950, Joseph VOEGEL céda la succession à son fils André et l'entreprise cessa son activité vers 1960.

Ernest DOTTER, qui habitait Meistratzheim (d'r Schwingele), possédait également une batteuse à entraînement électrique. Il avait une grande clientèle dans notre village. Au début, il exerçait son activité devant la propriété d'Auguste JOST avant de s'installer définitivement dans son propre hangar au « Breitweg ». Ses « Iileger » connus étaient Eugène BONNET et Camille HIRTZ. Pour des raisons de santé, Ernest DOTTER cessa son activité en 1958. En 1954, Paul VOEGEL achetait la première moissonneuse-batteuse. Au début, beaucoup de paysans hésitaient à utiliser cette technique moderne, craignant une perte de récolte, mais aussi une détérioration de leurs champs après le passage de cette lourde machine, surtout en cas de mauvais temps. Les petites parcelles de notre ban étaient peu rentables pour un engin très coûteux. C'est pourquoi Paul VOEGEL se déplaçait davantage vers Hipsheim, Limersheim ou Hindisheim où il y avait des grandes parcelles de blé à récolter et où le mûrissement de la moisson était plus avancé par rapport au ban de Valff.

Battage de blé chez Emile ROSFELDER (n°256) avec Robert ROSFELDER, François GRIMM et Albert ROSFELDER. Photo de 1955

En 1956, René WEHREL devenait propriétaire d'une batteuse « Dechenreiter ». Pendant deux ans, il battait le blé dans sa cour, puis sous le hangar d'Ernest DOTTER. En 1961, il achète la première moissonneuse-batteuse fabriquée par « Heywang » à Bourgheim. Dans les années suivantes son parc de machines s'agrandissait et dans les années 90 l'entreprise WEHREL possédait 4 moissonneuses batteuses. Le meunier Edouard HERRMANN possédait également une batteuse, mais son activité était limitée. Quelques exploitants agricoles possédaient une batteuse pour leurs besoins personnels et pour ceux des familles alliées. Il s'agissait de Florent SCHULTZ, Joseph JORDAN et Xavier VOEGEL, ainsi que les associés Florent LUTZ, Ernest et Eugène SCHULTZ. En 1928, la commune avait fait installer sept prises de courant sur les poteaux de l'éclairage public pour faciliter le raccordement des batteuses. Avant cette date (et même après) certains utilisateurs branchaient les moteurs directement sur les fils à haute tension à l'aide d'un crochet fixé au bout d'un manche à balai… La sécurité laissait à désirer ! Le compteur électrique était installé à l'intérieur du chariot à moteur.

Une journée de battage

Mais relatons le déroulement d'une journée de battage à domicile. Il incombait au propriétaire de réveiller les personnes qu'il avait engagées pour le battage. En principe, la mise en marche de la batteuse était prévue pour six heures. Avant de rejoindre le poste attribué, le café accompagné d'un petit verre de schnaps était servi, c'était la coutume ! Puis, quel empressement partout ! La répartition des postes était bien organisée. Ils y avaient ceux qui, adroitement, balançaient les gerbes jusque sur la batteuse ; deux personnes, en position sur la batteuse, ouvraient les gerbes, les passaient aux « Iileger » expérimentés qui les enfournaient dans l'énorme mécanique. Ceux qui maniaient les énormes bottes de paille devaient être costauds pour les soulever et les encore plus costauds portaient les sacs de grains, certains de 100 kg, sur le dos, parfois jusqu'au grenier ! Les moins bien lotis avalaient toute la journée la poussière des ivraies « Spreuer ». Parfois, un approvisionnement hors norme de la machine provoquait son blocage et faisait sauter la courroie d'entraînement. On profitait alors de cet arrêt opportun pour respirer un peu d'air pur à l'extérieur de la grange. Entre-temps, les filles de la maison se transformaient en « Witrayer » et allaient désaltérer les gorges desséchées par la poussière ambiante... non sans se faire lutiner au passage ! Empressement aussi à la cuisine où, jour après jour, se préparait pour nos valides paysans, la traditionnelle « Fleischsupp » (pot au feu) suivie des non moins traditionnels « Kinjele un Nüdla » ( lapin aux nouilles); puis le « Mensterkas » (fromage de munster) et pour terminer la brioche ou pâtisserie maison et le café. La charcuterie, notamment les saucisses chaudes, était réservée pour le petit déjeuner.

Battage de blé chez Alphonse SIMON (n°214) avec Florent RIEGLER, Florent BIERO, Eugène SPECHT, Oncle FRITZ, Lucien DEVILLE, Joseph LUTZ, Antoine SCHAETZEL, Antoine VOEGEL, Fernand JORDAN et Alphonse SIMON. Photo de 1961

Le travail ne s'arrêtait que lorsque le contenu de la grange était vidé. Si le propriétaire était riche, le battage reprenait après le déjeuner. Dans ce cas, on ne manquait pas le « z'Nacht Assa » (repas du soir) qui clôturait cette journée fatigante. Il me semble qu'on servait du jambon le soir. Vers la fin du battage, on livrait la chasse aux souris, voire des rats, qui avaient élu domicile dans les granges aux provisions abondantes. Le tableau de chasse était régulièrement impressionnant. Ensuite, il s'agissait de déménager les deux énormes machines (batteuse et chariot du moteur) chez le voisin. On tirait en chœur, au cri de « Han alli ! ». Même s'il fallait recommencer tôt le lendemain, on se séparait souvent tardivement dans une ambiance de convivialité. Nos paysans étaient soumis à ce régime pendant une quinzaine de jours, l'entraide primait en cette période de battage. Assez rapidement, la vieille machine à vapeur avait cédé le pas à un gros moteur à gasoil ; puis vint la batteuse électrifiée, en panne à peu près tous les deux jours… relayée enfin par les moissonneuses-batteuses.

Du coup, nos solides paysans n'ont plus eu l'occasion de se retrouver à 12 ou 15 personnes autour d'une bonne table, après une journée de dur labeur, mais dominée par la gaieté [en savoir plus : Le « Owe Marik », le rendez-vous du soir]. Les temps ont bien changé depuis… Le progrès à son bon et aussi son mauvais côté !

Moissonneuse-lieuse « Heywang »

Mémoires d'André VOEGEL né en 1925