Plantation du tabac à Valff en 1938

La culture du tabac brun tenait une place importante dans notre village. Son développement était soumis à l'observation des réglementations de la Régie des Tabacs qui attribuait à chaque commune le nombre de hectares (ha) à cultiver.

Valff obtenait le droit de cultiver entre 43 et 50 ha en 1812. Ce contingent augmentait en 1834 à 75 ha. Dix années plus tard on comptait à Valff 175 planteurs de tabac. Vers 1960 ce nombre augmentait encore légèrement pour arriver à 182 avec une superficie de 43 ha. Nos terres franches et riches permettaient d'atteindre le maximum de rendement légal autorisé de 35 kg à l'are. Après les semis au mois de Mars on voyait dans tous les jardins des couches plates ou en forme de tunnel. La plantation commençait dans la première quinzaine du mois de Mai. La préparation des champs demandait une attention toute particulière. Les emplacements de plantation étaient marqués à l'aide d'une houe et d'une longue ficelle à repères réguliers afin de respecter la distance imposée entre les plants. La largeur entre les lignes était également imposée. Le jour de la plantation on emmenait sur place une caisse à purin en bois remplie d'eau. Cette eau était puisée dans la rivière aux abords de la mairie à l'aide d'une pompe électrique. Très souvent, en période de plantation la file d'attente était longue pour remplir sa caisse à purin. Les attelages, soit de boeufs, de vaches ou de chevaux s'impatientaient aussi ...

Arrivés sur le champ, la plantation pouvait débuter. Elle n'était pas encore mécanisée, tout se faisait à la main. Tous les membres de la famille étaient à la besogne, souvent aidés par les voisins et proches. Tout d'abord, à l'aide de l'arrosoir rempli à la caisse à purin, chaque trou de plantation recevait un peu d'eau. Chaque planteur, dans sa rangée avec sa corbeille remplie de plants à côté de lui, avançait à genoux au fur et à mesure de la plantation. La croissance du tabac nécessitait une surveillance continue jusqu'au moment de la récolte concernant l'écimage et l'ébourgeonnage. Au début de chaque champ de plantation, une plaque d'identification indiquait le nom du propriétaire, la superficie du champ et le nombre de plants. Ceci permettait au vérificateur de la Régie de mentionner son passage. Il donnait à chaque planteur de tabac le feu vert pour la récolte, qui commençait habituellement au mois d'Août. Les groupes de cueilleurs, jeunes et adultes, répartis dans les rangées, s'activaient à cueillir le tabac en 3 phases et périodes différentes. On commençait à cueillir les feuilles du bas de la plante, les plus petites. Selon la croissance et la décision du vérificateur, suivaient les cueillettes des feuilles médianes et supérieures. Pour le transport retour à la ferme, les feuilles étaient rassemblées en bottes maintenues par des lanières en tissu ou en cuir.

Sitôt déchargées sous le hangar, les bottes de feuilles étaient confiées aux femmes pour l'enfilage. Pour ce travail l'entraide était courante entre voisins et se faisait dans une joyeuse ambiance. Une aiguille de 25 cm environ servait à l'enfilage des feuilles sur une ficelle d'un longueur d'environ 1m50, à distance égale, pour favoriser le séchage. La face de la nervure devait toujours être du même côté. Les enfants participaient à cette opération en enfilant les feuilles sur les aiguilles ... Après l'enfilage, trois guirlandes de tabac étaient rassemblées à l'aide d'un crochet S. Le lendemain, elles étaient suspendues dans le séchoir. Au début du mois de Novembre commençait la préparation des manoques qui consistait à faire des bottes de 25 feuilles séchées. Un rigoureux tri des feuilles s'imposait. Les feuilles déchirées ou trouées étaient mises à part. La 25e feuille était celle enroulée à l'extrémité de la manoque. 40 manoques étaient serrées dans une caisse en bois afin de faciliter le ficelage de la grande botte pesant environ 10 kgs. Les feuilles déchirées ou trouées étaient également rassemblées en manoques et fi—celées en bottes de deuxième catégorie de rebut nommées « Ausschusswellen ». Ce procédé de préparation était identique pour les feuilles de tabac petites, moyennes et grandes.

Les séchoirs à tabac dans la Basse-Zorn

La livraison du tabac à la SEITA s'effectuait en trois périodes. Selon un calendrier de livraison établi par la SEITA la livraison des petites feuilles se situait à la fin du mois de Novembre. Vu le nombre important de planteurs de tabac, la livraison s'étalait sur quatre ou cinq jours. Les livraisons avaient comme une saveur de loterie; la marchandise sera-t-elle primée, sera-t-elle classée, sera-t-elle refusée ? On craignait pour cet argent si péniblement gagné ... En a-t-il fallu de la peine pour semer, planter, cueillir, enfiler et sécher ce tabac sous les toits pentus du grenier, de la grange, du hangar, sous n'importe quel toit enfin. Les bottes étaient chargées sur une remorque et amenées vers le lieu de livraison, qui se trouvait jusqu'en 1939 à la mairie de notre village. Les remorques en attente du déchargement étaient alignées le long de la rue principale. Chacun posait les bottes sur la bascule entreposée dans le hall d'entrée de la mairie. Le contrôleur de la Régie des Tabacs procédait à une inspection rigoureuse et stricte des bottes, et si, par malheur, une feuille trouée se trouvait dans le bon lot, il calculait l'abattement à appliquer sur le lot entier. On contrôlait également l'humidité, on procédait à un essai de combustion et on comptait le nombre de feuilles par manoque ... Après le pesage, les employés de la SEITA chargeaient les bottes sur camions, à l'aide d'énormes fourches, pour les acheminer vers un centre de production ; le spectacle avait quelque chose d'attristant ... 

Il régnait dans le village une grande animation. L'après_midi, dans un restaurant local, la direction de la SEITA remettait à chaque producteur le chèque pour la livraison effectuée. Dans le même local se trouvait un employé d'une agence de banque qui échangeait selon demande le chèque en argent liquide. Suivaient des moments agréables et plus décontractés autour d'une table. On comparait le résultat du produit livré en dégustant une bière ou une chopine de vin sans oublier les salés traditionnels (Salzstangele), il fallait penser ramener des salés pour les autres membres de la famille. En quittant le restaurant on voyait les « Salzstangele » qui dépassaient des poches de la veste de l'heureux paysan. Chaque année, un autre restaurateur local accueillait la direction de la SEITA pour la distribution des chèques et l'agence bancaire. En contrepartie, le restaurateur s'engageait à monter des auvents bâchés côté déchargement et chargement pour que les bottes de tabac soient protégées des intempéries.

Les séchoirs à tabac dans la Basse-Zorn

Les planteurs de tabac de Goxwiller et de Bourgheim venaient à Valff pour la livraison de leur récolte. La livraison des feuilles médianes et supérieures avait lieu aux mois décembre et février dans les mêmes circonstances. A partir de 1939 la livraison du tabac s'effectuait dans la cour de Charles RIEGLER et ceci jusqu'en 1960. Elle fut ensuite transférée dans un bâtiment annexe du Restaurant « Au Soleil ». A partir de 1970 chaque producteur était contraint de livrer sa récolte directement au Centre de Tri à Obernai. Après la vente et la fermeture complète de ce Centre en 1987, la réception du tabac était assurée par la SEITA à Benfeld. En 1998, Valff comptait encore 2 producteurs de tabac pour une superficie de 3 ha 50 ares.  A l'époque nylon pour tabac, des où fleurissait la culture du tabac dans notre village mon père vendait du les couches, des aiguilles et de la ficelle pour enfiler les feuilles de clous pour les suspendre ...

Enfants, nous étions heureux d'aider les voisins à enfiler le tabac sur les grandes aiguilles. Au prorata du nombre de bottes enfilées une petite rémunération nous comblait de joie ...

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.